Pourquoi a-t-on aussi peur des femmes musclées ?

Publié le Mercredi 31 Août 2022
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
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Il a suffi que Nicole Kidman pose pour le magazine Perfect, tout muscle dehors, pour susciter l'ire des machos sur la Toile. Un phénomène qui en dit long sur le sexisme que subissent les femmes musclées.
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Elle pète la classe, Nicole Kidman. L'espace d'une séance photos assurée par Zhong Lin pour le magazine Perfect, la star australienne a posé biscoteaux bien en évidence, arborant un corps étonnement musclé. On a déjà vu moins badass. Malheureusement, ce shooting en mode bodybuilding a également fait bondir les sexistes.

Bien des internautes y sont effectivement allés de leur commentaire : Nicole Kidman serait "trop musclée", pas assez glamour, ridicule, ou plus encore, elle "ressemblerait à un homme". Des remarques que subissent couramment les femmes adeptes du fitness et de la salle de gym. Et c'est plutôt déplorable, alors que notre culture populaire ne manque pourtant pas de femmes musclées – du côté du cinéma d'action américain notamment.

Un sexisme qui touche toutes les cultures

Faudrait-il croire que les muscles seraient genrés ? On est en droit de se poser la question quand une actrice qui affiche fièrement son corps engendre de telles réactions. D'autant plus que Nicole Kidman n'est que l'arbre qui cache la forêt. Impossible de ne pas penser aux remarques tout aussi relous dont a pu faire l'objet Serena Williams, la superchampionne de tennis à l'imminente retraite. Son corps musclé a bien souvent été la cible des machos anonymes. Hélas, les sportives de haut niveau reçoivent trop souvent leur lot de remarques évaluant leur physique.

Mais ce fut également le gars d'Halle Berry, récemment revenue sur le devant de la scène dans la peau d'une combattante de MMA (ou arts martiaux mixtes) qui botte des fesses. Dans le registre de la femme d'action, une actrice comme Charlize Theron elle aussi n'a jamais craint de montrer ses muscles. Au sein d'une culture américaine qui érige pourtant en icône absolue la Sarah Connor très musclée et vénér à souhait de Terminator 2, celles qui revendiquent une force similaire ne sont pas toujours les bienvenues.

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Et pas simplement outre-Atlantique. Le Times of India l'a relevé : en Inde, les femmes musclées sont jugées pour la simple raison qu'elles ne correspondent pas "aux normes de beauté typiques établies dans la société indienne". Et ce en dépit du fait que de plus en plus de femmes investissent les gymnases et s'exercent aux pratiques athlétiques.

Même pas besoin d'être en chair et en os pour être harcelée. En 2020, relève Libération, la sortie du jeu vidéo The Last Of Us II se voyait accueillie par une horde de machos sur les réseaux sociaux. La cause ? Le personnage d'Abby y arborait un corps... "trop musclé" aux yeux de certains gamers. Abby n'est pas simplement ciblée car trop musclée. Mais aussi car "elle ne ressemble pas aux femmes que l'on voit souvent dans les jeux vidéo, n'est pas fine, n'a pas une grosse poitrine, sa mâchoire est carrée...", observe encore le journal.

Un exemple qui en dit long.

Des "procès en féminité"

En vérité, la stigmatisation des femmes musclées témoigne plus globalement des remarques sexistes dont les corps des femmes sont sans cesse la cible. C'est ce que rappelle Laura Byrne du programme fitness Fit & Food auprès du Huffington Post : "Il est choquant qu'encore de nos jours, les gens se sentent le droit de commenter le corps de l'autre alors que nous avons toutes des morphologies et des tailles différentes".

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En outre, l'experte précise que l'idée d'être "trop en forme" est presque toujours destinée aux femmes, "car vous n'entendez jamais ces commentaires à propos des hommes".

On tient là une véritable construction culturelle, comme si le genre féminin était forcément indissociable de la vulnérabilité et la douceur, perçues comme antinomiques aux haltères, aux abdos et aux pompes. Et ce préjugé commence très tôt. Adepte de l'entraînement physique, Antonia Hoyle le déplore au Daily Mail : à 44 ans, les muscles de ses bras peuvent même susciter la perplexité de son fils de neuf ans, "pourtant épris des films des studios Marvel, dont les héros d'action ont tous des biceps de la taille de boules de bowling".

Une réflexion intéressante quand on se rappelle qu'une autre héroïne avait fait gloser : la Natalie Portman musclée de Thor 4 : Love and Thunder, l'une des dernières productions Marvel en date, sortie l'été dernier. Sur les réseaux sociaux, l'évolution physique de la star fut abondamment commentée. Dans la peau de Jane Foster, l'actrice avait dix mois durant fait travailler intensivement ses bras et ses abdos, accompagnée d'un coach sportif.

Pourquoi a-t-on aussi peur des femmes musclées ?
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"Il faut croire que même en 2022, les femmes devraient être dépourvues de tout attribut corporel qui pourrait ébranler le patriarcat. C'est pourquoi j'applaudis ces photos de Nicole Kidman", écrit par encore Antonia Hoyle dans son billet du Daily Mail. On le devine, le muscle au féminin ne dérange pas simplement certains hommes en particulier, il dérange le patriarcat.

Autrement dit, loin de simplement bousculer une vision normée de la beauté féminine, il parasiterait l'imaginaire qui lui est voisin, celui du corps masculin, et toutes ses injonctions tout aussi caricaturales : un physique viril, musclé, entretenu. Ainsi, on se rappelle des réflexions crasses dont fut la cible Serena Williams, "faite comme un homme" selon les trolls sexistes : la sportive n'est pas simplement victime de sexisme, mais d'un "procès en féminité".

"C'est un moment historique car elle a tellement marqué l'histoire du tennis féminin de son immense empreinte", a commenté Marion Bartoli
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"Muscle = homme"

C'est également ce qu'avance Mariama, sportive de 19 ans interrogée par Madmoizelle : "La fille musclée n'est pas mise en valeur car muscle = homme. L'image de la femme dans la société, c'est qu'elle est faible, avec un petit corps mince, et le muscle n'est toléré qu'à des endroits sexuels - quand une femme a un gros fessier musclé. Un homme sans muscle n'est pas un homme, du coup ? Bah si, car c'est la personne elle-même qui définit son genre et non son apparence", développe la jeune femme dans sa tribune. "Oui, je suis musclée, et non, ça ne fait pas de moi un homme !", affirme-t-elle encore.

Comme si le muscle provoquait un trouble dans le genre. C'est la conclusion de la revue The Conversation : "Une femme musclée remet en question ce que signifie être une 'vraie' femme ou un 'vrai' homme. Elle remet en question l'hypothèse selon laquelle tous les hommes sont grands, forts et puissants et les femmes plus petites, faibles et dépendantes. C'est pour cela qu'une femme musclée peut être extrêmement déconcertante. Comme si elles étaient contre nature".

Et la route semble encore longue avant que cette peur teintée de beauferies ne s'évanouisse tout à fait. Cela ferait pourtant le plus grand bien aux femmes... et aux hommes.