Pourquoi Betty Boop est une figure féministe

Publié le Vendredi 27 Mars 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Betty Boop, une icône féministe ?
Betty Boop, une icône féministe ?
Arte nous régale avec le diffusion de l'excellent documentaire "Betty Boop Forever". Un retour captivant sur la fameuse "BB", véritable Marilyn Monroe du cartoon, anti-Minnie Mouse, pin-up aussi sensuelle que culte. Mais surtout icône féministe. Si si !
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Poo-poo-pee-doo. Cette ritournelle vous est forcément familière. Ainsi chantonne Betty Boop, l'un des plus iconiques personnages féminins de l'univers du dessin animé américain (si ce n'est "Le"). Née dans les années trente sous le crayon de Max Fleischer, cette pin-up désinvolte accompagne les airs de jazz comme personne. Près d'un siècle plus tard, l'héroïne n'a rien perdu de sa superbe. Mieux, à l'instar d'un slogan, elle se propage. Car à l'ère #MeToo, le mythe Betty Boop se renouvelle. Et se politise jusqu'à devenir révolutionnaire.

C'est ce que nous démontre l'excellent documentaire Betty Boop Forever, diffusé ce 27 mars sur Arte à 22h15. Retraçant le parcours tumultueux d'une silhouette de papier pleine d'ambiguïtés, source de désirs libidineux pour les hommes et d'émancipation pour les femmes, ce décryptage pop mais jamais anodin laisse aussi la parole aux créatrices et militantes d'aujourd'hui histoire de démontrer que, et oui !, "Betty" est bel et bien féministe.

On vous explique pourquoi.

Parce qu'elle est libre, Max

Betty Boop, working girl libre et dynamique.
Betty Boop, working girl libre et dynamique.

Max Fleischer, animateur de génie, est donc le "papa" de Betty Boop. Au coeur des années trente, les studios Fleischer, que l'artiste a créés avec son frère Dave, la mettront en vedette dans pas moins de cent aventures animées. Singulière par son timbre de voix cristallin, son enthousiasme à toute épreuve et son look qui défie la censure (jupes courtes, robe bustier, jarretières), Betty Boop est mille et une femmes à la fois, chanteuse de cabaret mais aussi secrétaire, infirmière, institutrice... Elle s'égosille pour toutes les femmes de l'ombre, ignorées voire invisibilisées, mais aussi fantasmées par les machos - ceux-là même qui lui courent (littéralement) après.

C'est pour cela que son histoire en dit long "sur la manière nous percevons non seulement le rôle de la femme dans le monde du spectacle mais aussi dans le monde en général", affirme Jeni Mahoney, l'arrière-petite-fille de Max Fleischer. Etre en perpétuel mouvement, c'est un électron libre dans une société où la gent féminine a rarement le rôle principal. Anti-Minnie Mouse, cette célibataire n'attend pas que son chevalier servant vienne à sa rescousse. Et puis quoi encore ? "Elle vit sa vie comme elle veut la vivre et s'amuse", se réjouit la chanteuse Melissa Laveaux.

"Ce que j'apprécie chez elle c'est cette espèce d'insouciance qui la caractérise. Peu importe ce qui lui arrive, elle est du genre : c'est pas grave, je vais faire ce que j'ai à faire !", ajoute l'autrice-compositrice et chanteuse Viktoria Modesta. C'est ça, la Boop touch : apporter à l'Amérique désoeuvrée des Trente Glorieuses l'optimisme qui lui manque. Alors que la société consumériste des années cinquante érigera en modèle hégémonique la "ménagère parfaite", Betty Boop porte sur elle la détermination des working girls émancipées et insaisissables.

Parce qu'elle fait de son corps une arme

"BB", celle qui balance les (vrais) porcs.
"BB", celle qui balance les (vrais) porcs.

Une indépendante, oui, au grand dam de ces messieurs. Loin d'éluder les zones d'ombre, Betty Boop Forever met en évidence l'ambiguïté d'un personnage qui ne cesse d'être tiraillé entre sa liberté (propre au pouvoir transgressif du cartoon) et sa fétichisation par les hommes, qu'ils soient scénaristes, animateurs ou spectateurs. Oui, Betty Boop n'échappe pas au male gaze, ce regard masculin qui objectifie le corps des femmes et en fait la source de désirs voyeuristes. "Les hommes n'ont qu'une seule idée en tête : la posséder", nous dit-on d'emblée.

