Portrait de la jeune fille en feu est un chef d'oeuvre.
Et il est à revoir gratuitement sur la plateforme de francetv, sept ans après sa très remarquée sortie en salles, et son accueil élogieux à Cannes, où la critique n'avait alors d'yeux que pour l'incandescente Adèle Haenel - il suffit simplement de vous inscrire, ou vous connecter, puis de vous rendre sur cette page.
Mais une fois cela dit, qu'ajouter au juste sur le plus grand film de la carrière de la cinéaste Céline Sciamma ? Et bien, vous expliquer pourquoi ce film est indispensable à votre vie de spectateur ou spectatrice, tout simplement.
En cinq raisons.
Que nous raconte cette immersion sur les plages bretonnes ?
La rencontre révolutionnaire entre une peintre et son modèle. Les deux jeunes femmes collaborent ensemble l'espace de ce fameux tableau : Portrait de la jeune fille en feu. Jeux de regards, phrases aux sous-entendus disparates, sensualité, et bientôt : amour flamboyant. Film en costumes, Portrait de la jeune fille en feu se revendique comme une grande romance déchirante, inspirée par La leçon de piano et... Titanic (oui oui !). En plus queer puisqu'il s'agit bien là d'une idylle lesbienne.
Mais alors qui est Léo, et qui est Kate ? Ce qui importe surtout, c'est la délicatesse avec laquelle cette passion est mise en images. Les mots y sont parfois plus charnels que les corps. Loin d'être très graphique, la sexualité s'y énonce en fragments poétiques : plans sur des aisselles, des yeux émus, mise en scène artistique des corps nus, positionnement théâtral des comédiennes. Tout est d'une subtilité dont la douceur n'a d'égale que l'intensité.
Et au final, c'est notre coeur qui est broyé.
De quoi parle Portrait de la jeune fille en feu ?
Du regard. De notre regard, et celui de l'artiste, qu'elle soit peintre ou réalisatrice. La relation entre la muse et celle qui la figure sur la toile est une allégorie des rapports entre cinéaste et actrice. Quels jeux de pouvoir s'envisagent ? Quel rapport de force ? Quelle forme de désir ? Interrogations d'autant plus limpides ici qu'Adèle Haenel, la jeune fille en feu du titre, est l'ex compagne de Céline Sciamma, la réalisatrice.
Sciamma, qui dans ce film, redouble de précision. Tous les plans y sont réfléchis. Cadrages très pensés, manière de saisir les regards, la scénographie, le langage des corps. Et à travers tout cela, notre propre position, à nous, public : acteur, admirateur, voyeur ? En questionnant la manière dont le cinéma saisit ses actrices et leurs désirs, Sciamma propose l'un des premiers chefs d'oeuvre post-#MeToo. Et dédie des scènes aussi bien à la santé sexuelle qu'à l'amour entre femmes, avec la même envie de déjouer les codes et les stéréotypes.
Tout en célébrant une forme de sororité salutaire. C'est fort.
Portrait de la jeune fille en feu est une visite au musée.
Et s'achève d'ailleurs dans une galerie d'art. La photographie, signée Claire Mathon, Césarisée pour ce film, y est d'une stupéfiante beauté.
Chaque plan est une toile. On peut même décomposer l'oeuvre comme un gigantesque story-board, et s'apercevoir de la splendeur de la moindre image. Cela correspond naturellement à l'oeil de sa protagoniste, une artiste-peintre, mais également, aux influences diverses du film, comme le cinéma, lui aussi très esthétique et contemplatif, de Jane Campion, l'une des très rares réalisatrices lauréates de la Palme d'or.
On reste en état d'hypnose face au syndrome de Stendhal que représente cette love story : une ode à la nature (bretonne) qui vient transcender l'amour déjà dévorant de ses personnages. Soir-dit en passant, les tableaux exposés sont signés d'une vraie artiste, dont vous pouvez retrouver les oeuvres sur Instagram : Hélène Delmaire.
"On aime les tableaux romantiques et fiévreux, aussi bien riches de sens que sensuels, de cette créatrice qui sait si bien saisir la force des visages et des corps", a-t-on écrit sur Terra à son sujet. "L'intensité, elle est indéniable dans ces toiles. Visages que l'on cache, mains qui s'agitent, silhouettes qui s'effacent, corps tour à tour figés et insaisissables, traits cinglants qui semblent avoir été décochés sur les faces de certains personnages comme des signatures, les traces d'un passage éphémère..."
© Le Pacte
Adèle Haenel est devenue une icône de lutte féministe.
Des manifestations contre les violences sexistes et sexuelles à son engagement récent pour la cause palestinienne, elle est de tous les combats.
Et tout comme Naissances des pieuvres fut une étape déterminante dans sa carrière, ce film de la même réalisatrice, Céline Sciamma, est un tournant. Adèle Haenel y impose son charisme, cette force qu'elle retient en elle, une fièvre qui fait l'intensité de beaucoup de ses performances - du cinéma des frères Dardenne à celui de Robin Campillo - 120 battements par minute.
Face à Noémie Merlant, dans cet échange d'égale à égale, elle impressionne par sa justesse, qui tient autant à l'intonation de sa voix - indispensable quand on incarne un modèle, immobile - qu'à la façon dont elle tait, puis libère, ses émotions. A l'image du flot tantôt calme tantôt tempétueux des mers alentours. Une fois océan agité par le vent, une autre, phare dans la nuit. Un César n'aurait pas été de trop.
Plus qu'un film : un phénomène.
Phénomène culturel, social, politique...
Portrait de la jeune fille en feu sort en 2019. La même année, Adèle Haenel accuse le cinéaste Christophe Ruggia de violences sexuelles à son encontre, alors qu'elle était encore adolescente. Elle devient une figure de proue du mouvement #MeToo en France, deux ans seulement après le lancement de cette révolution féministe à Hollywood. Dès lors, Adèle Haenel se retrouve érigée en modèle, et en source inépuisable de slogans, dans les manifestations féministes.
Et avec elle, cette Jeune fille en feu, et le nom de sa cinéaste Céline Sciamma. Ecriteaux, chants sororaux, hommages divers à ce film, ne feront que s'exacerber, lorsque la même année, Haenel quittera la cérémonie des César suite au sacre de Roman Polanski (meilleur réalisateur pour J'accuse), en criant : "La honte !". Une sortie flamboyante, fort logiquement. Indissociable de ce film et de son retentissement mondial (il sera même parodié en sketch par Amy Schumer !) Adèle Haenel en fait d'autant plus, un manifeste qui en vient à échapper à son instigatrice.
Qui, quelque part, ne s'est jamais vraiment remise, six ans plus tard, de ce phénomène.