Les femmes interdites d'avorter après six semaines : le projet de loi qui fait frémir l'Ohio

Publié le Vendredi 09 Décembre 2016
Hélène Musca
Par Hélène Musca Rédacteur
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Protestation pour protéger le droit à l'avortement aux Etats-Unis
Protestation pour protéger le droit à l'avortement aux Etats-Unis
On n'arrête plus les Etats-Unis dans leur course folle vers le conservatisme. C'est désormais l'état de l'Ohio qui s'attaque au droit à l'avortement, voulant le rendre illégal dès que le coeur du foetus bat (soit à un mois et demi). Une mesure très restrictive qui risque de mettre les femmes en danger.
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L'élection du Trump semble avoir réveillé le monstre du conservatisme puritain des Etats-Unis. Car sa victoire est aussi celle du racisme et de la misogynie qu'il a affichés, et qui osent se dévoiler de plus en plus ouvertement depuis la campagne électorale.

Ainsi, les coups incessants portés depuis à l'avortement, symbole de la liberté et des droits des femmes, sont particulièrement symptomatiques de cette vague réactionnaire. Après de nombreuses tentatives pour mettre à mal l'accessibilité de l'IVG, et quelques jours après que le Texas ait voté une loi obligeant les femmes qui avortent à organiser des funérailles pour leurs foetus, c'est désormais au tour de l'Ohio de rogner sur le droit à l'IVG : une législation interdisant l'avortement après un mois et demi est en attente de validation par le gouverneur de l'Etat – un républicain ultra-conservateur.

Une proposition de loi qui interdit l'avortement dès que le coeur du foetus bat

Dans l'Ohio, les femmes risquent de ne plus pouvoir avorter passé un mois et demi – un stade extrêmement précoce de la grossesse. En effet, le 7 décembre, le projet de loi "Heartbeat"("battements de coeur"), qui interdit les procédures d'IVG dès que le coeur du foetus bat, a été glissé à la dernière minute dans une législation contre les abus sur mineurs... et accepté par la législature d'Etat de l'Ohio, dominée par les républicains. Elle ne comprend aucune exception en cas de viol ou d'inceste. La proposition de loi patiente désormais sur le bureau du gouverneur de l'état, John Kasich, qui a dix jours pour l'adopter ou poser son veto. Mais étant donné que Kasich est un républicain ultra-conservateur notoirement anti-avortement, le suspense est malheureusement loin d'être à son comble.

Cette mesure serait pourtant dramatique car très restrictive. En effet, cette loi suppose une détection très rapide de la grossesse, ainsi qu'une prise en charge et une procédure immédiate pour rester dans le délai légal imposé. Or, à six semaines, beaucoup de femmes ne savent même pas qu'elles sont enceintes et n'ont encore aucun symptôme de grossesse. Le plus souvent, c'est seulement après avoir constaté un retard de règles de plus d'une semaine ou une absence de règles deux fois d'affilée qu'une femme commence à penser à la grossesse, surtout si elle utilise un moyen de contraception régulier ou qu'elle a des menstruations irrégulières.

Par conséquent, beaucoup risquent de se rendre compte trop tard de leurs grossesses. Quant à celles qui s'en apercevraient rapidement, il est fort probable qu'elles ne réussissent pas à avorter à temps dans un délai aussi court : étant donné qu'il y a très peu de cliniques d'avortement en Ohio, elles sont surchargées de travail et ont donc peu de disponibilités immédiatement. La règle en vigueur dans l'état, qui force une femme à attendre 24 h entre la consultation informative et la procédure, n'aide pas non plus à raccourcir la démarche.

Une mesure dramatique pour les femmes

Ds femmes qui manifestent pour l'avortement brandissent un cintre, triste symbole des meurtriers avortements clandestins
Ds femmes qui manifestent pour l'avortement brandissent un cintre, triste symbole des meurtriers avortements clandestins

Si elle est adoptée, cette mesure très restrictive aura de lourdes conséquences pour les femmes : si elles ne détectent pas la grossesse à temps ou n'ont pas pu s'en occuper assez vite, elles seront contraintes d'avorter clandestinement. Sachant que toutes les 9 minutes, une femme meurt des suites d'un avortement illégal et dangereux , il y a de quoi s'alerter. "C'est un fait avéré, qui a été prouvé à maintes reprises : bannir l'avortement ne le fera pas disparaître – cela augmente juste la probabilité de le pratiquer dans un environnement dangereux", s'indigne dans Buzzfeed News Diane Horvath Cosper, médecin et membre des Physicians for Reproductive Health, pour qui cette mesure est "extrême et dangereuse". Dawn Laguens, vice-présidente du Fonds d'action du Planning Familial, ajoute : "Les politiciens ont recours à des mesures sournoises pour essayer de faire passer discrètement ce projet de loi sans faire de vagues". "Mais quoi qu'il arrive, nous nous battrons", assure-t-elle.

Le Planning Familial, le Center for Reproductive Rights et l'American Civil Liberties Union (ACLU), une association qui défend les libertés et droits individuels des citoyens, ont d'ailleurs lancé des poursuite dans trois états, Alaska, le Missouri et la Caroline du Nord, afin de faire sauter les lois restreignant le droit d'avortement grâce à l'arrêté Roe v. Wade de la Cour Suprême, qui légalise officiellement l'avortement. Et comme le rapporte CNN, ils n'hésiteront pas à faire de même dans l'Ohio si nécessaire : "Si le gouverneur Kasich signe cette proposition de loi, nous irons la faire invalider par la cour fédérale. Pour nous, elle est anticonstitutionnelle", explique Mike Brickner, le directeur de l'ACLU.

Face à l'indignation de l'opinion publique, le sénateur d'état républicain Kris Jordan a rétorqué : "Nous sommes des défenseurs de la vie. Le passage de cette loi illustre notre volonté de protéger les enfants de l'Ohio à chaque étape de leur vies". Au nom de la vie, ou pour être plus précis, au nom d'un amas de cellules d'une dizaine de millimètres (10 à 15 mm à ce stade-là de la grossesse), les anti-avortement sèment allègrement la mort. Car ce sont les femmes que l'on sacrifie, que l'on laisse dans une profonde détresse, avec un cintre pour un curetage maison des plus dangereux et douloureux. 47 000 femmes décèdent chaque année des suites d'un avortement clandestin : peut-on vraiment parler de pro-vie ?