Ces révolutions féminines qui ont bousculé la décennie

Publié le Mardi 31 Décembre 2019
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Les slogans puissants et féministes de la marche #NousToutes.
Les slogans puissants et féministes de la marche #NousToutes.
La décennie qui s'achève fut celle de l'indignation et des révoltes. Partout à travers le monde, ce sont les femmes qui sont venues bousculer l'oppression et éveiller les consciences. Petit coup de rétro sur dix ans d'insurrections au féminin.
À lire aussi

"Révolution" est un mot féminin, et cela n'a rien d'anodin. Car ces dix dernières années ont été celles des révoltes féminines - et féministes. Qu'il s'agisse de défendre la dignité humaine ou le respect de la planète, les libertés individuelles et la démocratie, de balancer des porcs et des tyrans, les femmes ont toujours été là, aux premiers rangs, le poing levé. Et ce aux quatre coins du monde. La preuve en un petit coup de rétro, qui nous rappelle (si vous l'ignoriez encore) que la décennie suivante sera plus que jamais celle des militantes.

Les révolutionnaires du Printemps Arabe

Au fil des nombreuses contestations populaires qui ont façonné ce que l'on nomme "le Printemps Arabe" (en référence au "Printemps des Peuples"), les femmes ont tenu un rôle de première importance. Depuis les soulèvements initiaux - la révolution tunisienne de décembre 2010 - elles étaient présentes, protestant dans la rue (et par l'activisme digital) pour la défense des libertés individuelles et de la démocratie, contre les régimes répressifs et la misère économique. Quitte à déstabiliser un pouvoir largement patriarcal.

Parmi elles, l'emblématique Tawakkol Karman, surnommée "la Mère de la révolution". En 2011, la militante yéménite (et créatrice du collectif Femmes journalistes sans chaînes) prend part aux révolutions du Printemps Arabe. Son engagement l'honore : elle est couronné par le Prix Nobel de la paix. Dans un texte mis en ligne sur le site des Nations Unies, elle persiste et signe : "Le rassemblement des femmes dans les rues et les jardins publics du monde arabe restera longtemps gravé dans la mémoire collective. Ces scènes envoyaient un signal important de l'évolution de la société arabe. Dans les pays traversés par le Printemps arabe, diverses formes de libertés se sont développées, y compris la liberté d'expression, la liberté de réunion et d'association, la liberté de la presse et la liberté de manifestation. Les femmes, de même que les hommes, doivent comprendre que tout a changé".

La "Slutwalk", un cri contre la culture du viol

Amber Rose - Les célébrités lors de 'La marche des salopes' organisée par Amber Rose à Los Angeles, le 1er octobre 2017
Amber Rose - Les célébrités lors de 'La marche des salopes' organisée par Amber Rose à Los Angeles, le 1er octobre 2017

Slutwalk. Un nom qui claque. Traduction ? La marche des salopes. C'est dans les rues pavées de Toronto qu'éclot ce mouvement féministe majeur. Le 3 avril 2011, les manifestantes canadiennes protestent contre les violences sexistes et sexuelles. Elles s'indignent contre le slut-shaming et le victim blaming, taclant aussi bien les remarques sur le physique que le harcèlement. Bref, les SlutWalks sont importantes pour comprendre ce qu'est la culture du viol et ce qu'elle fait subir aux femmes depuis toujours. Au fil des années, la vague va se poursuivre de la Suisse à Los Angeles (où s'érige en figure de proue l'actrice et ancienne strip-teaseuse Amber Rose).

La puissance punk des Pussy Riot




Maria Alekhina des "Pussy Riot" en juillet 2018.
Maria Alekhina des "Pussy Riot" en juillet 2018.

Avant d'être un mot sali par le macho en chef (Donald Trump, s'enorgueillissant "d'attraper les femmes par la chatte"), "pussy" résonne à nos oreilles comme un puissant cri militant et fédérateur. Et ce grâce aux Pussy Riot ("émeute de chattes" en français), ce groupe punk russe devenu en quelques années l'emblème de la contestation féministe à travers le monde. Depuis sa formation en 2011 et son admirable prise de position contre la campagne de Vladimir Poutine en 2012, le groupe s'est fait remarquer par ses "happenings" très médiatisés, comme leur "prière punk" au sein de la cathédrale du Christ-Sauveur (à Moscou).

Des cagoules flashy, des performances qualifiées "d'exhibitionnistes", un art de la subversion profondément rock, une véhémence assumée contre les régimes fascistes... Les Pussy Riot choquent l'opinion publique et bousculent le pouvoir - qui bien souvent procède à leur arrestation et à leur emprisonnement. Mais il en faut plus pour stopper l'émeute. En juillet dernier, le groupe livrait un concert en Alabama afin de protester contre la (très) sévère législation anti-avortement. De toutes les chattes ça parle mal, alors gare aux coups de griffes.