Alors que ceux qui la font vivre se plaisent toujours à la dénuder (avec la plus grande gratuité) son aspect "femme-enfant" (sa tête disproportionnée de bébé en évidence) la consacre en lolita, et ce vingt ans avant la publication du roman éponyme de Vladimir Nabokov. Un épisode "anniversaire" lui fait d'ailleurs souffler... treize bougies seulement. Le mystère de l'âge suggère cette malheureuse et inévitable question : assiste-t-on à la sexualisation d'une ado ? Ce trouble, les interlocutrices de Betty Boop Forever en ont conscience. Mais, insistent-elles, il faut aussi observer la manière dont cette stakhanoviste aux grands yeux noirs use de ce corps : comme d'une arme.

"C'est une pin-up au look extrêmement coquin pour l'époque, culottée et téméraire", explique la créatrice de mode Chantal Thomas, qui voit en elle l'archétype de la garçonne, "ces femmes libres qui montrent leurs jambes". Betty Boop est un produit de la libido masculine : ses premières tribulations la montrent grimée... en chienne ! Mais c'est par ce physique qu'elle ferme des clapets, se retrouvant parfois confrontée à de vrais porcs, qu'elle n'hésite pas à balancer. "Betty a ses propres envies et pulsions, et ça c'est très féministe", corrobore Mélissa Laveaux.

Sa féminité n'est en rien indissociable de son empowerment. D'ailleurs, le documentaire voit en ses enjambées enthousiastes celles des Suffragettes, ces militantes britanniques qui, dix ans avant la création de "BB", défilaient dans les rues afin de réclamer le droit de vote. Aux bouches de ces activistes ? Un rouge à lèvres flamboyant.

Parce qu'elle scande : "Moi aussi !"

La magnifique Une du New Yorker : Betty Boop scande #MeToo.
La magnifique Une du New Yorker : Betty Boop scande #MeToo.

Loin des babines des loups qui la contemplent, Boop va s'émanciper. Le 27 novembre 2017, la pin-up se retrouve en couverture du prestigieux New Yorker. Signée Barry Blitt, l'illustration la représente, horrifiée, face à un homme, de dos, qui ouvre son peignoir sous ses yeux craintifs. Sur l'esquisse, Betty Boop est géante, et l'agresseur petit, misérable : il n'est rien. Vous le devinez, il s'agit d'Harvey Weinstein. A l'époque, le mogul d'Hollywood, emporté par la vague #MeToo, n'a encore vécu ni procès, ni verdict - 23 ans d'emprisonnement. L'on ne sait s'il est possible de détrôner cet intouchable. Et les paroles des accusatrices seront largement remises en question.

Parmi celles qui font face au producteur surpuissant, il y aura Alyssa Milano, Rose McGowan, Rosanna Arquette, et donc l'indémodable Betty, dont les tenues légères ont si souvent été glosées par le misogynes. De "créature de rêve" pensée par des hommes, elle se fait soudainement voix des femmes. Les stéréotypes qu'elle a toujours incarnés avec décalage (pin-up, starlette, secrétaire, lolita) ne sont plus un poids, mais une puissance révélant les rapports d'autorité inhérents à l'industrie hollywoodienne, entre harcèlement et culture du viol.

Il y a quelque chose de beau à envisager en Betty Boop, cette "baby pop" qu'aurait pu chanter France Gall, une figure aussi éloquente que Rosie la riveteuse. Quand les militantes se réapproprient la création de Max Fleischer, elles la libèrent définitivement du poids du "male gaze" au profit de déclinaisons stimulantes à souhait.

Par son héritage "girl power"

Marilyn Monroe, Betty Boop de chair et d'os ?
Marilyn Monroe, Betty Boop de chair et d'os ?

Et puis, que dire de toutes les héritières de Betty Boop ? Elles incarnent comme elle le pouvoir d'une féminité ravageuse qui obsède les hommes aussi bien qu'elle les renverse, prouvant que les femmes n'ont vraiment rien d'un "sexe faible". On pense évidemment à la fascinante Marilyn Monroe, comédienne rayonnante et tragique qui reprendra bien des gimmicks "poupoupidesques" de ce lointain avatar animé, mais aussi à la pulpeuse Jessica Rabbit, femme fatale mise en vedette par le long-métrage Qui veut la peau de Roger Rabbit, ou encore à l'autre "BB", la Brigitte Bardot qui, dans les années cinquante et soixante, a tant défrayé la chronique médiatique.

De même, des mannequins et performeuses volontiers subversives comme Betty Page et Dita Von Teese ne se privaient pas de revendiquer l'influence de Betty Boop. Celle-ci a révélé, au gré des décennies, la portée politique trop ignorée des pin-up. Et c'est ce que dévoile, entre autres choses bien sûr, cet indispensable documentaire.

Betty Boop Forever, documentaire de Claire Duguet

Diffusion sur ARTE le vendredi 27 mars 2020 à 22h20 et disponible en replay ici