Arrêter de se maquiller (ou pas) pendant le confinement : ce que cela signifie pour vous

Publié le Samedi 18 Avril 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Se maquiller pendant le confinement
Se maquiller pendant le confinement
Et si on arrêtait de se maquiller durant le confinement ? Economies non négligeables, gain de temps, estime de soi "au naturel", les raisons ne manquent pas. Et pourtant, vous ne jetez pas toutes votre make-up à la poubelle. Et vous nous racontez pourquoi.
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"Pendant le confinement, les Françaises semblent avoir mis la beauté au placard". Cette affirmation du magazine économique Capital est tranchante. Mais plutôt juste : ces dernières semaines, affirme la revue, les ventes de maquillage ont chuté. Vraiment chuté. De 75 % précisément. C'est énorme. Cet abandon suscite une vraie question. Plus que cela, une invitation : et si on profitait de ce confinement pour délaisser le make-up ?

Car après tout, pourquoi donc s'adonner à de longues séances quotidiennes face au miroir en cette période d'isolement ? L'indéniable dégringolade des ventes en France n'allume-t-elle pas la mèche d'un changement explosif ? A moins qu'à trop vouloir résumer mascara et gloss à de simples injonctions qui étouffent, on en oublie les paradoxes qui font de la mode et du maquillage un langage bien plus complexe qu'il n'y paraît.

Vous nous avez raconté ce qu'il en est, de vos quotidiens confinés et (plus si) maquillés.

Balance ton make-up

Jennifer Garner en plein make up dans "30 ans sinon rien"
Jennifer Garner en plein make up dans "30 ans sinon rien"

"Pourquoi j'ai arrêté de me maquiller". Un titre en forme de tribune. Sur son site, l'autrice féministe et végane Gala (également adepte du topless) raconte les raisons qui l'ont incité à épouser les convictions du mouvement No Make Up (récemment promu par Marina Rollman). Économiser de l'argent, déjà - une Française dépense 2 482 € par an en produits de beauté, rappelle-t-elle. Ne pas avoir à se démaquiller, ensuite - les Françaises consacreraient 11 minutes par jour à cette activité. Et surtout, ne plus "se camoufler". Redécouvrir son visage au naturel, apprendre à l'aimer, enfin. "Avant, je détestais sortir sans un trait de liner au-dessus des yeux. Et je me suis rendue compte qu'en fait, je détestais mes yeux sans eye-liner, alors que... ce sont mes yeux !", explique-t-elle aujourd'hui.

Une décision qui peut sembler ouvertement militante en temps ordinaires, mais pragmatique en période de confinement. Alors que nos sorties se réduisent à peau de chagrin et que nos achats - bien moins excessifs - doivent avant tout être "de première nécessité", pourquoi s'alourdir de cet attirail ? Une question que se pose également Sylvie Borau. Pour cette professeure de marketing à la Toulouse Business School (jamais avare en réflexions sur le rouge à lèvres), le confinement interroge "la fonction profonde du maquillage". Booster la confiance en soi ? L'attractivité ? La sociabilité ? Au fond, de quoi le maquillage confiné peut-il être le nom ?

La pression sociale du make-up, in "Lolita malgré moi"
La pression sociale du make-up, in "Lolita malgré moi"

Plutôt que d'estime fortifiée, Gala se souvient de ces lendemains de soirées difficiles, à se réveiller la tête lourde "avec du mascara partout sur ta taie d'oreiller". Et de toutes ces heures à vouloir masquer ses "défauts". Pour beaucoup de françaises, ce retour à soi pourrait donc être un soulagement.

"Comme on peut se sentir plus libre sans soutif, on peut aussi se sentir plus libre sans maquillage. Surtout qu'en ce moment, on se rend compte qu'on a peut être envie d'employer notre temps à meilleur escient", poursuit l'autrice. Sur son blog, elle l'écrit d'ailleurs : "L'acceptation de soi, ça se travaille, c'est compliqué, ça prend du temps ... Mais qu'est-ce que c'est bon !".

Jamais sans ma trousse

Faut-il se maquiller comme Audrey Hepburn durant le confinement ?
Faut-il se maquiller comme Audrey Hepburn durant le confinement ?

A entendre cette tribune pleine de bon sens, on aurait vite fait de balancer eye-liner, blush et mascara. Or, c'est précisément ce qu'utilise Lou depuis son adolescence - sans oublier une pointe de rouge à lèvres bien rouge. Aujourd'hui, bien qu'en télétravail, cette jeune femme de 26 ans n'a pas tout délaissé. Il faut dire que d'habitude, elle se maquille même lorsqu'elle reste chez elle le week-end. Seules la déprime et la maladie pourraient l'empêcher de s'apprêter. "Souvent, je le fais davantage pour moi que pour les autres", nous explique-t-elle.

Le confinement n'a donc pas mis à mal ce rituel, loin de là. Mieux, il a redonné du sens au geste. A l'écouter, un simple trait suffit à affronter l'ennui et l'anxiété. A l'instar de la douche, il ouvre la journée. Permet de conserver une routine. Comme une impression de stabilité dans une période qui l'est beaucoup moins. "C'est important pour l'humeur de garder des repères, aussi futiles semblent-ils", abonde Pauline, 35 ans. Cela fait quinze ans que notre interlocutrice n'est pas sortie de chez elle sans make-up. Fond de teint, poudre, anti-cernes, crayon, liner, mascara, crayon à lèvres. Elle envisage tout cela moins comme un masque que "comme un vêtement fétiche". Une parure qui ne sert pas à cacher, mais à dévoiler, sans fard. "Je veux juste être toujours moi-même, être nette", dit-elle.