La force du mouvement Black Lives Matter

Aux Etats-Unis, les marches de "Black Lives Matter".
Aux Etats-Unis, les marches de "Black Lives Matter".

Aux prémices de ce mouvement militant afro-américain qui a fait date, l'on trouve trois femmes en quête de justice sociale : Alicia Garza (instigatrice du hashtag initial), Patrisse Cullors et Opal Tometi. Les mobilisations massives de Black Lives Matter ("les vies des noirs comptent") éclosent de l'acquittement en 2013 de George Zimmerman, l'assassin de l'adolescent noir Trayvon Martin. Une tragédie qui en cache des milliers d'autres, au sein d'un pays meurtri par les discriminations, la brutalité policière et les crimes racistes. Alors que depuis cinq ans déjà les morts suspectes d'activistes de Black Lives Matter s'accumulent, la colère, elle, ne s'est pas tarie. "Nous avons pu inspirer toute une nouvelle génération, non seulement aux États-Unis, mais dans le monde entier !", se réjouissait encore Patrisse Cullors l'an dernier.

La déferlante #MeToo

#MeToo est né en 2006, lorsque l'activiste et travailleuse sociale Tarana Burke a décoché ces deux mots en forme d'assertion ("moi aussi") afin d'apporter son soutien aux victimes d'agression sexuelle. C'est également pour soutenir les femmes (et dénoncer leurs agresseurs impunis) que l'actrice Alyssa Milano a diffusé ce mot-clé sur les réseaux sociaux en octobre 2017. Employé par Milano (mais également Ashley Judd et Asia Argento) pour révéler les agissements du producteur déchu Harvey Weinstein, aujourd'hui accusé d'avoir harcelé, agressé et violé près d'une centaine de comédiennes et anciennes employées, #MeToo s'est largement viralisé.

C'est cet hashtag que l'on retrouve lorsque l'acteur Kevin Spacey est accusé en novembre 2017 d'harcèlement et d'agression sexuelle envers de jeunes hommes. C'est également "#MeToo" que scande Taylor Swift en épinglant les violences sexistes de l'industrie musicale. C'est encore ce mot que l'on retrouve, des réseaux sociaux aux médias, lorsque l'actrice Sand Van Roy accuse le producteur Luc Besson d'agression sexuelle, et que l'actrice française Adèle Haenel accuse le réalisateur Christophe Ruggia d'harcèlement et attouchement sexuels. Aux quatre coins du globe, #MeToo dit la nécessité d'une parole enfin libérée. La peur doit changer de camp.

Le 13 octobre 2017, la journaliste Sandra Muller fut l'initiatrice de son équivalent français, le bien nommé #BalanceTonPorc. Un hashtag primordial qui a entraîné derrière lui toutes sortes de témoignages, relayés sur Twitter. Des voix de femmes encore malmenées - elles seraient inaudibles, calomnieuses. Mais que plus personne ne pourra ignorer.

Pussy Power ! : La Women's March de Washington

Balance ton porc ! C'est aussi ce que se disent les centaines de milliers de femmes qui, le 21 janvier 2017, défilent le long de Washington, afin de dénoncer l'investiture de Donald Trump, misogyne milliardaire et 45ème président des États-Unis. Au coeur de cette Women's March riche en slogans fédérateurs, un symbole : le "Pussy hat". Soit un petit bonnet de chaton couleur rose bonbon distribué par le collectif féministe du "Pussy hat project". Ou comment renvoyer (avec beaucoup de dérision) l'homme le plus puissant au monde à l'une de ses plus écoeurantes tirades : "les femmes, il faut les attraper par la chatte" ("Grab them by the pussy"). Et rappeler à Donald Trump que toutes celles qu'il insulte finiront bien par le renverser.

March of Our Lives, l'adieu aux armes

Les "Marches pour nos vies", ou le fléau des armes à feu aux Etats-Unis.
Les "Marches pour nos vies", ou le fléau des armes à feu aux Etats-Unis.

Plus jamais ça. C'est le cri des manifestantes et manifestants qui, le 24 mars 2018, ont battu le pavé à travers les Etats-Unis afin de dénoncer le contrôle (très) insuffisant des armes à feu en Amérique. Parmi ces protestations, celle de la jeune et très éloquente Emma González. Cette activiste de vingt ans est l'une des survivantes de la tuerie survenue en 2018 au lycée Marjory Stoneman Douglas de Parkland. 17 de ses camarades sont morts ce jour-là. Depuis, elle ne cesse de se battre pour une législation plus stricte des armes à feu. Et n'hésite pas à prendre à parti un Président loin d'être réticent à leur circulation comme à leur usage.

