Je suis hypocondriaque au temps du coronavirus

Publié le Lundi 04 Mai 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Je suis hypocondriaque en plein coronavirus.
Je suis hypocondriaque en plein coronavirus.
"Et si j'avais quelque chose ? Et si je m'évanouis, et que je suis seule ?" Il n'est (vraiment) pas simple d'être hypocondriaque au temps du coronavirus. Pour Terrafemina, vous êtes venu·e·s partager vos expériences, vos peurs et vos doutes.
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On le sait, la pandémie que nous vivons actuellement malmène les plus vulnérables. "Les personnes fragiles psychologiquement encourent des risques", déclarait le psychothérapeute et spécialiste du trouble de la personnalité borderline Pierre Nantas. Les raisons ? Il faut les chercher au coeur du confinement. La promiscuité, le manque d'activités, l'ennui, la perte de sens, l'anxiété, mais aussi "le bousculement des repères et un retour sur soi-même qui peut être douloureux".

Exclusion, isolement, mal-être, sont donc des sentiments et sensations éprouvées par bien des anonymes aujourd'hui. Mais parmi eux, nombreux sont ceux à nourrir un rapport très particulier à la maladie, source d'angoisses redoublées : les personnes hypocondriaques. Comment vit-on au temps du coronavirus lorsque l'on a sans cesse peur d'être gravement malade ? Comment conserver sa sérénité ? Désormais, alors qu'une pandémie mondiale bouleverse le monde, écoute-t-on enfin ceux que l'on qualifie volontiers de "malades imaginaires" ? Vous êtes venu·e·s éclairer notre lanterne.

Le retour des vieux démons

Etre hypocondriaque à l'heure du confinement.
Etre hypocondriaque à l'heure du confinement.

D'abord, qu'est-ce que l'hypocondrie ? Ce mot nous est tous familier et pourtant, on peine à poser les mots justes. Et les très mauvaises comédies avec Dany Boon ne nous aident pas davantage. L'hypocondrie fait donc partie de la famille des troubles anxieux généralisés et désigne la peur disproportionnée d'une maladie grave. Ce trouble se caractérise par "une écoute obsessionnelle de son corps, une suite de préoccupations et de sur-interprétations incessantes inhérentes à sa propre santé", décrypte la psychiatre Christine Barois, spécialiste de l'anxiété.

Mais le climat qui vous étouffe depuis des semaines ne vous a pour autant rendu hypocondriaque. "La peur du coronavirus, c'est encore autre chose !", rappelle l'experte. "Car là, on parle d'une souffrance cliniquement significative, de l'anticipation négative sur la durée de quelque chose qui ne va probablement pas arriver". L'hypocondrie, ce n'est pas craindre d'avoir mal mis son masque après le visionnage d'un reportage à la télévision. Non, c'est plutôt ce que vit Chloé depuis ses onze ans : éprouver la peur jusqu'à l'irrationnel.

Craindre un cancer du sein ou une maladie de Crohn (inflammatoire et incurable), "mais aussi la gastro", nous raconte la jeune femme de 29 ans. Souffrir d'un mal de ventre et d'une nausée constante, d'ulcères, de noeuds à l'estomac, tous ces maux physiques que la vie professionnelle n'adoucit pas. Et encore moins l'évolution de notre monde. Le confinement et tout ce qu'il suppose (solitude, enfermement, isolement) ont effectivement provoqué chez elle deux crises d'angoisse en deux semaines. Et tout un tas de questions : "Et si j'avais quelque chose ? Si je m'évanouis et que je suis seule ? L'arrivée de ce confinement a fait revenir beaucoup de mes vieux démons".

 

Hypocondrie, mode d'emploi.
Hypocondrie, mode d'emploi.

Chloé n'est pas la seule à voir son anxiété s'exacerber ces derniers mois. C'est aussi le cas d'Anne-Charlotte, 26 ans. Hypocondriaque depuis l'âge de sept ans, la jeune femme est du genre à "chercher frénétiquement des signes de maladie" : une gorge qui gratte, un bouton plaqué sur la peau comme un mauvais présage, ou encore l'impression de couver des anomalies sous son épiderme. La pandémie actuelle n'a rien arrangé.

Crises d'angoisse, appétit bloqué, gorge serrée, paralysies, attente comblée par quelques tours du web anxiogènes. Sans oublier cet asthme dont elle souffre également et qui la renvoie aux pires scénarios : "J'ai passé les trois premières semaines de mars dans un cauchemar. Je me suis auto-confinée cinq jours avant tout le monde et j'avais l'impression que l'univers était en train de s'écrouler. J'avais l'impression que j'allais y passer direct".

Au temps du coronavirus, on pourrait croire que les personnes hypocondriaques ne sont plus invisibles, ni ridiculisées, puisque cette crainte abstraite de la maladie est associée à un fléau bien concret. Et pourtant, la souffrance est encore trop incomprise. Car qui dit hypocondrie ne dit pas juste peur de la maladie mais peur de la mort. Et pas seulement.

