Culture
Daniel Bo : "Le brand content élargit le discours au-delà du message commercial"
Publié le 26 novembre 2013 à 07:56
Par Marine Deffrennes
Avec Internet est apparu un phénomène de rejet de la publicité intrusive. Défi pour l'annonceur : comment faire passer un message en suscitant l'intérêt et l'engagement de l'internaute consommateur ? Le brand content digital est né et l'observatoire Orange-Terrafemina publie une étude exclusive sur le sujet. Décryptage de l'expert en la matière, Daniel Bo.
Daniel Bo : "Le brand content élargit le discours au-delà du message commercial" Daniel Bo : "Le brand content élargit le discours au-delà du message commercial"© Terrafemina/RCAFactory
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Daniel Bo est un ancien publicitaire, il a fondé l'institut d'études QualiQuanti en 1990. Intéressé par les formes alternatives de communication des marques (parrainage, placement de produit, publi-rédactionnel, sites de marques, Brand Content), il est à l’origine du blog de référence sur le brand content, et auteur de l'essai : Brand Culture, développer le potentiel culturel des marques (Dunod).

Terrafemina : Qu’est-ce que le brand content ? Comment le distingue-t-on de la publicité classique ?

Daniel Bo : Le brand content désigne le fait qu’une marque crée ou édite du contenu. Celui-ci peut être informatif, culturel, pratique, ludique ou divertissant. Le contenu de marque apporte de la valeur (service, information, divertissement) : il est intéressant en soi, indépendamment de l’achat du produit. Il se présente comme un don adressé à une personne, qui dépasse la fonction commerciale et vise une implication dans une expérience enrichissante. La publicité classique obéit pour l’essentiel à une autre logique : focalisée sur un élément du produit ou de la marque, constituée de messages courts, destinés à être répétés et mémorisés, elle s’adresse avant tout aux acheteurs.

Tf : Comment est né le brand content ?

D. B. : L’histoire de la communication est subordonnée à l’évolution des techniques ; tous les contenus de marque ont été, historiquement, d’abord forgés par le paradigme médiatique dans lequel ils sont nés, leurs formes étant chaque fois dictées par les contraintes associées à tel ou tel média. La démocratisation de l’imprimerie a permis l’émergence de magazines de marques avec en pionnier, The Furrow, créé en 1885 par la marque de tracteurs John Deere. A la fin du XXe siècle, la révolution informatique et numérique ouvre la galaxie Turing (du nom d’Alan Turing, fondateur de la science informatique) placée sous l’hégémonie d’Internet dont tous les autres médias deviennent les dépendances, les relais.  Ce nouveau paradigme modifie en profondeur non seulement les usages mais aussi les manières de penser et se traduit dans le domaine de la communication par 3 phénomènes : la dématérialisation du support, la convergence des médias  (la communication de marque s’exprime sur plusieurs canaux et les synergies entre médias se développent), la libération du format et du message. La marque elle-même n’est plus seulement l’énonciatrice d’un message purement commercial mais éditrice de « contenus ». Ainsi l’apparition même du phénomène de « Brand Content » est une conséquence directe d’un univers communicationnel désormais dématérialisé, convergent et libéralisé.

Tf : Le digital, ses multiples applications et supports ont-ils donné un nouveau souffle à cette technique de communication des marques ?

D. B. : Aujourd’hui, l’essor d’internet aboutit à la création d’un espace de communication illimité et accessible à tous, puisqu’il ne nécessite plus des investissements aussi importants que les média classiques (TV, radio, affichage). L’enjeu pour les marques n’est pas de changer de statut et de « devenir média », mais d’exprimer plus parfaitement leur identité de marque en créant leur culture, en exprimant et en diffusant leur culture propre, et en mettant en exergue les liens qui les unissent à la culture environnante. La fabrication de contenus éditoriaux est un moyen privilégié de mettre en scène, de construire et de valoriser cette culture. 

Tf : Ce terme BtoB, lorsqu’il est expliqué aux internautes, semble plutôt les séduire. D’après l’étude menée par l’observatoire Orange-Terrafemina*, 61% des sondés jugent utiles que les marques proposent via Internet des contenus informatifs liés à leur activité. Est-ce surprenant selon vous ?