"Balance ton quoi" : les marches #NousToutes

Le 24 novembre 2018, le collectif féministe #NousToutes lance un mouvement de mobilisation grandiose à travers toute la France. Une marche pour dénoncer haut et fort les violences sexistes et sexuelles. Un an plus tard, un second événement est organisé, historique : il rassemblera plus de 150 000 personnes en France. Harcèlement, agressions, culture du viol, féminicides (plus de 150 comptabilisés en France en 2019) : cette mobilisation sororale est un gigantesque cri, d'indignation et d'alarme, adressé (entre autres) à un gouvernement jugé trop inactif si ce n'est méprisant quand il s'agit de protéger les femmes. Au fil des foules, un son revient, fédérateur : le "Balance ton quoi" de la chanteuse Angèle.

"Une fille qui l'ouvre, ça serait normal"...

"Un violador en tu camino" : la révolte des Chiliennes

Au Chili, les citoyennes militent depuis 2018 pour dénoncer l'oppression machiste, l'inégalité des sexes et les violences faites aux femmes. Seins nus, les yeux bandés, une main rouge peinte sur le visage... En novembre 2019, le collectif féministe Las Tesis est venu enrichir cet imaginaire contestataire : afin de faire entendre la réalité des féminicides, l'impunité des agresseurs, mais également la brutalité policière, des dizaines de manifestantes ont entonné, main dans la main et chorégraphie à l'appui, d'incroyables slogans : "Le patriarcat est un juge qui nous reproche d'être nées". "Notre punition, c'est les féminicides". "C'est le viol" . "Et le coupable ce n'était pas moi, ni où j'étais, ni comment je m'habillais...". Le mot d'ordre de ces femmes révoltées ? Un violador en tu camino. Un violeur sur ton chemin. Des paroles reprises de Paris à Berlin et de Londres à New York. Le mouvement s'étend !

La "marée verte" d'Argentine

C'est une véritable "marée verte", faite de dizaines de milliers de foulards brandis vers le ciel. Impossible d'oublier les manifestations massives des citoyennes argentines aux pieds du Congrès en 2018. Toutes ces femmes sont descendues dans la rue afin de s'opposer aux propositions de loi anti-avortement émises par le Parlement. Soutenue par des personnalités comme Pedro Almodovar et Penelope Cruz, cette grande lutte populaire démontre qu'il ne faut jamais baisser la garde lorsque le droit à l'IVG se voit menacé.

Le mouvement #KuToo au Japon : bas les talons !

C'est un élan de contestation qui résonne comme "#MeToo". On le doit à l'actrice japonaise Yumi Ishikawa. En lançant le mouvement #KuToo (contraction des mots "chaussure" et "douleur" en japonais) en juin 2019, la jeune comédienne s'est faite la voix de milliers de concitoyennes, indignées, comme elle, par l'obligation du port des chaussures à talons au sein des entreprises japonaises. C'est contre cette injonction sexiste que se bat l'artiste. Pour que les femmes puissent librement disposer de leurs corps. Et que leurs employeurs comprennent que leur domination ne sera jamais totale. Une belle avancée pour l'égalité professionnelle. #KuToo est un élan nécessaire : au Japon, il figure désormais dans la liste des mots de l'année.

Le poing levé : la révolte des femmes soudanaise

Les femmes n'ont jamais été les figurantes des nombreuses protestations menées par le peuple soudanais à l'encontre du régime d'Omar el-Béchir (aujourd'hui destitué). En avril 2019, une image particulièrement marquante le démontrait. Sur cette photographie massivement relayée, l'on voit une manifestante Soudanaise qui lève le bras, vêtue d'une tunique blanche, sous les hourras (et les téléphones brandis) des foules alentours. Il n'en fallait pas plus pour ériger cette jeune étudiante dénommée Alaa Salah en figure de la révolution. Quoi de plus éloquent, pour un peuple en prise avec l'oppression, qu'une femme qui se bat pour sa liberté ?

L'indignation verte de "Youth for Climate"

"Youth for Climate", et l'emblématique Greta Thunberg.
"Youth for Climate", et l'emblématique Greta Thunberg.

Youth for Climate (la jeunesse pour le climat) incarne, en partie, l'avenir de toutes les militances. Porté par l'activiste suédoise Greta Thunberg (seize ans seulement et déjà personnalité de l'année), ce mouvement de mobilisation mondial tend à alarmer les dirigeants et à éveiller l'opinion publique. Depuis sa création en décembre 2018, Youth for Climate met l'accent sur l'urgence de la prise de conscience écologiste. Si le réchauffement climatique fait du mal à la planète, il violente notamment les femmes et les enfants. Et sans surprise, ce sont de jeunes femmes que l'on retrouve bien souvent en tête des manifestations. L'avenir leur appartient. Et 2020 sera leur année.