Censuré dans son pays, "Rafiki" est le premier film kenyan sélectionné à Cannes

Publié le Mercredi 09 Mai 2018
Marguerite Nebelsztein
Par Marguerite Nebelsztein Journaliste
La réalisatrice Wanuri Kahiu et les actrices Samantha Mugatsia et Sheila Munyiva du film Rafiki
La réalisatrice Wanuri Kahiu et les actrices Samantha Mugatsia et Sheila Munyiva du film Rafiki
Sélectionné à Cannes mais interdit dans son pays, Rafiki, qui raconte une histoire d'amour entre deux juliettes, est le premier film kényan présenté sur la Croisette.
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Premier film kényan à figurer dans la sélection du Festival de Cannes, Rafiki raconte l'histoire d'amour d'un couple de lesbiennes issues de clans politiques opposés au Kenya. Basé sur le livre primé "Jambula Tree" de l'Ougandaise Monica Arac de Nyeko, il est projeté ce mercredi 9 mai à Cannes dans la sélection un Certain Regard. Les Kenyans s'étaient réjouis de la participation de Rafiki sur Twitter avec le mot clef #YesWeCannes, reprenant le slogan de Barack Obama Yes we can, oui nous pouvons.

Mais le 27 avril, on apprenait que Rafiki serait interdit dans son pays, le gouvernement ayant peur qu'il fasse "la promotion du lesbianisme". Elle avait pourtant obtenu les autorisations nécessaires pour le tournage. La réalisatrice Wanuri Kahiu a réagi sur Twitter : "je suis terriblement désolé d'annoncer que notre film RAFIKI a été interdit au Kenya. Nous croyons que tous les adultes kényans sont assez matures et perspicace pour visionner du contenu local mais leurs droits ont été refusés".

Test pour mesurer les stéréotypes dans les films africains

Dans ce pays d'Afrique de l'Est, les relations sexuelles entre hommes sont punies de quatorze ans de prison. La loi ne concerne pas les femmes, tant le lesbianisme y est impensable. Le titre du film "Rafiki" veut dire ami·e en swahili, parce qu'il est impossible pour les couple d'utiliser les termes de conjoints, mari, femme ou partenaire. La réalisatrice raconte une situation inquiétante pour les personnes LGBT+ dans la région "pendant les cinq ans où le film a été développé nous avons vu une progression inquiétante dans le climat anti-LGBTI en Afrique de l'Est. Les films locaux et les émissions internationales ont été interdits à cause de leur contenu LGBTI. Nous espérons que ces discussions nous rappellent que nous avons tous le droit d'aimer et que le refus de ce droit via la violence, la condamnation ou la loi viole notre raison d'être la plus fondamentale. La possibilité pour les humains de s'aimer."

La réalisatrice de 38 ans Wanuri Kahiu défend une vision différente de l'art produit en Afrique. Elle a créé d'ailleurs un test inspiré de celui de Bechdel pour mesurer les stéréotypes dans les films africains. "1.Au moins deux Africains en bonne santé 2. ...qui sont financièrement stables (et n'ont pas besoin d'économie) 3....qui s'amusent et profitent de la vie" Si le film répond à deux de ces trois points, il défie les caricatures et rentre dans ce qu'elle appelle "l'afro bubble gum art".

Pour elle, "le fun est politique". Elle qui écrit et réalise des histoires de science fiction défend le droit à l'imagination pour les artistes africains. Elle revendique le droit de parler d'autres thèmes que la pauvreté et le Sida. Dans Rafiki, elle a voulu montrer une belle histoire d'amour naissante entre ses deux personnage Kena et Ziki "C'était vital de montrer de magnifiques Africain·e·s amoureux·ses et d'ajouter ces souvenirs au cinéma", estime-t-elle.

Rafiki est en compétition avec 17 autres films. Résultat le 18 mai lors de la cérémonie de clôture. Aucune date de sortie n'est pour l'instant prévue en France.