Snobée par la BBC, la pianiste Annabel Bennett prend un pseudo d'homme... et cartonne

Publié le Lundi 22 Février 2021
Louise  Col
Par Louise Col Journaliste
La pianiste Annabel Bennett utilisait un pseudonyme masculin
La pianiste Annabel Bennett utilisait un pseudonyme masculin
Retoquée par la BBC pendant plusieurs années sous son propre nom, la pianiste Annabel Bennett a décidé d'endosser un pseudonyme masculin. Magie du sexisme : sa musique est soudainement reconnue et diffusée.
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L'histoire pourrait prêter à rire si elle n'était pas symptomatique d'un mal qui ronge la société. Faut-il être un homme pour réussir ? Faut-il être un homme pour être (totalement) légitime ? L'exemple de la Britannique Annabel Bennett se pose là (et ça pique).

Cette compositrice et pianiste de 50 ans plutôt prolixe (elle a créé plus de 350 oeuvres depuis 2012), qui a commencé à écrire de la musique dès ses 8 ans, affirme avoir dû se faire passer pour un homme pour enfin avoir l'honneur de passer sur les ondes de la célèbre BBC. Son pseudo ? Arthur Barker. Un patronyme inspiré par son père producteur, Tom Arthur Parker. "Mon père m'avait mise en garde contre l'industrie et à quel point il était difficile pour une femme de percer", confie la musicienne originaire de Padstow, dans les Cornouailles. Et il faut croire qu'il avait vu juste.

"J'ai passé plusieurs mois à soumettre mon travail à la BBC sous mon propre nom sans succès", explique Annabel Bennett au Times. "Mais dès que je l'ai envoyé en tant qu'homme, je me suis fait remarquer."

Soudainement, 35 morceaux de "Arthur Barker" ont été diffusés sur la radio et "il" a également intégré la playlist de Classic FM Holland. Ironie de la chose : Annabel Bennett avait envoyé exactement les mêmes oeuvres sous son propre nom. C'est donc bien son pseudonyme masculin qui semble avoir été le précieux sésame à ouvrir les portes des ondes jusqu'alors closes.

Afin d'éviter d'être démasquée, l'artiste prenait soin d'envoyer son travail par mail et évitait les appels téléphoniques. Annabel Bennett a finalement décidé de tomber le masque à l'occasion de la sortie de son premier album, ce 20 février, prenant la parole pour dénoncer ce sexisme crasse et inspirer d'autres femmes.

 

"Nous devons être jugé·e·s sur notre musique, pas sur notre genre. J'espère que les compositrices commenceront à être prises plus au sérieux. Cela s'améliore dans de nombreux domaines, mais avec cela, c'est définitivement un monde d'hommes."

Bien évidemment, la BBC s'est défendue de toute discrimination, répliquant par la voix de l'un de ses porte-parole auprès du Daily Mail : "C'est totalement faux. Nous avons joué un certain nombre de ses morceaux sur nos stations locales pendant que l'artiste utilisait son nom d'origine et rejetons toute suggestion de sélection de musique pour une raison autre que le mérite."

Pourtant, derrière ces excuses bancales, il y a la réalité des chiffres. Selon un récent rapport, les morceaux des artistes féminines représentaient seulement 19 % des titres britanniques les plus joués en radio sur les douze derniers mois. Et le rapport de 2016 de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) montrait que seulement 2 % des compositrices étaient des femmes.

L'histoire d'Annabel Bennett fait écho à la longue (et triste) histoire de ces femmes qui ont dû se travestir et adopter un nom d'homme pour être enfin entendues et exister. De l'écrivaine George Sand à la chirurgienne Margaret Ann Bulkley à la DJ Tatiana Alvarez, de nombreuses femmes ont eu recours à ce stratagème pour exister dans une société patriarcale qui les rejetait ou les ignorait. Peut-être que l'exemple d'Annabel Bennett fera assez de bruit pour que les radios et les festivals cessent de faire la sourde oreille et s'ouvrent enfin à la parité ?