"J'ai peur pour mon mari" : le cri du coeur de la Première dame ukrainienne Olena Zelenska

Publié le Jeudi 17 Mars 2022
Catherine Rochon
Par Catherine Rochon Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Dans une nouvelle interview, la Première dame ukrainienne Olena Zelenska, aujourd'hui en exil, se confie sur la peur qui l'étreint alors que son mari Volodymyr Zelensky est toujours au coeur du conflit à Kyiv et appelle à la mobilisation de la communauté internationale.
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Depuis le début de l'invasion russe le 24 février dernier, la Première dame ukrainienne est devenue l'une des principales cibles des forces russes. Tout comme son mari, le président Volodymyr Zelensky. Et sa voix est aujourd'hui particulièrement précieuse au coeur du chaos qui règne dans son pays assailli.

Dans une nouvelle interview (réalisée ce 13 mars par messages écrits et non par téléphone pour des raisons évidentes de sécurité) à la chaîne ABC News, la jeune femme de 44 ans n'hésite pas à mettre des mots sur l'offensive russe dévastatrice qui a déjà fait au moins 636 morts civils selon l'ONU au 13 mars, dont au moins 71 enfants : pour elle, il s'agit d'un "génocide".

"Je suppose que mon message est très similaire à celui que le monde entier livre. Seulement trois mots simples : arrêtez la guerre", cingle-t-elle.

Mariée depuis 18 ans à l'ancien comédien Volodymyr Zelensky, l'ex-productrice télé devenue Première dame en 2019 lors de l'élection de son époux a depuis oeuvré pour les droits des enfants et des femmes d'Ukraine, notamment à travers des programmes d'amélioration de la nutrition scolaire ou la lutte contre les violences conjugales. Mais avec le déferlement de violence qui s'est abattu sur la nation depuis l'assaut de troupes russes, la voilà confrontée à une autre réalité : celle de la guerre et d'un peuple en désolation.

Olena Zelenska et ses deux enfants, Oleksandra, 17 ans et Kirilo, 9 ans, seraient toujours en Ukraine, mais dans un lieu tenu secret pour des raisons de sécurité. Le président Zelensky confiait dans un documentaire diffusé sur Arte qu'il n'avait pas pu voir sa famille depuis le début de l'invasion. Mais cet éloignement contraint n'empêche pas la Première dame de se faire aujourd'hui porte-parole de la résistance, encourageant et galvanisant les citoyen·nes ukrainien·nes tout en sensibilisant la communauté internationale à cette tragédie qui a déjà jeté sur les routes plus de 3 millions d'exilé.es en quelques semaines.

Sur ses réseaux sociaux, elle s'emploie donc à poster des photos d'enfants et des civils blessés, des images des bâtiments éventrés, des hôpitaux dévastés. "C'est effrayant à observer. Mais nous, qui sommes vivants, devons le regarder et ne jamais l'oublier - les fosses communes à Marioupol. Ce nom et ces clichés sont dans les premières pages des médias mondiaux, mais Dieu interdit à quiconque de telles nouvelles. Cette ville saigne. Plus de deux mille personnes sont mortes pendant 19 jours de guerre", écrivait-elle par exemple à propos de la ville-martyre de Marioupol, située au sud-est de l'Ukraine et ciblée par des bombardements meurtriers.

"Il est capable de tout supporter"

Dans cette interview à coeur ouvert à ABC News, Olena Zelenska ne manque pas non plus de confier ses craintes face aux risques encourus par son mari, qui a tenu à rester à Kyiv, la capitale assiégée.

"Comme toutes les femmes en Ukraine, j'ai aujourd'hui peur pour mon mari", écrit-elle. "Chaque matin avant de l'appeler, je prie pour que tout se passe bien. Je sais aussi à quel point il est fort et endurant. Il est capable de tout supporter, surtout quand il défend les gens et les choses qu'il aime."

La Première dame interpelle vivement l'Occident pour fournir une aide substantielle à l'Ukraine, non sans dénoncer l'absence de soutien des dirigeants occidentaux lors des précédentes attaques de Vladimir Poutine aux frontières de son pays. "Aujourd'hui, notre pays et nos civils paient un prix très élevé pour le silence et l'hésitation sur cette question. Hier, c'était des femmes et des enfants innocents à la maternité de Marioupol. Nous avons perdu plus de 71 enfants à cause de la guerre de Russie. C'est un génocide du peuple ukrainien."

C'est un appel à la mobilisation des "citoyens d'Amérique, d'Europe et du monde entier" que lance Olena Zelenska pour mettre la pression sur les dirigeants politiques et les pousser à agir. "Aujourd'hui, les décisions clés de la vie sont prises dans les bureaux des personnes que VOUS avez élues comme dirigeants dans vos pays. C'est vous qui avez donné et continuez à donner le droit d'agir en votre nom. Et quand ils n'agissent pas, quand ils laissent nos enfants mourir, c'est vous qui leur donnez ce droit."

Souhaitant un durcissement des sanctions contre la Russie de la part des États-Unis et de l'Union européenne, elle comme son mari réitèrent leur demande à l'attention de l'OTAN de "fermer l'espace aérien au nom de tout le peuple ukrainien, ou au moins de nous fournir des avions pour que nous puissions défendre notre ciel par nous-mêmes."

Enfin, Olena Zelenska adresse un message émouvant aux courageuses femmes ukrainiennes : "Vous donnez la vie dans les abris anti-bombes, vous calmez les enfants avec des berceuses, tandis que l'aviation russe continue de détruire nos paisibles villes ukrainiennes. J'admire votre pouvoir. Le pouvoir qui devient plus dur qu'un marteau."