Non, refuser l'avortement à une femme ne l'aide pas à "préserver sa santé mentale"

Publié le Jeudi 22 Décembre 2016
Hélène Musca
Par Hélène Musca Rédacteur
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Avortement : plus de stress et de traumatisme psychologique en cas de refus de la procédure
Avortement : plus de stress et de traumatisme psychologique en cas de refus de la procédure
Une étude américaine vient de démontrer qu'en ce qui concerne l'avortement, ce qui engendrait le plus de troubles psychologiques... C'était lorsqu'on le refusait à une femme. Un beau pied-au-nez aux anti-avortements qui prétendent agir pour le bien des femmes.
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La sexualité, l'enfantement, le droit des femmes à disposer librement de leur corps... Si le droit à l'avortement demeure aussi fragile, c'est parce qu'il touche aux plus grands tabous de notre société et marche sur les plate-bandes très privées de la tradition et de la religion. Dans son sillage, le droit à l'IVG est toujours dangereusement talonné par le conservatisme et la volonté de retour en arrière. L'année qui vient de s'écouler en a d'ailleurs été la preuve : la montée des populismes s'est accompagnée en Occident d'une remise en question en chaîne de l'avortement : menacé en Pologne, paralysé en Italie, il est aussi menacé dans trois Etats des Etats-Unis, et notamment au Texas, qui après avoir cherché à instaurer des funérailles obligatoires pour les foetus après un avortement, veut désormais restreindre l'accès à l'avortement en arrêtant de financer le Planning Familial.

Quant à la France, après un débat houleux, la loi concernant le délit d'entrave à l'IVG a finalement été adoptée par l'Assemblée le 1er décembre, afin de mettre un terme à la désinformation des sites anti-avortement comme IVG.net ou Afterbaiz.com. Et dans le contexte actuel, c'est une mesure essentielle : en diabolisant et en décrédibilisant l'avortement, la désinformation contribue à la fragilisation croissante de son droit. C'est là toute l'importance de l'étude américaine menée par la psychiatre Antonia Biggs, qui prouve qu'en cas de grossesse non voulue, une femme est plus traumatisée lorsqu'on lui refuse l'avortement que lorsqu'elle peut y accéder : elle démonte ainsi l'un des arguments les plus utilisés par les anti-avortements pour en justifier l'interdiction.

Un risque élevé de troubles psychologiques chez les femmes à qui ont a refusé une IVG

Le refus de la procédure entraîne un stress élevé chez les femmes qui veulent avorter
Le refus de la procédure entraîne un stress élevé chez les femmes qui veulent avorter

Antonia Biggs, docteur en psychiatrie, a mené une étude publiée le 14 décembre dans la revue scientifique JAMA sur les conséquences psychologiques de l'avortement. Durant 5 ans, elle a suivi 956 femmes qui voulaient avorter à cause d'une grossesse non désirée, et qui se sont présentées dans 21 des centres médicaux des Etats-Unis. Parmi elles, certaines se virent refuser une procédure d'IVG parce qu'elles avaient dépassé le délai légal : 70 des femmes de ce second groupe avortèrent tout de même de manière illégale, tandis que 161 durent mener leurs grossesses à terme. Après l'avortement ou l'accouchement, les 956 participantes ont été interrogées par téléphone au bout d'une semaine puis tous les six mois pendant 5 ans, afin d'établir un bilan psychologique.

Et les résultats sont sans appel : les femmes qui s'étaient vues refuser l'avortement présentaient dès le premier appel des signes de troubles psychologiques, qu'elles aient réussi à avorter par leurs propres moyens ensuite ou qu'elles aient finalement dû garder l'enfant. Les femmes qui avaient poursuivi les grossesse étaient très stressées, anxieuses, peu épanouies, et faisaient régulièrement des accès de dépression avant et après l'accouchement.

Quant aux femmes qui avaient dû avorter illégalement, en partant à l'étranger, par exemple, les chercheurs ont observé chez elles un violent traumatisme mental : elles étaient encore davantage atteintes par le stress et l'anxiété. "La détresse vécue par les femmes qui trouvent un autre moyen d'avorter, est probablement liée à la difficulté d'accepter le premier refus qu'elles ont essuyé, mais également au stress de devoir continuer à chercher un endroit pour pouvoir pratiquer une IVG", a expliqué le Dr Antonia Biggs au Figaro .

Une étude qui piétine les arguments des pro-vie qui veulent interdire l'avortement "pour les femmes"

Une campagne pro-vie contre l'avortement en France
Une campagne pro-vie contre l'avortement en France

Ainsi, l'étude invalide l'argument des anti-avortement selon laquelle l'avortement nuit aux femmes en entraînant des troubles de la santé mentale : il apparaît que les femmes sont soumises à un stress et à un traumatisme plus violent lorsqu'elles n'ont pas accès à l'IVG, et qu'elles doivent donc soit avorter clandestinement, soit poursuivre une grossesse non-désirée. "Les résultats montrent qu'un avortement refusé peut être pire pour la psychologie et le bien-être des femmes, qu'une autorisation", conclut Antonia Biggs. Selon elle, "Les politiques qui restreignent l'accès des femmes à l'interruption de grossesse, au prétexte qu'elles protègent la santé mentale, ne fondent pas leur raisonnement sur des données probantes", dit-elle au Figaro.

Cela casse également le mythe aux conséquences désastreuses selon lequel les femmes avortent sans prendre le temps de réfléchir à une potentielle grossesse, à cause d'une banalisation de la procédure. Le stress élevé et le traumatisme que ces femmes connaissent lorsqu'elles sont obligées de poursuivre leur grossesse montre bien que leur volonté d'avorter est réfléchie et qu'elles ne désirent réellement pas avoir d'enfant. Comme le rapporte le magazine Psychologies, forcer les femmes à enfanter ne leur permet pas de s'épanouir brutalement, sous le coup d'une soudaine révélation. Il ne s'agit donc pas, bien évidemment, de faire de l'avortement un acte anodin, en le présentant comme un geste sans conséquences psychologiques ; mais cette étude démontre l'importance de laisser aux femmes la possibilité de choisir, afin de ne pas les enfermer dans une détresse psychologique certaine.

Il serait donc temps que les masques tombent : lorsqu'on se déclare hypocritement pro-vie mais qu'on accepte que 47 000 femmes meurent chaque année des suites d'un avortement clandestin, on ne peut prétendre avoir les intérêts des femmes à coeur.