Pourquoi la tendance TikTok de la "copine au foyer" est problématique

Publié le Mercredi 26 Octobre 2022
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
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Pourquoi la tendance TikTok de la "copine au foyer" est problématique
Réseau social paradoxal, TikTok est le repère de créatrices féministes inspirantes, mais aussi de tendances qui font grincer des dents. Et parmi elles, pas des moindres : la copine au foyer.
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Sur TikTok, le hashtag #StayAtHomeGFs désigne une "trend" bien spécifique, popularisée sur la plateforme sociale préférée des jeunes par une multitude de créatrices. En majorité, des jeunes vingtenaires qui partagent à leurs followers leur quotidien de... "copines au foyer".

Telle Kendal Kay, influenceuse et mannequin américaine de 24 ans qui fut la première à lancer le mouvement, fort d'une vidéo initiale aux 8,4 millions de vues- excusez du peu. Les "petites amies au foyer" relatent en vidéos leurs longues journées passées à attendre le retour de leur boyfriend (qui est au boulot) en s'occupant des tâches ménagères, de la cuisine, des courses. Faire du café, préparer des repas, nettoyer son logis... Tout un programme.

Comme un dérivé "influenceuse" de ce que sont les mères au foyer dans l'inconscient populaire. Et ce alors que sur le web se perpétue outre-Atlantique une autre tendance gênante, celle des "femmes au foyer traditionnelles" (une ode un brin réac aux "housewives" assumées et surtout à leurs "aptitudes domestiques"). Bref, les "meufs au foyer" divertissent, mais dérangent aussi. Pour plusieurs raisons.

Une tendance qui ne passe pas

A l'heure des grandes mobilisations féministes et de la foultitude d'enjeux qu'elles invoquent, la tendance de la "meuf au foyer" a effectivement de quoi laisser perplexe. Exit, l'égale répartition des tâches ménagères, la remise en cause des stéréotypes de genre au sein du couple (hétérosexuel), l'idée d'émancipation ou de révolte... "Stay At Home GF" semble plutôt prôner le recyclage d'un imaginaire vieillot et pas très révolutionnaire.

C'est d'ailleurs ce que fustige non sans humour ABC : "Faire le tour de son chez soi et dépenser l'argent de quelqu'un d'autre ? Quand on y pense plus d'une seconde, cela ressemble plus à un cauchemar qu'à un rêve". Dès l'intitulé d'ailleurs : "stay at home" a comme un air de "reste chez toi !", d'ordre joliment sexiste. Elément soulevé par le média ? Le fait que les "girlfriends" ne se contentent pas, en vérité, de rester à la maison.

Ponctuellement, elles se rendent également en salle de sport. Cette tendance soulève donc d'autres injonctions : conserver une bonne apparence physique, pas tant pour soi que pour l'autre, à savoir le petit ami. Si le sport peut être une forme d'émancipation pour les femmes (l'excellente série documentaire d'Arte Toutes musclées nous le rappelle volontiers), il semble ici se réduire à une autre sorte d'assujettissement aux diktats et aux hommes.

D'autant plus qu'à cela, cette tendance ajoute d'autres habitudes qui lui sont très liées. Par exemple ? S'appliquer des soins pour la peau lors de sa routine du matin. A l'heure où d'autres envoient bouler leur maquillage...

Une tendance dangereuse ?

On comprend donc petit à petit pourquoi ces vidéos qui cumulent les vues peuvent s'avérer furieusement contre-productives. Evidemment, "chacun fait fait fait ce qui lui plaît plaît plaît", nous direz-vous. Dans un registre moins mélomane, on pourrait rappeler que le féminisme consiste aussi à respecter les libertés des femmes, leur droit à agir selon leurs désirs, quand bien même ceux-ci pourraient être critiqués, "shamés", fustigés.

C'est vrai, mais... Comme le souligne ABC, il y a de quoi surtout s'inquiéter du fait que ces créatrices de contenus semblent être dans des positions de vulnérabilité qui pourraient basculer à tout moment vers des abus financiers (ou physiques ou psychologiques). Même si consentie, la condition de "petite amie au foyer" ne serait pas dépourvue de dangers, de par cet enjeu de dépendance financière. Ou plus encore, de l'emprise financière.

Il n'est pas donc pas simplement de trouver ce "mode de vie" désuet ou ennuyeux, mais de questionner ce qu'il signifie ou ce qu'il peut engendrer au fond, surtout au sein de relations pas forcément dépourvues de toxicité. D'autres voix critiques pointent encore du doigt la dimension "hors-sol" du phénomène. Les vidéos mettent en scène des influenceuses dont le cadre de vie contraste absurdement avec celui de leurs followers.

Autrement dit, leurs habitudes du quotidien (yoga, smoothies, makeup onéreux, balades sur la plage...) et leur panorama, ne sont pas forcément accessibles à toutes... Chacune, bien sûr, pourra se balader d'une vidéo "girlfriend at home" à l'autre et se faire son propre avis.