"La peur émane de notre système nerveux de base, c'est aussi archaïque que la colère et la tristesse. Mais quand je commence à 'avoir peur d'avoir peur', mon raisonnement logique n'est plus disponible psychiquement. La peur va prendre le dessus et ma propre volonté va se mettre en 'off'", explique Christine Barois. Car l'hypocondrie est aussi cette "peur d'avoir peur".

"Oui, nous vivons une pandémie"

L'hypocondrie, la peur d'avoir peur.
L'hypocondrie, la peur d'avoir peur.

Mais comment ne pas être totalement happé·e par cette angoisse à plusieurs dimensions ? Sophie, 26 ans, n'a pas la solution miracle, mais ses conseils ont de quoi réconforter. Des années durant, elle a vécu ce stress qui provoque des douleurs et fait somatiser, qui brutalise aussi bien l'esprit que le corps. Si bien qu'elle a décidé de suivre une thérapie comportementale et cognitive, qui l'a initiée à certains exercices. Par exemple ? Trouver cinq éléments rationnels qui viennent contrebalancer l'idée irrationnelle que l'on va tomber malade. "Les avoir dans la tête, sous les yeux, les écrire, permet de retrouve un équilibre mental", nous assure-t-elle.

Une véritable gymnastique. Et qui peut porter ses fruits en temps de contagion. S'attarder sur les gestes-barrière. Respecter les mesures sanitaires. Se rappeler des chiffres et statistiques. Tout cela peut aider. Elle poursuit : "Il y a aussi le fait que l'on peut attraper le coronavirus mais que cela ne sera pas forcément grave... Quand la maladie est arrivée en France, j'ai tout de suite pensé aux idées les plus morbides évidemment. Mais aujourd'hui, je vais mieux. J'ai appris à digérer l'information : à accepter le fait que, oui, nous vivons une pandémie". Idem pour Chloé qui, afin de faire taire ce qui la taraude, écrit, danse, chante, joue du piano, pratique le yoga via l'application Zoom.

Comme un bisou magique sur un bleu

Doutes, espoirs et introspections.
Doutes, espoirs et introspections.

Bien sûr, la peur est toujours là, comme une ombre qui épouse ses mouvements et l'épie dans un coin dans la pièce, immatérielle mais omniprésente. Et le 11 mai ne signera pas son expiration. "Mon hypocondrie n'a pas pour objet le coronavirus. Car le coronavirus est là, concret, rationnel. Je n'ai pas particulièrement peur en allant faire mes courses, ni rien. C'est bizarre. Mon hypocondrie c'est la peur des autres maladies, la peur de me couper le doigt en faisant ma cuisine, de me prendre un truc sur la tête, et de ne rien pouvoir faire", nous dit-elle.

Et c'est d'ailleurs pour cela que la psy Christine Barois propose - notamment - des exercices de méditation et de pleine conscience à ses patientes et patients. L'idéal pour apprendre à celles et ceux qui tournent en rond dans leur propre anxiété à accepter les réactions physiologiques qui les perturbent au quotidien. "Il s'agit de se concentrer sur ce que l'on ressent, plutôt que de le subir", nous confie-t-elle. Un retour à soi vertigineux.

Bien sûr, cela prend du temps. Pour l'instant, Anne-Charlotte privilégie les jeux sur la console de jeu Switch et les stories Instagram, les vidéos YouTube "un peu concons" et les "films légers" quand lui prend le besoin de souffler un peu. Ou encore, les mots de sa mère. Une parole plus sentimentale que scientifique, mais qui fait du bien. Elle l'avoue : "C'est un peu comme un bisou magique sur un bleu, ça ne soigne pas mais si on y croit, on a moins mal".

Googliser ses symptômes : DON'T.
Googliser ses symptômes : DON'T.

D'autres encore essaient de prendre du recul dans un contexte ou tout semble si rapide et si lent à la fois. Christophe, par exemple, s'y exerce. Le jeune homme de 21 ans est hypocondriaque depuis l'enfance. Du genre à Googliser ses symptômes à tout bout de champ - "la chose à ne jamais faire", sourit-il. Mais la crise sanitaire le pousse vers une rationalité pas simplement rassurante, non, mais nécessaire.

"J'ai une petite voix dans ma tête qui me dit que je risque de choper le coronavirus, mais j'arrive à la maîtriser, je fais attention aux gestes barrière, je porte un masque tout le temps dès que je sors, je reste loin des gens. Je pense que l'hypocondrie y joue un rôle quand même. Si je n'étais pas hypocondriaque, je prendrais ces consignes avec plus de légèreté", raconte-t-il.

La légèreté, Sophie l'emploie à bon escient, en se servant de l'autodérision comme d'un baume pour adoucir ce qui la tourmente. Celle qui a découvert l'hypocondrie toute gamine en lisant un roman de Louise May Alcott (Rose et ses sept cousins, moins connu que les inégalables Quatre filles du Dr March) est parvenue à apprivoiser ce que l'on préfère fuir. Aujourd'hui, elle s'inquiète : "Il y a beaucoup de gens qui depuis quelques semaines doivent découvrir une incertitude, une anxiété qui jusque-là leur était étrangère. Et ça ne doit pas être évident".