Le "fox eye", la tendance maquillage accusée de racisme

Publié le Mardi 25 Août 2020
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Le "fox eye", la tendance maquillage accusée de racisme
Le "fox eye", la tendance maquillage accusée de racisme
Le "fox eye" promet un regard en amande très prononcé, et les jeunes femmes qui s'y adonnent posent ensuite en tirant leurs tempes pour accentuer l'effet. Un phénomène qui relève du racisme ordinaire, dénoncent plusieurs influenceuses asio-américaines.
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La tendance ne fait que grimper. Sur TikTok, elle a même brièvement pris la forme d'un challenge dont le hashtag, #FoxEye, a récolté plus de 75 millions de vues. On y voit des internautes, principalement des jeunes femmes blanches, se maquiller pour donner à leur regard un aspect recourbé. Comme des yeux de biches mais de façon plus accentuée, en somme, dont la marche à suivre est la suivante, développent les expertes : "Rasez la queue de vos sourcils (en éliminant tout de l'arcade sourcilière à la queue) pour obtenir un sourcil plus droit ; utilisez une ombre à paupières brune ou noire pour créer un regard de chat pointu vers les tempes ; et ensuite, ajoutez une touche de la même ombre à paupières aux coins intérieurs de vos yeux en pointant vers l'arête du nez."

Un nouveau look anodin ? Pas vraiment, épingle Teen Vogue, qui pointe l'appropriation culturelle derrière la mode. "L'ironie de la tendance 'fox eye' n'échappe pas à la communauté asiatique américaine, qui l'a immédiatement dénoncée pour ce qu'elle est : un autre exemple de normes de beauté classiques qui plagient d'autres cultures quand cela leur convient", tranche le magazine.

Car voilà, l'effet recherché n'est autre que des "yeux bridés" ("slanted eyes" en anglais), poursuit la publication, l'une des insultes les plus courantes envers la communauté asiatique. Et pour Jordan Santos, influenceuse philippine, le constat est sans appel : "En grandissant, j'étais un peu complexée par mes yeux", confie-t-elle auprès du média américain. "Je souhaitais qu'ils soient plus ronds, moins en amande, parce que les gens se moquaient des yeux asiatiques. C'est contrariant, mais malheureusement pas surprenant que le même regard utilisé par les non-Asiatiques pour insulter les Asiatiques pour la forme de leurs yeux soit maintenant utilisé à des fins esthétiques".

Poses et privilège

Kim Duong, contributrice auprès de HelloGiggles, dissèque elle aussi le phénomène. Elle estime que si, selon elle, l'aspect général du make-up ne représente pas forcément les traits attribués aux asiatiques, ce qui la dérange réellement est plutôt la façon dont les internautes posent sur leurs réseaux sociaux une fois celui-ci réalisé : en tirant leurs tempes vers l'arrière à l'aide de leurs doigts. Elle souligne d'ailleurs que si l'intention n'est peut-être pas raciste, le privilège de ne pas voir de discrimination, lui, est flagrant et problématique.

"Je suis sûre que la plupart des non-Asiatiques qui ont pris des selfies [de la sorte] ne pensaient pas au geste raciste de l'oeil bridé, mais c'est bien là le problème", explique-t-elle. "Ils ont le privilège de ne pas être les victimes de ce genre de racisme et, par conséquent, de ne pas avoir à être hyper vigilants face à ces gestes racistes. Ils peuvent confortablement tirer leurs yeux pour une photo et n'ont pas à subir de nouveau les traumatismes d'un harcèlement à caractère raciste."

Issa Okamoto, chanteuse d'opéra, abonde en ce sens, et insiste auprès de Teen Vogue sur l'importance d'attirer l'attention sur ce genre de "tendances", surtout lorsque les inégalités raciales, le racisme systémique et le privilège blanc sont (enfin) au coeur des conversations. "J'espère que cela à sensibiliser les gens, à encourager l'apprentissage et à reconnaître la douleur. En particulier en cette période de reconnaissance raciale nationale, les gens sont plus ouverts à la reconnaissance des agressions raciales au-delà des races et les frontières géographiques ne doivent plus laisser passer un racisme ordinaire comme celui-ci".

Dans un post Instagram daté de juin dernier, elle s'adressait directement aux amateur·ice·s du "fox eye", lançant sans détour : "Mes yeux ne sont pas votre tendance beauté !!". "Je suis fière d'être à la fois chinoise, taïwanaise et japonais mais il m'a fallu des années pour être fière de ces #foxeyes NATURELS et cela me rend tellement triste de voir les Blanc·he·s poster des photos en faisant la même pose (en tirant les yeux en arrière) que les enfants faisaient pour me faire sentir mal".

Un message qu'il est malheureusement encore trop nécessaire de partager - qui ne fait que trahir les biais profondément ancrés dans notre société - pour déconstruire davantage nos comportements et identifier clairement leurs conséquences néfastes.