Pourquoi "Incroyables transformations", la nouvelle émission d'M6, nous révolte

Publié le Jeudi 11 Avril 2019
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Les animateurs de l'émission de M6 Incroyables transformations
Les animateurs de l'émission de M6 Incroyables transformations
"Incroyables transformations", la nouvelle émission d'M6 diffusée tous les jours à 17h35, a le don de nous exaspérer fortement. Pourquoi ? Grâce à son doux mélange de sexisme, d'intolérance et de méchanceté gratuite. Explications.
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"Elle voudrait un peu plus de pudeur et de retenue chez les hommes mais elle est presque nue ! Elle est où la pudeur ?" ; "Si on met un décolleté, on ne montre pas ses jambes" ; "Si je te croise habillée comme ça (avec un corset noir aux empiècements en tulle en guise de haut, ndlr), je te mets un billet dans le string !".

Nous ne sommes pas à la réunion annuelle de la FFGM (la Fédération française des gros machos) mais bien sur M6, mercredi 10 avril à 17h35, devant leur tout nouveau programme : Incroyables transformations.

Animée par le coiffeur Nicolas Waldorf, la styliste Charla Carter et la make-up artist Léa Djadja, l'émission quotidienne vise à dépoussiérer les mauvaises habitudes vestimentaires de ses participant·es (et le créneau des Reines du shopping de Cristina Cordula avec), à base de commentaires cinglants et d'un relooking d'un goût arbitrairement meilleur que celui des pauvres cobayes qui passent la porte de l'agence parisienne.

Le principe est simple. Une personne se présente devant le joyeux trio et descend l'accoutrement d'un·e proche en flèche sous prétexte qu'il ou elle ne veut que son bonheur. Et que, comme chacun sait, une vie comblée passe exclusivement par un look en accord avec les critères de beauté sociétaux.

Les coachs l'écoutent déblatérer sur la façon dont le ou la candidat·e s'habille (très mal, évidemment), avant de juger une fringue type de son vestiaire, un air de dégoût dans le regard et une envie irrémédiable de détrôner Nabilla du podium des punchlines les plus beaufs à la bouche. Et c'est partie pour la moquerie gratuite, sans que l'intéressé·e ne soit là pour se défendre.

Ensuite, le ou la proche part, laissant Corine, Evie ou Scott entrer dans l'arène. Seul·e. Après un recadrage rapide mais plutôt violent, de la psychologie de comptoir à base de "Si tu t'habilles sexy, c'est parce que tu cherches le regard des autres" (merci Sherlock) et une bonne dose d'infantilisation, direction les cabines d'essayage, le salon de coiffure, de maquillage et parfois même le cabinet de médecine esthétique. En deux temps trois mouvement, le relooking est bâclé, la coupe rafraîchie et les lèvres repulpées. On n'arrête pas le progrès.

Derniers cas en date : un mec qui demandait à l'équipe de rendre sa copine plus sexy à la maison (il déplorait qu'elle porte des combi-pyjamas plutôt qu'une nuisette), un autre qui en avait marre qu'on vienne le voir pour lui dire que sa soeur s'habillait trop moulant, une mère dont la fille agente de sécurité ne correspondait pas à l'image d'une femme en robe qu'elle aurait aimé voir, et une amie qui voulait changer la tenue "trop jeune pour elle" de sa copine.

Pas besoin d'être experte en la matière pour déceler comme une pointe de jalousie, de sexisme et de comportement malsain. Et surtout une fausse empathie qui dégage en réalité un égocentrisme maladif : ce changement de look n'est pas vraiment commandité pour le bien-être du ou de la participant·e, mais pour celui de son proche que l'image de l'autre dérange puisqu'elle ne semble pas rentrer dans les codes.

Ce qui gêne également, ce sont quelques-uns des conseils des spécialistes, assez partisans du "sexy mais surtout pas trop", "une femme ne doit pas être négligée" et surtout du classique "cachez vos défauts que je ne saurais voir", défauts qualifiant généralement des rondeurs, car la grossophobie a plutôt l'air d'être le cadet des soucis de la trame du show.

Si on peut avouer que certaines tenues de l'après sont ravissantes, et que les transformations sont, effectivement, parfois incroyables, qu'est-ce qui nous donne le droit de changer la façon de s'habiller de quelqu'un qui n'en éprouve ni l'envie ni le besoin à la base, sous prétexte qu'elle nous déplaît ?

Alors vous nous direz peut-être "Oui mais à la fin, les candidat·es sont toujours content·es, ils et elles pleurent même de joie quand ils retrouvent leur proche". En même temps, avec tout ce qu'on leur a foutu dans la gueule en l'espace d'une émission, et les critiques qu'elles doivent se taper sans cesse avant d'en arriver là, normal qu' ils et elles se sentent soulagé·es d'enfin appartenir à la norme, la seule validée par leur entourage, M6 et la société, apparemment. Loin de l'acceptation de soi que Belle toute nue prônait il n'y a pas si longtemps sur la même chaîne, comme le rappelle une internaute.

Et c'est exactement ce à quoi contribue Incroyables transformations pendant ses 45 minutes de diffusion quotidienne : conditionner ses téléspectateurs·trices et leur faire croire dur comme fer que la seule façon d'être épanoui·e et intégré·e, c'est de ne pas sortir du lot, de bien s'épiler les sourcils si on est une femme et de ne surtout pas s'habiller trop court car ça fait pute, ni trop confortable car ce n'est pas assez féminin.

Si vous voulez laver du cerveau, faites-le entre vous, mais pas les soirs de semaine sur une chaîne grand public, quand une bonne partie de votre audience est constituée d'enfants qui rentrent de l'école, que ce genre d'idées archaïques formatent et complexent.