Sexe et frustration : les femmes aussi ressentent le manque

Publié le Dimanche 07 Juillet 2013
Sexe et frustration : les femmes aussi ressentent le manque
Sexe et frustration : les femmes aussi ressentent le manque
On croit à tort que le manque ou la frustration face à un conjoint qui « n'a pas envie » sont l'apanage des hommes. Notre experte sexo Sophie Bramly se penche cette semaine sur la souffrance des femmes qui désirent sans recevoir.
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Il arrive que les femmes crient. Ce ne sont pas des râles extatiques d'orgasmes mais, au contraire, des cris de colère jetés à l'autre, disant une chose qui en cache une autre. Car s'il est aisé d'invectiver à propos d'un manque d'investissement du partenaire dans la vie domestique, de questions d'argent ou d'éducation des enfants, il est moins aisé de parler de ce qui est au coeur du couple, ou plutôt de son absence - le rapport sexuel - et la frustration qu'elle engendre. Alors les femmes qui en souffrent tonnent et les paroles incendiaires fusent. C'est en général l'entourage qui comprend mieux que les intéressés de quoi il en retourne … sans pouvoir rien en dire. Pendant ce temps-là, les défenses immunitaires des deux partenaires s'étiolent et le couple aussi.

La frustration s'installe de part et d'autre, avec parfois une asymétrie entre la frustration masculine lorsque la partenaire n'a pas envie d'avoir des rapports, et celle des femmes qui bouillonnent de ne plus être touchées. Ce déséquilibre est tel, qu'il y a quelques années, l'Université de New Brunswic, au Canada, avait mené une étude sur les comportements de couples lorsque l'homme souffrait d'une insuffisance de rapports sexuels, sans penser un instant à étudier la femme dans la même situation.

Les hommes essaient, disent, réclament et s'ils ne se font pas entendre par la partenaire, ils finissent généralement par accepter toutes les excuses (trop de fatigue, d'épuisement à gérer tout à la fois les vies domestiques et professionnelles) qui sont venues remplacer les maux de tête des générations précédentes. Ils se masturbent, prennent des maîtresses, ont recours à des prostituées, bref, ils trouvent des options infidèles qui permettent en général au couple de continuer à partager le quotidien, pour le pire et loin du meilleur.

Les femmes qui désirent, qui cherchent caresses électrisantes et baisers fougueux, qui veulent que le corps de l'autre les mènent à l'extase, ne trouvent pas nécessairement un apaisement suffisant dans la masturbation et n'osent pas toujours tromper avec la même aisance. L'asymétrie est à son paroxysme lorsqu'elles sont financièrement dépendantes du partenaire, craignent d'imposer la séparation aux enfants, ou autres raisons qui les laissent à penser qu'elles doivent se « sacrifier ».

Si médias et spécialistes parlent abondamment des violences verbales et physiques faites aux femmes, la violence de cette abstinence forcée, ce cruel déni du corps, est le plus souvent ignorée, comme si l'on pensait encore que les femmes n'ont pas les mêmes besoins physiques, que la souffrance est uniquement lorsqu'il y a des rapports imposés, inepties toutes misogynes. Ne pas être touché(e) est une violence comme une autre, où le mépris remplace l'attention et la bienveillance et où les mots durs (en particulier sur l'apparence physique) engendrent de profondes blessures. La femme pouvant difficilement forcer l'érection et le rapport, elle peut accepter de s'abstenir ou invoquer le devoir conjugal (jusqu'à recourir au législateur - on se souvient de l'homme qui a été contraint de verser 10 000€ de dommages et intérêts à son épouse, pour ne pas l'avoir touchée pendant de nombreuses années – qui n'a jamais émis semblable jugement aux femmes qui se refusent à leur mari), on aimerait cependant que la question soit débattue ailleurs que devant un tribunal.

L'harmonie dans le désir sexuel est complexe et nécessite d'outrepasser toute forme d'égoïsme pour s'accorder à penser que l'union se prononce à l'unisson. Paradoxalement, si la sexualité est rendue visible partout, elle reste au sein du couple le sujet le plus tabou. Arriver à dire à l'autre, se dévoiler sans aucune retenue, dire le manque et souligner ce qui est bon relève de la vraie intimité, en toute impudeur et c'est pour beaucoup de couples ce qu'il y a de plus complexe dans la relation. On préfère souvent le mensonge et les faux-semblants. S'exprimer est pourtant la plus grande des libérations, quelle que soit l'issue : recoller les morceaux, ou au contraire convenir d'un arrangement mutuel sans rapports physiques, avec ou sans séparation. Les problèmes énoncés clairement ont au moins le mérite de résorber la frustration et de remplacer les récriminations par un affranchissement bilatéral. Reste à oser franchir le premier pas...