L'allaitement maternel, est-ce féministe ?

Publié le Jeudi 07 Août 2014
Le HuffPost
Par Le HuffPost Média
L'allaitement maternel, est-ce féministe ?
L'allaitement maternel, est-ce féministe ?
Allaitement maternel: à l'occasion de la Semaine mondiale, qu'en disent les féministes françaises?
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« L'allaitement est aussi une servitude épuisante », écrivait dans Le Deuxième Sexe Simone de Beauvoir en 1949. A cette époque déjà, l'allaitement maternel faisait débat au sein des communautés féministes. Fierté biologique ou contrainte allant à l'encontre de l'égalité hommes-femmes ? En France et ailleurs, la question agite encore les féministes. À l'occasion de la Semaine mondiale de l'allaitement maternel qui débute ce 1er août, Le HuffPost fait le point.

Pour faire simple, il existe deux grands courants féministes : une première vague, fin XIXe, début XXe, qui revendique l'égalité des droits entre hommes et femmes ; et une seconde, à partir des années 1960, qui elle, mène un combat en s'attaquant aux fondements de ce qu'elle appelle « domination masculine ».

En fonction de ces mouvements, « on pourra passer d'une exaltation de la maternité et de l'allaitement (comme pouvoirs spécifiquement féminins), à une vision de la maternité comme esclavage ("lieu de domination masculine") et de l'allaitement comme un esclavage à la puissance 10 », écrivait dans Spirale Claude-Suzanne Didier jean-Jouveau, animatrice de La Leche League (LLL), une association internationale de promotion de l'allaitement maternel.


L’allaitement, un combat féministe (du moins au départ)

Les féministes françaises ont, jusque dans les années 60, défendu corps et âme l'allaitement. C'est une fonction et un devoir de la femme, qui doit être fière de cette spécificité biologique, et qui doit être soutenue pour le faire dans de bonnes conditions. C'est pourquoi au cœur de leurs préoccupations, on trouve le combat pour les allocations familiales.

Mais après la Deuxième Guerre mondiale, la tendance se renverse, notamment dans la foulée des discours de Simone de Beauvoir dans son ouvrage Le Deuxième Sexe. Une majorité de féministes s'y retrouve « pour dénoncer l'esclavage de la maternité, et centrer le combat féministe sur le droit à la contraception et à l'avortement », poursuit Claude-Suzanne Didierjean-Jouveau.

La peur de ressembler à des « femelles chimpanzés »

Aujourd'hui, « même si les féministes anti-allaitement se font moins entendre, elles restent sur les mêmes positions. » Ces féministes-là dénoncent l'allaitement qui va à l'encontre des intérêts de la femme s'il est imposé. Pour résumer, écrit Martine Herzog Evans dans un article paru dans La Revue des Droits de l'Homme, « la tournure qu'a pris chez nous la lutte féministe a contribué à l'idée que la maternité constituait l'ennemi de l'autodétermination des femmes ; que les intérêts de la femme et de l'enfant étaient opposés. »

Dans cette vague féministe plutôt anti-allaitement, Élisabeth Badinter, philosophe, est une figure emblématique (à 15 ans, Simone de Beauvoir aurait d'ailleurs été pour elle une révélation). Elle expliquait dans un article de Libération en 2010 que, ces dernières années :

« On est passé de : "Vous avez le droit" d’allaiter, à "Vous devez". Les pressions d’ordre moral ont remplacé un choix légitime, sous la houlette de La Leche League. Je pense que la philosophie naturaliste au nom de laquelle on impose cela est dangereuse. Car elle ne laisse plus de place à l’ambivalence maternelle. Elle impose une conception unifiée des femmes. Nous pouvons toutes, nous devons toutes faire la même chose. C’est une réduction de la femme au statut d’une espèce animale, comme si nous étions toutes des femelles chimpanzés. »


Un débat toujours d'actualité : « Allaiter, c'est être autonome »

Pourtant, d'autres féministes françaises s'inscrivent en porte à faux. C'est le cas de Claude-Suzanne Didierjean-Jouveau, interrogée par Le HuffPost, qui estime que son combat pour la promotion de l'allaitement est bel et bien féministe. « En tant que femme, allaiter c'est être autonome, argumente-t-elle. Elle n'a besoin de personne d'autre, produit elle-même la nourriture pour son enfant. C'est une forme d'empowerment. »


Une forme d'émancipation, ou d'autonomisation, cela peut l'être sans aucun doute. C'est d'ailleurs ce que défend la féministe américaine Penny Van Esterik : « l'allaitement affirme le pouvoir de contrôle de la femme sur son propre corps [...], met en cause le modèle dominant de la femme comme consommatrice, [...] s'oppose à la vision du sein comme étant d'abord un objet sexuel », détaille entre autres Claude-Suzanne Didierjean-Jouveau
dans son article.


Mais le problème soulevé par certaines féministes va au-delà de l'allaitement en lui-même. Il concerne l'absence de liberté dans la décision qui leur incombe.

C'est ce que dénonce dans un article sur Slate.fr, Titiou Lecoq, auteure et créatrice du blog Girls and Geeks, qui s'interrogeait en 2012 sur la manière dont les avantages prouvés ou supposés de l'allaitement maternel étaient relayés dans la presse, par les associations, ou par les gens en général.

Pour elle, « l’espace public est saturé de campagnes pro-allaitement maternel, or ces campagnes partisanes ne permettent pas aux femmes de faire un choix calme et raisonné. »

Pour les mamans, la pression est quotidienne

Un avis que partage Sophie Gourion, journaliste, féministe, auteure du blog « Tout à l'égo » contactée par Le HuffPost: « on subit quotidiennement une pression de l'OMS et même des people, laissant sous-entendre que toutes les mères devraient allaiter, et culpabilisant celles qui le refusent ».

Ce sont des articles comme celui dans lequel le top model brésilien Gisele Bündchen affirmait en 2010 : « Ici aux États Unis, certaines personnes pensent qu'il n'est pas nécessaire de nourrir par voie naturelle leur enfant. Je voudrais leur poser une question: "Ça ne vous dérange pas de gaver de produits chimiques vos nouveaux-nés, si fragiles?" [...] À mon avis, il devrait y avoir une loi obligeant les femmes à allaiter leur bébé pendant six mois. Sinon, jeunes mamans, vous le payerez tôt ou tard. »


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