La détention d'animaux dans les cirques pourrait-elle bientôt appartenir au passé ? La question se pose alors que les communes françaises sont de plus en plus nombreuses à refuser la venue de ménageries sur leur territoire. Il y a d'abord eu Montreuil (Seine-Saint-Denis), puis Fontenay-sous-Bois (Val de Marne), Creil (Oise), Villeneuve-lès-Avignon (Gard, Roncq (Nord), Yerres (Essonne) et tout récemment Lieusaint en Seine-et-Marne, qui estimait dans un communiqué que "les spectacles de cirque contiennent des numéros imposant aux animaux des exercices contre nature". Interviewé par le Parisien ce mois-ci, le maire Michel Bisson, ajoutait : "Nous avons aussi été sensibilisés au sujet car un cirque s'est installé illégalement deux fois sur notre commune, avec son lion en cage dormant toute la journée exhibé devant les passants".
Mais la souffrance animale qui fait réagir certains élus est encore malheureusement ignorée par d'autres. Ce samedi 20 février, Nantes accueillait ainsi le cirque Medrano malgré les protestations du Collectif nantais pour les animaux. Une manifestation a même été mise en place à l'intérieur du parc des expos de Beaujoire, en vain. Dans un papier accordé au site 20 Minutes, le directeur du cirque en question, Christophe Herry, s'agace et répond avec mépris : "Ces gens-là sont des extrémistes, une escroquerie intellectuelle". Histoire de bien tourner en dérision le travail des opposants, Christophe Herry ajoute que cela "masque le vrai problème, celui du massacre des animaux dans leur milieu naturel, en Afrique notamment". Ce discours, les antis cirque-ménagerie connaissent bien. Car depuis des années, Gilbert Edelstein, le directeur du cirque Pinder, tient le même. En 2014, il assénait ainsi à France Culture que son cirque permet de protéger les espèces sauvages des chasseurs et des braconniers, mais aussi de leurs propres instincts qui les pousseraient à s'entretuer.
Pour Franck Schrafstetter, président de l'association Code Animal qui lutte depuis de nombreuses années contre ce genre de cirques, Gilbert Edelstein et Christophe Herry font tout simplement preuve d'une grande hypocrisie et cherchent à retourner la situation. Il rétorque avec ironie : "Oh et bien dans ce cas-là il faudrait aussi penser à tous les peuples en danger. C'est exactement les mêmes arguments que les gens avaient sous Louis XIV qui justifiaient l'esclavage en disant : 'Les pauvres Africains, il ne faut pas les laisser dans la nature parce que sinon ils se massacrent entre eux'. C'est exactement pareil. La vraie protection et défense de l'animal c'est le laisser vivre dans son écosystème. Nous, ce qu'on explique toujours, c'est qu'une espèce n'est rien sans son espace".
Les arguments des propriétaires et directeurs de cirques sont jugés non recevables par les associations de défense contre les animaux, tout simplement parce qu'il a été prouvé à de multiples reprises que les espèces en captivité se mettent à développer des troubles du comportement. Singes qui se battent, félins qui restent apathiques, éléphants qui balancent leur trompe, attaques envers les dompteurs, évasions sur la voie publique (et donc acidents), mais aussi l'apparition chez eux de la stéréotypie, soit la répétition des mêmes gestes encore et encore. Franck Schrafstetter confirme : "Dans le cirque Medrano par exemple, on voit des éléphants qui se balancent d'une patte sur l'autre, des félins qui passent leur journée à faire des allers-retours dans leur cage. Les spécialistes appellent ça la stéréotypie, et c'est la preuve d'une souffrance chronique et psychologique".
En plus de cette souffrance chronique, les animaux sont aussi parfois les victimes directs de leurs dresseurs. En 2009, l'association Animal Defenders International révélait ainsi les images chocs d'éléphants du Great British Circus, frappés à coup de barre de fer, harponnés dans la bouche et entraînés durant de longues heures. La même année, c'est la PETA qui dévoilait également l'envers du décor du cirque américain Ringling Bros. and Barnum & Bailey dans une vidéo tournée en caméra cachée. Au programme, de la maltraitance pure et dure envers les éléphants, mais aussi les tigres, fouettés et battus durant leur séance d'entraînement. Des cas malheureusement loin d'être isolés mais qui parfois, permettent de faire réagir les gouvernements. Suite à de nombreux rapports, dont celui de l'association GAIA, qui entre 1995 et 2002 a étudié 18 cirques, la Belgique a finalement décidé en 2014 d'interdire les cirques avec animaux sur son territoire.
Le pays a ainsi rejoint l'Autriche, la Bosnie Herzégovine, la Slovénie, le Costa Rica, la Croatie, le Salvador, le Panama, le Pérou, la Suède, l'Inde, Singapour, le Paraguay, le Mexique, et Israël, qui ont tous choisi d'interdire les cirques avec animaux sauvage sur leur territoire. En Grèce, à Chypre, à Malte et en Bolivie, la loi est encore plus stricte puisque l'emploi des animaux – quelque-soit leur espèce – est totalement proscrit. Les troupes qui emploient des chiens, des chats, des lamas, des chevaux, des lapins ou encore des chameaux, peuvent donc passer leur chemin.
Alors, à quand une prise de conscience de la part des politiques français ? Si Franck Schrafstetter souhaite croire qu'à l'instar des delphinariums, les cirques avec ménagerie seront bientôt au centre de toutes les attentions, il estime aussi que le sursaut ne viendra pas du gouvernement : "C'est le ministre de l'écologie qui pourrait se charger de faire interdire les cirques avec des animaux, donc actuellement madame Ségolène Royal, qui s'en fiche éperdument. Tout est bon pour refuser de s'en mêler, on dit que c'est pour les enfants, pour le côté culturel etc. Aujourd'hui il faudrait un ministre un peu courageux et ouvert à la souffrance animale ou alors, il faudrait que ça bouge au niveau européen. Donc, on ne peut pas attendre grand-chose des politiques. Le problème c'est que le cirque c'est encore très populaire, donc il faut attendre encore un peu que ça mûrisse".
Objectif donc, que ce soit plutôt le public qui ressente un vrai ras-le-bol. Et là, le président de Code Animal a de l'espoir. En quinze ans, il a vu naître peu à peu "une vraie prise de conscience de la part des gens" et sent "une vraie mobilisation". Il conclut : "Les cirques banalisent ce qu'on reproche à toutes les formes de captivité : cela transforme l'animal en produit de consommation. Ça fait de lui un objet. Alors qu'il faudrait aller vers le respect de l'animal et comprendre qu'il a des besoins". Et si l'on avait besoin d'une preuve de plus, il n'y a qu'à se tourner vers le Cirque du Soleil ou le Cirque Plume pour voir que l'on n'a pas besoin d'employer des animaux sauvages ou non pour connaître le succès.