Catherine Deneuve livre le rôle d'une vie (parmi mille autres, car c'est Catherine Deneuve), dans ce chef d'œuvre surréaliste et provocateur traitant de travailleuses du sexe, de BDSM (bien avant Cinquante nuances de Grey), de plaisir et de fantasmes au féminin, de projections (dans tous les sens du terme) et de subversion.
A revoir gratuitement en ligne, c'est un continuel vecteur à controverses, qui n'a de cesse de fasciner critiques et public plus de 50 ans après son agitée réception en salles. On parle là bien évidemment de l'inépuisable Belle de jour, adaptation par Luis Bunuel, apôtre du Surréalisme à la André Breton, des écrits de Joseph Kessel, et partition d'anthologie pour la grande Deneuve, qui incarne à l'écran une jeune bourgeoise "pervertie" par ses fantasmes et progressivement objet des désirs d'autrui.
En devenant travailleuse du sexe, cette "Belle de jour", Séverine de son vrai nom, qui passe ses journées à osciller entre actes sexuels et rêveries, tant et si bien que les deux se confondent, semble rétorquer à l'ennui vertigineux qui définit sa vie. Fable satirique, manifeste féministe, bijou d'ambiguïté, ou gros fantasme masculin empreint de male gaze ?
Fantasmes, comme cette séquence d'introduction si marquante, où Catherine Deneuve voit ses vêtements arrachés par son époux, avant d'être attachée à un arbre, et fouettée inlassablement. Un rêve, en vérité.
Encore aujourd'hui, Belle de jour suscite la controverse, et c'est bien pour alimenter les discussions hivernales que Arte vous le propose gratuitement, sur cette page. Vous auriez tort de passer outre : on vous raconte pourquoi.
Catherine Deneuve hante de son envergure emblématique, sa blondeur diaphane, et sa beauté glaciale, ce portrait de femme à nulle autre pareil. Qui a toujours suscité de vives polémiques, au vu du regard qu'il destine à la gent féminine.
"Par Buñuel, une étude au scalpel du masochisme et de la frustration de la bourgeoisie, avec Catherine Deneuve et Michel Piccoli.", dixit Arte, qui le met en ligne gratuitement. "Tout le film oscille entre deux pôles : normalité et perversion, vulgarité et raffinement, sentiment et plaisir. Au-delà d'une réflexion sur la transgression, l'intérêt du film de Buñuel réside dans les séquences oniriques qui contaminent de bout en bout la narration. La vie de Séverine n'est-elle pas, en fin de compte, un long fantasme, surgi des abîmes d'une sexualité refoulée ?"
"Adoptant un style délibérément roman-photo, avec cette héroïne trop blonde et trop belle, ce mari boy-scout, ce bordel où se déclinent toutes les perversions, le cinéaste s'attache à gommer systématiquement les frontières entre réalité et fiction. Une œuvre devenue un classique, qui n'attire plus comme autrefois les foudres des censeurs, mais n'a rien perdu de son caractère sulfureux".
D'aucuns voient en ce classique onirique et provocateur une ode à la complexité féminine, qui se focalise complètement sur les pensées de sa protagoniste, aussi nébuleuses et ambiguës soient-elles. On est donc là carrément dans le "female gaze", une sorte de condensé de l'expérience féminine. C'est ainsi que le définit dans son ouvrage Le regard féminin la critique cinéma Iris Brey, en s'inspirant du concept de Laura Mulvey. Quand on parle de female gaze, il est toujours question de représentation du désir et de la sexualité. L'intime est politique : plus qu'un mantra, un slogan féministe. Qui convient si bien à Belle de jour.
Mais d'un autre côté, les fantasmes que cristallise l'oeuvre de Bunuel sont empreints d'une libido typiquement masculine. Pour cause, ils font écho à une vision très fantasmagorique du désir des femmes, de la zone "trouble", d'une certaine zone grise qui existerait dans l'inconscient féminin, un concept largement imaginé par les hommes, toujours à deux doigts d'être problématique - à une époque où on va beaucoup et à raison fustiger la représentation, ou non, du consentement.
Ce qui évite justement à ce chef d'oeuvre de se complaire dans un certain sexisme voire une misogynie, c'est son irréalité assumée, ce parfum d'étrangeté qui a toujours défini l'art de Luis Bunuel. Et la performance intense bien que toute en intériorité de Catherine Deneuve, qui la même décennie, offrait à l'histoire du cinéma l'un de ses plus grands personnages féministes : Delphine dans Les Demoiselles de Rochefort.