Jean-Luc Aubert : Tout dépend des conditions de cette école. Cette mesure est souhaitable pour les enfants fragiles. J'entends par là, ceux qui n'ont pas un niveau culturel suffisant pour comprendre ce qui se dit autour d'eux car maîtriser dès l'enfance les bases du langage est très important. Or, aujourd'hui, si l'on en croit les études de pyscholinguistiques, 15 à 20% des enfants en maternelle n'ont pas un langage suffisant pour comprendre ce qui se passe autour d'eux, les consignes, les conversations des autres élèves et sont donc en dehors de la vie de classe. Des difficultés qui vont ensuite les suivre en CP, en sixième et en troisième ; on les dira mauvais en calcul, en lecture, en français ou en histoire. Mais sans le langage suffisant, ils ne peuvent pas comprendre ce qui se dit à l'école.
L'échec ou la réussite scolaire se joue en effet dès deux ans, avec l'acquisition du langage. Toutefois, ce dernier étant très lié au niveau de culture, les enfants défavorisés qui n'ont pas la chance d'être pré-scolarisés sont privés d'un outil qui leur permettrait de gommer les inégalités et de s'inscrire dans la société. On constate d'ailleurs que ceux qui n'ont pas pu acquérir les bases de la communication orale finissent par inventer un autre langage ; c'est notamment le cas dans les quartiers socialement défavorisés. L'apprentissage du langage le plus tôt possible est donc fondamental pour le fichier intellectuel de l'enfant : une bonne acquisition évitera à l'Education nationale de perdre son temps à le réparer tout au long de la scolarité, comme elle tente de le faire, en vain, depuis une décennie.
J-L. A. : Ce doit être des structures très proches de celles de la crèche avec dix, douze ou quinze enfants par classe maximum afin d'individualiser les échanges. En effet, les petits groupes favorisent la prise de parole et offrent un cadre sécurisant pour l'enfant. C'est donc la condition de base. Des classes de plus de quinze enfants n'auraient pas le même impact. Pourtant, aujourd'hui, le gouvernement envisage des classes de vingt enfants. Bien sûr, c'est beaucoup trop. Malgré tout, une préscolarisation à vingt enfants vaut mieux que rien.
Sur le plan des apprentissages, il s'agirait bien sûr d'enseignements ludiques adaptés à l'âge des élèves : des activités langagières, psychomotrices, des exercices de coordination, du chant, de la gymnastique, etc.
J-L. A. : Ce sont des personnes qui, la plupart du temps, n'ont jamais mis les pieds dans une école maternelle. J'ai été psychologue scolaire pendant vingt ans, j'ai donc eu l'occasion de collaborer avec des structures implantées dans des milieux socio-culturels fragiles. Ces expériences m'ont convaincu de l'importance de la scolarisation précoce. J'aimerais inviter les opposants à cette circulaire à faire un test. Je leur propose d'aller dans une école maternelle, dans une classe de petite section et d'observer les élèves pendant que la maîtresse leur raconte une histoire. Très vitre, ils verront plusieurs enfants décrocher simplement parce qu'ils ne comprennent pas tout ce qu'ils entendent. Je précise que je ne jette pas la pierre aux familles qui font ce qu'elles peuvent avec les outils qu'elles ont. Mais le fait est que la non-maîtrise de l'outil langagier dès le plus jeune âge est un handicap qui ne fait qu'augmenter au fil des ans.