Zarifa Ghafari, la plus jeune maire afghane, attend son assassinat par les talibans

Publié le Mardi 17 Août 2021
Catherine Rochon
Par Catherine Rochon Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Zarifa Ghafari, plus jeune maire afghane
Zarifa Ghafari, plus jeune maire afghane
La plus jeune maire d'Afghanistan espérait que son pays résisterait à l'assaut des talibans. Aujourd'hui, Zarifa Ghafari, comme tant d'autres femmes afghanes, craint pour sa vie.
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Elle était devenue un symbole, une figure de l'émancipation des femmes afghanes après les années de plomb imposées par le régime taliban. Mais aussi une cible. Car Zarifa Ghafari synthétise tout ce que les fondamentalistes exècrent. En 2018, cette diplômée en économie devenait la plus jeune maire d'Afghanistan (et l'une des premières femmes à occuper cette position dans la province très conservatrice de Wardak), dirigeant la ville de Maidan Shar, 50 000 habitants, située au sud-ouest de Kaboul. Lors de sa prise de fonctions, elle avait été accueillie par des hommes armés de bâtons et de pierres. Preuve que la jeune femme dérange et détone à ce poste traditionnellement masculin. Un parcours extraordinaire couronné d'un International Women of Courage Award en 2020. Interrogée il y a quelques semaines par le média I, Zarifa Ghafari, 29 ans, imaginait encore un avenir meilleur pour son pays, en dépit de l'avancée menaçante des talibans. Aujourd'hui, cloîtrée quelque part à Kaboul, la jeune femme attend que les fous de dieu viennent l'assassiner. Fataliste.

Jointe à nouveau par I ce week-end, Zarifa Ghafari, à qui l'on avait récemment confié un poste au ministère de la Défense, témoigne, la boule au ventre : "Je suis assise là à attendre qu'ils viennent. Il n'y a personne pour m'aider ou aider ma famille. Je suis juste assise avec eux et mon mari. Et ils vont venir pour des gens comme moi et me tuer. Je ne peux pas quitter ma famille. Et de toute façon, où irais-je ?"

Comme le précise le média britannique, des hauts responsables du gouvernement ont réussi à fuir Kaboul avant l'entrée des talibans ce dimanche 15 août. Mais Zarifa Ghafari est restée dans la capitale assiégée, s'accrochant jusqu'au bout à l'espoir que la ville pourrait résister. Aujourd'hui, elle craint pour sa vie, elle qui est menacée de mort depuis des années et dont le père, un général, a été tué en novembre 2020, probablement en raison de son statut de femme politique.

La jeune femme s'est finalement enfuie à pied, courant à perdre haleine sur plus de 10 kilomètres sous un soleil de plomb, récupérant sa soeur au passage, à la recherche d'un endroit où elle pourrait rester cachée. Et avec la conviction qu'elle ne pourrait jamais retrouver son foyer. "C'était une maison de location, mais c'était ma maison, j'y travaillais. J'y avais ma chambre, mes affaires, mes ours en peluche. J'avais tout là-bas. Je ne suis pas sûre de pouvoir y revenir une seule fois", confesse-t-elle au Sydney Morning Herald.

"Qu'arrivera-t-il aux millions de Zarifa à travers le pays ?"

Un porte-parole des talibans promettait ce dimanche (15 août) que la vie des femmes et des opposants serait protégée et qu'une "amnistie" serait offerte à celles et ceux qui travaillaient avec le gouvernement afghan ou les forces étrangères. Mais Zarifa Ghafari n'est pas dupe : "Ils ne savent rien des droits, des droits humains, des droits des femmes, des droits internationaux, des lois, des règles, des politiques", cingle-t-elle auprès du Sydney Morning Herald.

Car déjà, les informations émanant du terrain laissent entrevoir le pire. Le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres avertissait dès vendredi dernier (13 août) : "Je suis profondément préoccupé par les premières informations selon lesquelles les talibans imposent de sévères restrictions aux droits humains dans les zones qu'ils contrôlent. Il est particulièrement horrifiant et déchirant de voir que les droits durement acquis par les filles et les femmes afghanes sont en train de leur être enlevés."

L'association de soutien aux femmes afghanes Negar rapportait de son côté "des directives talibanes dans les zones qu'ils contrôlent, interdisent aux femmes de sortir de leur maison sans être accompagnées d'un homme membre de leur famille, ordonnant aux communautés de fournir la liste des jeunes filles de plus de quinze ans et des veuves de moins de 45 ans, pour 'récompenser les combattants', par de soi-disant 'mariages forcés' pour qu'ils viennent combattre en Afghanistan." Alors que le journaliste franco-afghan Mortaza Behboudi relayait sur Twitter ce mardi 17 août un message terrifiant de l'un des mollahs des talibans adressé aux femmes de Kaboul : "N'ayez pas peur, sortez de chez vous et continuer à travailler. Si on vous voit maquiller les mains, les pieds ou vos lèvres, on va couper tout..."

Que va-t-il advenir de Zarifa Ghafari et des femmes afghanes restées sur place dans ce contexte cauchemardesque ? Si elle continue à rêver de "voir [s]on cher Afghanistan magnifique, calme et progressif", la jeune maire tremble en contemplant le désastre. "OK, ils peuvent sauver une Zarifa, mais qu'arrivera-t-il aux millions de Zarifa à travers le pays ? Que deviendront leurs rêves, qu'arrive-t-il si elles ne peuvent plus aller à l'école, à l'université ? Et si elles ne sont pas capables de vivre leur vie libre en tant qu'êtres humains ?", confesse-t-elle au SMH. "J'ai tellement mal au coeur."