Comment l'aviron aide les femmes à lutter contre le cancer du sein

Publié le Mardi 08 Octobre 2019
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Quand l'aviron sensibilise au cancer du sein.
Quand l'aviron sensibilise au cancer du sein.
Un peu partout en France, l'association Aviron Santé incite les femmes atteintes de cancer du sein à ramer. En résulte une expérience sportive aux vertus indéniables. Et si l'aviron était la thérapie idéale contre le cancer du sein ?
À lire aussi

De l'aviron pour lutter contre le cancer du sein ? L'idée vous semblera peut être saugrenue, et pourtant, cela fait cinq ans que le programme Aviron Santé exerce les "rameuses" malades afin leur redonner goût à l'activité physique, de Strasbourg à Vannes en passant par St-Malo. Sous l'égide de la Fédération Française d'aviron, cette initiative propose aux femmes atteintes de cancer du sein - mais aussi d'autres affections de longue durée - un entraînement adapté, avec sérieux mais sans stress. Au début, de simples sessions "indoor" : les sportives néophytes se font la main sur des rameurs d'intérieur. Avant de partir naviguer sur l'eau...

Derrière cette idée de sport "thérapeutique" destiné à celles que l'on invisibilise volontiers, des mois d'entraînement - fortifiant aussi bien le corps et le moral que l'esprit d'équipe - et une série de suivis méticuleux, du regard avisé des coachs sportifs à celui des kinésithérapeutes. Des spécialistes mis en partenariat pour garantir la qualité de ce programme très spécial. Cette année encore, à l'occasion d'Octobre rose, la Fédération française d'aviron s'est mobilisée contre le cancer du sein en organisant de nombreuses courses locales, toutes marquées du sceau d'Aviron Santé. Raison de plus pour énumérer les vertus d'un processus encore trop peu médiatisé.

S'exprimer par le corps

L'aviron, ou comment se réapproprier son corps.
L'aviron, ou comment se réapproprier son corps.

Ces vertus, Rosario pourrait les énoncer sans soucis. A 68 ans, elle a déjà vécu deux cancers du sein : le premier au sein droit, le second au sein gauche. L'aviron est arrivé dans sa vie au moment de sa "deuxième expérience du cancer" - comme elle l'appelle d'une voix limpide. C'est en 2013, l'année de ce diagnostic, qu'elle découvre à l'hôpital une affiche Aviron Santé. A l'époque, elle a déjà subi tous les traitements, de la chirurgie à la chimiothérapie, et souffre de leurs effets secondaires.

En vérité, elle souffre tout court. La perspective d'un soin hors-antidouleurs la ravit. L'année suivante, elle investit donc les séances d'Aviron Thérapie de Blois, dans le Loir-et-Cher. "Avec très peu de capacités physiques", se souvient-elle. A l'image de certaines de ses consoeurs, qui constituent ce petit groupe de "rameuses" en herbe. Toutes vont suivre de régulières séances de rameur d'intérieur de 45 minutes, enchaîner avec cadence étirements et renforcement musculaire. Avant de partir glisser sur la Loire...

Puis après la Loire vint la "Traversée de Paris" (une longue traversée de la Seine en aviron) et l'impressionnante Vogalonga, une grande randonnée de bateaux à Venise. Des événements espacés sur trois ans et organisés par l'éducatrice sportive Isabelle Riquier. Pour cette coach Aviron Santé, les effets de cette pratique sur les femmes atteintes de cancer du sein sont indéniables. "Avec l'aviron, c'est tout le corps qui travaille", nous explique-t-elle.

De l'annonce du cancer à la variété des traitements, la maladie provoque une fatigue continue. Mais l'aviron, lui, invoque l'effort, qui essouffle, oui, mais qui apaise aussi. "Avec toutes les interventions qu'elles ont du subir, le corps des femmes présente un côté plus fragile, moins musclé. Les exercices et l'aviron permettent d'oeuvrer sur cette facette-là, de restaurer la symétrie du corps, son équilibre", détaille en ce sens Isabelle Riquier.

Retrouver son équilibre, c'est ne plus craindre de bouger, d'étendre ses bras, ses jambes, de travailler dorsaux et abdos, ou tout simplement de respirer, et de s'essouffler. En un mot : de s'exprimer par le corps. Comme une sorte de renaissance. Physique, c'est certain. Mais psychologique également. "Lorsque l'on vient de subir une opération du sein, on a peur d'avoir mal, alors on se recroqueville, explique l'éducatrice sportive, quand à l'inverse l'aviron, lui, permet de "s'ouvrir" : les femmes reprennent petit à petit la maîtrise de leur corps, et, pour ainsi dire, se le réapproprient". Reprennent le pouvoir.