Anne Hathaway se transfigure dans "Le diable s'habille en Prada".
Anne Hathaway se transfigure dans "Le diable s'habille en Prada".

"C'est vraiment réconfortant pour la santé mentale", conclut Lou, qui a tout de même repensé son rapport au makeup : elle l'a hiérarchisé. En mettant de côté pour quelques semaines le rouge à lèvres par exemple. "J'aurais l'impression de le gâcher (il est réservé aux sorties !) et en plus ce n'est pas très pratique : il marque les tasses, s'étale si je me mordille un ongle...". Par-delà ces bribes de quotidien un brin comiques, le maquillage conserve chez celles qui le cajolent d'indéniables vertus psychologiques. Tout dépend de l'usage que l'on en fait.

Pour certaines, le make-up est une signature. Pour d'autres, c'est une transfiguration. "Quand je me maquille, je prends des plombes, je fais durer le plaisir, j'essaie d'avoir les gestes parfaits, de doser impeccablement, de faire de jolies lignes... c'est comme une peinture", nous explique Marie. Cette artiste-photographe de 28 ans se plaît à louer la force esthétique de tout ce qui s'imprègne sur nos peaux. Si l'aubaine du temps retrouvé permet de ne plus le gâcher en démaquillage ("et de pouvoir se frotter les yeux sans avoir peur de ressembler à un panda !", ironise notre interlocutrice) il induit aussi la possibilité d'un autre point de vue sur les choses du quotidien.

"Le maquillage peut être quelque chose d'assez méditatif, comme de la calligraphie (surtout quand tu dois tracer un trait d'eye-liner parfait !)", développe à ce titre Marie. Quand l'apparence se fait oeuvre d'art, rouge à lèvres et vernis s'apparentent à des soins portés à soi. Précisément ce qu'emploie Manon en confinement. La jeune femme de 25 ans nous explique pourquoi : "J'ai besoin de m'approprier mon corps, de me sentir bien avec moi-même".

Make-up et monde d'après

"Grease" et son makeup culte.
"Grease" et son makeup culte.

Difficile d'avoir le dernier mot lorsqu'il s'agit de papoter maquillage. Injonction à la féminité ou expression de soi aussi intime artistique, signe extérieur d'un consumérisme triomphant ou forme glamour d'émancipation, la trousse de beauté recouvre bien des contradictions. "J'espère ne pas être aliénée !", s'amuse d'ailleurs Lou.

Un rire jaune. Car bien souvent, celles qui brandissent gloss et poudre sont tout aussi pointées du doigt que leurs consoeurs "au naturel". On dit des femmes qui aiment se maquiller qu'elles sont trop superficielles et matérialistes, voire carrément vulgaires, comme si le droit à disposer de son corps comme on le souhaite - et à le montrer - était une obscénité. D'ailleurs, la passion que voue Marie au maquillage lui vaut le doux surnom de "pin-up".

"Si beaucoup de filles prônent un retour au naturel comme signe de beauté, j'ai l'impression qu'être trop maquillée peut être dévalorisant : on dit bien 'maquillée comme un pot de peinture' !", abonde en ce sens Lou. Ou comme un camion volé. De même, si l'adieu au soutif est un motif de libération historique (carrément révolutionnaire), "on va aussi prôner l'image de la fille sexy sans soutien-gorge, en débardeur, cheveux au vent", observe la jeune femme. Et la transgression de devenir une nouvelle injonction. Bref, que on arbore ou refuse un motif de féminité, difficile d'échapper au regard extérieur et à la manière dont il vous dénature et vous juge.

Alicia Silverstone, iconique Cher et makeup-addict dans "Clueless".
Alicia Silverstone, iconique Cher et makeup-addict dans "Clueless".

Et cette observation traverse les murs de vos espaces confinés. Bien qu'isolée, c'est toujours pour quelqu'un d'autre que soi que l'on se maquille. Difficile d'échapper aux apéros Skype, aux sollicitations sur Facetime et aux rendez-vous sur l'application Zoom. "Ce que nous vivons aujourd'hui, c'est une distanciation physique. Mais pas une distanciation sociale", avance Sylvie Borau. Une nuance de taille. Et c'est aussi pour cela que le maquillage perdure malgré tout, tandis que le marketing, de son côté, est loin de s'endormir.

"Une marque comme Sephora, par exemple, met désormais l'accent sur le cocooning et le 'temps pour soi' !", s'amuse la professeure. Elle semble toujours fine, quasiment imperceptible, cette frontière entre le mantra feel good et le slogan publicitaire. Et alors que "l'ancien monde" - celui qui vous assaille de publicités pour cosmétiques - demeure, nos habitudes de consommation ont bien du mal à être bousculées.

"Je pense que les évolutions actuelles - se débarrasser de son maquillage en fait partie - vont être à l'image des changements climatiques : tout redeviendra à la normale une fois le confinement terminé", prédit déjà Lou. A l'inverse, Sylvie Borau voit en ces interminables semaines "une retraite spirituelle forcée". Et Marie, "une pause méditative" propice à l'introspection et à l'émergence stimulante de nouveaux modes de pensée.

Comme l'adoption d'un apparat beaucoup plus éthique par exemple, loin des dérives de la fast-fashion. Gala l'observe également. "En cosmétique on en revient à tout ce qui est fait maison, il y a une vraie demande. Or, la démarche n'est plus la même quand tu fais ton maquillage toi-même", suppose l'autrice. Une alternative accentuée par cette phase d'incertitude que nous vivons. En son creux, évoque Marie, se profile cette "possibilité de remise en question" prononcée, et qui, d'une façon ou d'une autre, passe par cette cosmétique loin d'être anecdotique.