"Toute l'industrie est raciste" : La mannequin Grace Mahary tacle le milieu de la mode

Publié le Jeudi 06 Août 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
La mannequin britannique Grace Mahary
La mannequin britannique Grace Mahary
Chez "Bustle", la mannequin canadienne Grace Mahary dénonce le racisme qu'elle a pu vivre en foulant du pied les podiums depuis quinze ans. Des discriminations pas simplement individuelles mais systémiques.
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"Oui, il y a des Noir·e·s qui ont atteint le sommet, mais ils ont été amené·e·s à se battre, ou bien à penser qu'il ne pouvait y avoir qu'une seule personne noire dans ce milieu". Elles sont acerbes, les pensées sans filtre que décoche Grace Mahary du côté du site Bustle. Si vous vous intéressez à la scène fashion, le nom de cette mannequin canadienne de trente et un ans ne vous est certainement pas étranger. En une petite dizaine d'années, Mahary a déjà défilé pour Victoria's Secret, Balenciaga, Chanel, Marc Jacobs, Nina Ricci, Yves Saint Laurent... Mais aujourd'hui, elle en a marre.

A l'heure où la mort tragique de George Floyd a libéré bien des paroles, mettant en lumière les discriminations qui traversent (toutes) les industries culturelles, Grace Mahary a elle aussi son témoignage à apporter. Car le monde de la mode qu'elle connaît si bien, dit-elle, n'honore pas toujours les valeurs progressistes qu'il lui arrive de défendre. On est même loin du compte. Elle raconte : "J'ai lu des e-mails sur la manière dont ce créateur qui vit à Paris - un créateur très célèbre - a dit: "Cette saison, nous ne présenterons pas de femmes noires".

Des anecdotes tout aussi significatives et cinglantes, la mannequin en a une pelletée. Il y a par exemple cette fois où quelqu'un l'a félicitée "d'être la seule mannequin noire dans un défilé". Aujourd'hui, Grace Mahary ne se contente pas de dénoncer un racisme ordinaire, mais aussi les failles d'un monde, celui de la mode, où l'on dénombre encore trop peu de personnes noires installées à des postes exécutifs. Le chemin est long.

"Toute l'industrie est raciste"

Et à l'écouter, ce n'est pas un simple carré noir brandi sur Instagram qui changera la donne. Le souci n'est pas individuel, il est systémique. "Dans la mode, la vérité est que toute l'industrie est raciste, décoche-t-elle à Bustle. La plupart des expériences vécues impliquent du racisme. La plupart des postes de ce milieu ont été corrompus par le racisme". C'est aussi pour déboulonner ce triste constat que la mannequin en appelle à "embaucher plus de personnes noires" sans s'en tenir à de simples jolies publications sur les réseaux sociaux. Il est plus que temps que les créateurs, stylistes et directeurs de marques se responsabilisent.

"Le problème actuel, c'est que les gens s'adressent aux personnes de couleur pour leur faire part de ce qui se passe actuellement mais sans jamais réfléchir à ce qui se produit au sein de leur propre entreprise", poursuit-elle. Le message est clair, même si la scène fashion ne semble pas encore l'avoir tout à fait assimilé. Par-delà la composition inégale des entreprises et celle des défilés, demeure aux yeux de Grace Mahary une certaine hypocrisie qui ne dit pas toujours son nom. "On m'a déjà dit que j'étais ici parce que je ressemble à une 'fille blanche', mais 'peinte' en noir, parce que j'avais 'des traits européens'", soupire-t-elle encore.

Son coup de gueule anti-racisme, la model n'est pas la seule à le pousser. Comme l'indique cette investigation du New York Times, c'est l'industrie entière qui se voit désormais contrainte à une introspection bienvenue. La scène fashion, et sa périphérie aussi. Cette année, Lindsay Peoples Wagner, rédactrice en chef du magazine Teen Vogue, et Sandrine Charles, consultante en relations publiques, ont ainsi lancé le Black in Fashion Council. Une organisation destinée "à représenter et garantir l'avancée des Noirs dans l'industrie de la mode et de la beauté", composée d'éditeurs, de mannequins, de stylistes, de responsables médias, de créatifs indépendants et d'acteurs de l'industrie. L'idée? "Bâtir une nouvelle fondation pour plus d'inclusion".

Pas la plus mince des ambitions.