"Le corps féminin est déconstruit"

L'aviron, une véritable thérapie.
L'aviron, une véritable thérapie.

C'est d'ailleurs ce que nous explique la kinésithérapeute Jocelyne Rolland. Cette professionnelle est l'instigatrice d'Avirose, un dispositif d'entraînement "indoor" intégré depuis trois ans au programme Aviron Santé. Comme elle l'explique, la chimio et l'hormonothérapie que subissent les femmes atteintes de cancer du sein rendent leurs articulations "raides et douloureuses", grignotent leurs muscles, les forcent à adopter des postures moins droites. Bref, le corps féminin est "déconstruit". L'aviron en plein air ou "indoor" agit sur cet organisme meurtri en "musclant les membres inférieurs, le dos, le ventre, tout en renforçant les membres supérieurs", dit-elle. La gestuelle des bras, elle, permet de lutter contre le lymphoedème, précise Isabelle Riquier.

Et cela, Rosario l'a bien ressenti. "Je suis parvenue à me libérer de ce qui restait mon principal problème depuis le début des traitements : les douleurs très intenses que je ressentais", confie-t-elle. Au bout de cette activité de groupe, moins de souffrance, mais aussi un meilleur contrôle de sa tension artérielle. Et puis, devenir "rameuse" l'a aussi initiée au milieu nautique, aux sorties en "teams" des plus sororales, au caractère épanouissant du grand air et du collectif. "C'était très gratifiant, et, peu à peu, j'ai pu progresser", détaille-t-elle.

Bien sûr, il y a des bas, des chutes. Ce qui rend l'aviron si spécifique, c'est justement ce numéro d'équilibriste entre la douceur des promenades dans la nature (sans oublier cette "sensation de bercement", médite Jocelyne Rolland) et la dynamique du challenge.

"Il y a des frustrations, car notre progression n'est jamais linéaire. Parfois vous avancez, parfois non. Vous faites des erreurs... Mais toutes ensemble, nous avons pu surmonter les obstacles", se réjouit à ce titre la sexagénaire. Les femmes malades, à qui l'on dit bien souvent d'être "fortes", comme une sorte d'injonction, ont ainsi le droit d'échouer, de se plaindre, d'avouer leurs faiblesses. Pour mieux rebondir, en un vaste mouvement collectif.

"Une vraie leçon de femme !"

L'aviron, une "vraie leçon de femme".
L'aviron, une "vraie leçon de femme".

Un chemin de traverse nécessaire. Car au-delà de la souffrance physique s'immisce quelque chose de plus violent parfois : le regard que la société porte sur ces patientes. Un oeil qui juge et peut affliger par un trop-plein de compassion forcée. "L'aviron est justement une réponse à tout cela, car les participantes ne subissent plus, elles agissent. Elles refusent d'être contraintes par ce regard, selon lequel une femme qui n'aurait plus d'utérus ou de seins ne serait plus une femme", cingle l'éducatrice sportive avec enthousiasme. En faisant un sport qu'elles n'auraient jamais pensé pratiquer, poursuit Jocelyne Rolland, elles reprennent confiance en elles "puisqu'elles se rendent vite compte que leur corps n'est pas 'perdu'".

Ce ne sont pas de jolis mots, mais de vraies histoires. En enseignant cet aviron "thérapeutique", Isabelle Riquier a rencontré des femmes accablées par les rendez-vous médicaux et les difficultés de la vie. Des anonymes courageuses qui, suite à l'annonce de leur cancer, ont perdu leur travail, se sont retrouvées dans une situation financière compliquée, seules avec leur(s) enfant(s), ou ont carrément vu leur famille "éclater". Mais en redécouvrant tout leur potentiel, elles le surpassent parfois. Certaines se sont même inscrites à des cours d'aquaphobie, car elles tenaient à tout prix à ramer.

"Ces rameuses se sont prises plein de trucs dans la figure, mais elles font de l'aviron une expression de la vie. C'est une vraie leçon de femme !", s'enthousiasme la coach. L'exemple de Rosario le démontre. Sa thérapie a eu les effets escomptés. Aujourd'hui, elle respecte un suivi beaucoup moins contraignant. Et il n'y a plus de cellules cancéreuses dans son organisme. Même si le programme Aviron Santé qu'elle a suivi s'est conclu depuis quelques temps, elle a gardé le contact avec ses consoeurs rameuses. Celles-ci, aux côtés d'autres pratiquantes de villes différentes, ne manquent pas d'organiser des sorties d'aviron de mer en Bretagne. Pendant, et après le cancer du sein, la vie continue au fil des vagues...