"Don Juan" vs "grosse pute" : un rapport épingle les clichés sexistes de la téléréalité

Publié le Mardi 03 Mars 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Avant-premiere de Les Marseillais Asian Tour à Paris, France, le 13 Fevrier 2019
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"Salope", "blonde", "tafiole"... Des "Anges" aux "Marseillais", la télé-réalité regorge de sexisme et d'homophobie, entre injures et stéréotypes. "Male gaze" permanent, masculinité toxique, rivalités féminines... Un rapport du Haut Conseil à l'Egalité épingle cette facette réac.
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Ça fait mal. Un nouveau rapport du Haut Conseil à l'Egalité (le HCE) dresse un état des lieux du sexisme en France, et on s'en doute, tout cela n'est pas très reluisant. C'est même carrément édifiant. Ce bilan factuel s'attarde sur le monde du travail (où perdurent les violences sexistes et sexuelles : 60 % des Européennes sondées déclarent en avoir été victimes l'an dernier) et le milieu politique - qui demeure, malgré la médiatisation des révolutions féministes, une véritable "chasse gardée des hommes". Mais aussi sur les médias. Et, notamment, sur la télé-réalité. L'occasion d'épingler des divertissements où abonde le sexisme ordinaire.

Stéréotypes genrés, assignation des tâches stéréotypées, procédés de dénigrement divers, perduration du fantasme du "mâle dominant", caricatures bien réacs, sexualisation outrancière des corps féminins, "male gaze" a gogo, image dégradante de la femme... Quand l'on s'attarde sur trois des programmes les plus visionnés en France (Les Marseillais vs le reste du monde, Les Anges de la télé-réalité, Koh-Lanta), le verdict est rude.

Clash, "grosse pute", "profil de la blonde"...

Mais que nous raconte au juste ce rapport ? Que parmi les trois émissions analysées, deux sont animées et commentées par des hommes. Que la téléréalité est synonyme d'une "culture de la virilité" par ses ressorts narratifs - la compétition, le "clash", les rapports de domination et de rivalité. Que les femmes y sont des "bimbos" stéréotypées, emblèmes d'une "hyperféminité" caricaturale (réduites à leur corps et à leur apparence), et font en permanence l'objet de qualifications négatives - "jalouse", "commère", etc. Que les assignations professionnelles sont sexuées et tracées à gros traits : les candidates féminines, bien souvent danseuses ou serveuses, veulent toutes être modèles-photo ou chanteuses, les hommes boxeurs ou mannequins fitness.

Anti-sororales au possible, ces émissions font des rivalités féminines le nerf de la guerre, et ce à grands renforts d'insultes et de slut-shaming banalisé : "grosse pute", "nique ta mère", "salope". Or, rappelle le rapport, "les injures sexistes fonctionnent comme des rappels à l'ordre de la domination masculine et réaffirment le regard masculin comme jauge de la valeur d'une femme". Ce sont donc des programmes où persiste l'opposition entre la maman et la putain, la femme respectable et la "fille facile". Ces shows insistent également sur la bêtise des candidates, indissociables de stéréotypes bien vieillots.

La preuve avec cette citation issue de Koh-Lanta : "Cindy a le profil type de la blonde un peu limitée au premier abord, mais elle est très intelligente".

Bastion de la masculinité toxique

Les mecs ne s'en sortent pas vraiment mieux puisqu'au-delà de leur physique (bodybuildé), ce sont bien souvent leurs performances sexuelles qui sont mises en avant. En couple, ces hommes-là ne mettent jamais de côté leurs "pulsions" toxiques comme il faut : jalousie, paranoïa, harcèlement verbal, tout y passe. Logique puisque la masculinité l'est tout autant - toxique. Il y est bien souvent question de "porter ses couilles" et de ne pas être "une baltringue". Une homophobie ordinaire où s'insinue également une dynamique de la séduction tout aussi réac - les hommes y sont des "Don Juan" brillant par leur galanterie très vieille France. Seule importe "la focalisation sur les hommes, les femmes restant des satellites tournant autour d'eux", déplore le rapport.

S'intéresser aux représentations qui sont faites des genres dans les émissions de téléréalité n'a rien d'anodin. Car comme le rappelle le Haut Conseil à l'Egalité, les médias "véhiculent un système de valeurs et contribuent à la création de normes". Il est donc regrettable que de telles images se diffusent (et se déclinent) alors que la part des femmes à la télévision n'est que de 42 %, précise le rapport - pour seulement 29 % aux heures de grande écoute. On s'en doute, répondre à cette sous-représentation par une salve de misogynie rance, et ce au sein de programmes abondamment visionnés par la jeunesse, n'est pas la solution idéale.

Une fois ces observations faites, comment agir ? Et bien, en signalant les séquences problématiques au CSA (Conseil Supérieur de l'Audiovisuel) par exemple, sans mésestimer son "pouvoir de sanction" face à ce genre de divertissements. Mais il est aussi essentiel d'encourager une plus paritaire - et meilleure - représentation des femmes à l'écran. Et pas que dans les divertissements de télé-poubelle bien sûr. Des plateaux des talk-shows aux clips musicaux en passant par les spectacles populaires comme le concours de Miss France (taclé pour son "instrumentalisation du corps des femmes"), le sexisme est partout. Il devient urgent déboulonner cette "vision archaïque" des sexes.

Plus globalement, il faut repenser la télévision au niveau professionnel, en employant davantage de réalisatrices et de techniciennes, suggère le Haut Conseil. Car ce que l'on trouve derrière la caméra est tout aussi important que ce qui s'y dit devant. Force est de constater que le petit écran a vraiment besoin de grands changements.