Des femmes payées pour être inséminées artificiellement : l'étude qui fait polémique

Publié le Jeudi 13 Février 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Une recherche scientifique suscite la polémique au Mexique.
Une recherche scientifique suscite la polémique au Mexique.
L'expérience suscite la polémique. Au Mexique, 81 femmes ont accepté une insémination artificielle et l'étude de leur embryon suivant rémunération. Une recherche scientifique que beaucoup considèrent comme "non-éthique"...
À lire aussi

Santiago Munne. C'est le nom du chercheur hispano-américain à l'origine d'une curieuse expérience. Moyennant rémunération, ce généticien a convaincu 81 femmes d'accepter une insémination artificielle, avant que leurs embryons ne soient expulsés de leurs corps afin de les d'étudier. Le but de la manoeuvre ? Démontrer que les embryons en question sont tout aussi "génétiquement sains" que s'ils émanaient d'une fécondation in vitro. Voire même qu'ils présentent une meilleure santé. La démonstration de Munne (relayée par la radio américaine NPR) est destinée à aider les couples souffrant d'infertilité, ou bien porteurs de gènes à l'origine de certaines maladies héréditaires, tout en leur proposant une alternative à la "FIV" standard.

Il n'a pas fallu longtemps pour que cette recherche mexicaine soit saluée par les instances universitaires : la revue scientifique renommée Human Reproduction, éditée par l'Université d'Oxford, en a publié les résultats en janvier dernier. Mais malgré cette reconnaissance institutionnelle, nombreuses sont les voix à interroger le caractère éthique de ces tests. Car tout cela ne revient-il pas à traiter les femmes comme des cobayes ? Ou plus encore, à exploiter leurs corps ? Au sein de la profession, on se questionne.

Une exploitation du corps des femmes ?

"Je pense que cette recherche est contraire à l'éthique", cingle en ce sens la bioéthicienne à l'Université de Chicago, Laurie Zoloth, ajoutant à la radio publique nationale "qu'il y a quelque chose à ce sujet qui semble profondément dérangeant". Des inquiétudes ouvertement avouées. Et énoncées non sans virulence. La scientifique américaine a effectivement l'impression que l'on manipule le corps des femmes "comme on le ferait d'une boîte de Petri". La boîte de Petri, c'est ce contenant cylindrique et transparent employé par les biologistes pour la mise en culture de micro-organismes et de bactéries. Comprendre, ce que son instigateur considère comme une avancée scientifique serait avant tout un processus d'objectification du corps féminin...

"C'est important : à Nayarit [dans l'ouest du Mexique, ndrl], l'hôpital de Punta Mita a autorisé cette instrumentalisation du corps des femmes, prenant place dans le cadre d'une expérience non éthique", alerte à ce titre la journaliste indépendante et féministe Mariana Limón, dénonçant le caractère douteux de cette recherche "au nom de la science". Mais du côté de la revue Human Reproduction, on tempère. Si le rédacteur en chef C.B. Lambalk admet que certains éléments de ce protocole donnent effectivement envie de "lever les sourcils", les résultats de l'ensemble n'ont été publiés "qu'après avoir vérifié que la recherche avait été soigneusement menée". En somme, qu'elle était irréprochable scientifiquement. Et éthiquement ?

A l'écouter, l'étude de Santiago Munne n'est pas dépourvue d'intérêt, loin de là : "Les résultats pourraient être utiles", ajoute le rédacteur en chef. Une opinion approuvée par le ministère de la Santé de l'État de Nayarit, qui valide cette insémination et l'aurait même "examinée en détail", selon le scientifique. Ce dernier assure d'ailleurs au site NPR que de nombreux comités d'éthique auraient donné leur aval. Selon le chercheur, analyser des embryons "conçus naturellement" par le biais de tests génétiques ("pour voir s'ils sont normaux, affectés ou non"), sans le moindre processus de fécondation in vitro, permettrait à la recherche d'économiser du temps et de l'argent tout en aidant les couples rencontrant des problèmes d'infertilité.

"Il n'y a pas de différence entre un don d'ovocytes et ce que nous avons fait ici", achève Santiago Munne. Une assertion loin de convaincre tout le monde. Et les esprits circonspects ne se trouvent pas simplement au Mexique ou aux Etats-Unis. En France, le rapporteur de la loi de bioéthique Jean-Louis Touraine bouscule lui aussi dans les pages du Figaro une procédure qui ne lui semble pas "éthiquement acceptable". "On n'a pas besoin de passer par des femmes devant porter ces embryons. On peut faire des recherches sur des embryons surnuméraires en laboratoire. L'idée de vouloir diminuer les prix ne me semble pas non plus être une justification suffisante", explique-t-il. De quoi ébranler les fondements de cette expérience ?