Adèle Exarchopoulos y est admirable de véracité.
Je verrai toujours vos visages, le second long-métrage de Jeanne Herry, est disponible gratuitement sur le site de francetv. Pour cela, rien de plus simple, il suffit de se connecter, ou s'inscrire gratuitement à la plateforme - ou bien, de chercher francetv sur la fonction replay de votre box, en cas de visionnage sur télévision. Le film, bien que relativement ignoré par les César en son temps, a valu à l'actrice une statuette de la meilleure actrice.
Elle qui avait déjà été sacrée, la décennie précédente, pour sa révélation époustouflante dans La vie d'Adèle.
Je verrai toujours vos visages est une immersion inédite : on nous plonge dans le dispositif de "justice restaurative" qui réunit auteurs de délits et victimes. Façon table ronde, dialogues, concertation et introspection. Avec l'hypothèse du pardon, en bout de course, un mot qui fait d'ailleurs l'objet de l'une des plus fortes séquences de ce drame choral : un dialogue entre Elodie Bouchez et Adèle... Mais c'est encore à un autre moment, intense, que l'on pense immédiatement, en sortie de séance.
La cinéaste Jeanne Herry nous avait dévoilé l'envers de son film pour Terrafemina...
Jeanne Herry avait dévoilé les coulisses de ce film important, et féministe, pour Terrafemina. Dans une interview à retrouver en intégralité ici.
Adèle Exarchopoulos, Césarisée pour ce rôle, y incarne Chloé une victime d'inceste, dont l'intrigue s'énonce en parallèle des situations d'autres victimes de violences (Gilles Lellouche, Dali Benssalah, Leila Bekhti, Miou Miou). Chloé, l'âme du film...
Qui tout au long du métrage attend la "confrontation" avec son propre frère, incarné par Raphael Quenard. Laquelle aura lieu lors d'une conclusion particulièrement anxiogène, choc, bouleversante, où les deux semblent s'exprimer dans le lointain, comme séparés par un mur Chaque réplique compte, semble précise, cinglante, étouffée par l'émotion.
On se souvient tous de cette scène. Mais qu'en dit la cinéaste ?
"Je ne pense que sa parole, au personnage d'Adèle, échoue à la fin... Chloé arrive avec une demande très claire (arriver à cohabiter dans la même ville que son frère sans le croiser), et en ce sens le dispositif respecte tout à fait sa demande. La justice restaurative s'applique à répondre à des demandes sans présupposer pour autant quelle demande serait la meilleure pour les personnes concernées.
Certains choisissent le dispositif pour se demander pardon, comprendre, se mettre d'accord sur des points très précis, poser une seule question ou à l'inverse engager un dialogue profond. Le but de la justice restaurative, ce n'est pas de réconcilier les gens entre eux. C'est de favoriser un apaisement.
Au fond, le contrat est rempli : la justice restaurative vient répondre aux demandes de la victime. Mais celles de Benjamin, dans le film, elles, ne sont pas tout à fait compatibles avec les demandes de Chloé..."
Pour la réalisatrice, c'est une séquence ambivalente, mais qui est également une sorte de libération pour le personnage bouleversant de Chloé, alors même que l'on pourrait penser que le personnage de Benjamin, l'agresseur, n'a rien retenu de la souffrance de sa soeur. La cinéaste souhaite nuancer cette analyse.
Elle relate encore, à Terrafemina : "Durant cette scène, son frère Benjamin lui dit : "Je ne t'en veux plus". Et il le fait de manière sincère, le plus naturellement du monde. Les agresseurs se vivent souvent eux mêmes comme des victimes effectivement. Selon eux, ils n'avaient pas le choix, on les a poussés à bout, ils ont toutes sortes d'arguments... Ca prend du temps de déconstruire tout ça. Ca s'appelle de la responsabilisation.
Or on observe un manque effroyable de responsabilisation côté auteurs dans le cas des agressions sexuelles, c'est important de le rappeler. Je pense que le personnage d'Adèle va parvenir à mieux vivre après cette scène, pourquoi pas tourner une page. Mais quant à son frère, il y a encore du boulot ! Peut être n'y arrivera-t-il jamais. A l'inverse, ce n'est peut être que le début du travail pour lui. Au fond, c'est un final positif..."
Le film de Jeanne Herry était reparti avec une autre distinction : le César des lycéens, dont l'attribution est décidée par plusieurs établissements. "C'est un film amené sur fond de tristesse... Mais qui mène finalement vers l'espoir. Et ce tout en étant restant très lucide. Merci Jeanne Herry, de démontrer à toutes les victimes du monde réel qu'à l'image de vos personnages, il est possible de se reconstruire", s'étaient exprimés ceux-ci, face à l'équipe du film, lors de la remise du prix, au Grand Rex.