D. B.Le contenu de marque suscite l’enthousiasme auprès du grand public si ce contenu est de qualité. La thématique beauté a été magnifiquement exécutée par les marques de cosmétiques et Red Bull a popularisé le brand content dans le domaine des sports extrêmes. Les consommateurs demandent aux marques de retrouver plus de sens, d’expliciter quelle est la raison d’être d’une entreprise et qu’est-ce qui fait sa différence et sa valeur.

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Tf : Entre annonceurs, agence de communication et médias traditionnels, tout le monde se met à produire du contenu pour les marques. Où s’arrête l'information et où commence la communication ?

D. B. : La publicité est par définition parasitaire : elle emprunte le système de vie d’un autre être vivant pour subsister et se greffe sur un autre contenu pour être remarquée. A l’ère du digital, ce modèle laisse place à une expression de la marque désirée et recherchée. Sur le Web, la communication n’est plus un contenu secondaire : elle rivalise avec les contenus éditoriaux. Dans un contexte de défiance, les consommateurs sont sensibles aux contenus éditoriaux pertinents. Parce que : « Ça fait vrai », « Ça sonne juste », « Ça fait authentique ». Ils apprécient ce mode de communication subtil qui fait appel à leur intelligence, leur procurant un sentiment de reconnaissance. Les consommateurs sont très ouverts à la création de contenu par les marques. La présence de la marque est la bienvenue si elle apporte du sens et ne nuit pas à la qualité des contenus.

Tf : Quel est le rôle de chacun dans cette nouvelle dynamique ?


D. B. : Les marques et leurs agences ont pris la mesure du phénomène. Red Bull, Coca-Cola, IBM, Leroy-Merlin, Louis Vuitton, Hermès, phares en la matière, développent activement des contenus. La révolution médiatique et plus précisément l’avènement d’Internet et la démocratisation des équipements, aboutissent à l’appropriation par tous de la posture éditoriale et au décloisonnement des métiers : la distinction se fait floue entre les émetteurs de message et les canaux, chaque acteur pouvant désormais embrasser les deux rôles à la fois. Ainsi les marques peuvent créer leurs propres canaux d’expression, tandis que les médias deviennent force de conseils dans le développement de contenus. Les contenus de marque vont entrer de plus en plus en concurrence avec les contenus des médias.

Tf : Quelle est la recette qu’un brand content réussi selon vous ?

D. B. : En premier lieu, avoir une ambition éditoriale et une implication sincère dans ses contenus. Contrairement aux médias, qui ont l’obligation de produire en masse pour remplir grilles ou colonnes, la marque doit privilégier l’originalité et, pourquoi pas, adopter une démarche expérimentale. La publicité nous a habitués à faire court : il faut éviter de diluer les budgets dans des programmes de qualité moyenne. Une réponse consiste, par exemple, à produire des courts métrages ou des mini métrages de 1 minute 30 à 5 minutes, faciles à promouvoir et à diffuser. La marque est une force de frayage : elle a vocation à ouvrir de nouvelles voies à travers l’exploration de nouvelles pratiques, de nouveaux thèmes et talents. Être leader dans son champ culturel passe par une posture de recherche, hors des sentiers battus.

Tf : Quel est l’avenir du brand content, vers quoi se dirige-t-on ?

D. B. : Le brand content correspond à la prise de conscience que les marques peuvent devenir des médias en élargissant leur discours au-delà du message commercial. Avec la brand culture, on élargit encore le regard sur la marque en s’intéressant à sa réalité multisensorielle faite d’objets, de techniques, de sons, d’implication physiologique en la considérant comme une réalité sociale partagée non exclusivement discursive. La brand culture oblige à penser la marque de façon holistique. On a encore aujourd’hui beaucoup de brand content tactique ou opportuniste. L’avenir du brand content, c’est le brand content stratégique, expression éditoriale de la brand culture, riche de sens et inscrit dans la durée.

*D’après une étude de l’institut Polling Vox et de l’agence Treize Articles, pour l’Observatoire Orange-Terrafemina. Étude quantitative menée en ligne auprès d’un échantillon de 1002 personnes représentatif de la population française, les 6 et 7 novembre 2013. Étude qualitative réalisée par le Web Lab de Treize articles auprès de 20 internautes de Terrafemina.com en octobre 2013.

Mots clés
Culture Geekette numérique observatoire orange / terrafemina publicité
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