Les images de Pépita victime de misogynoir dans "Pyramide" devraient nous faire réfléchir

Publié le Jeudi 01 Avril 2021
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Mardi 30 mars, Etienne Carbonnier présentait son prime "Canap 95". Une succession d'images d'archive qui avaient marqué cette année-là. Au fil de l'émission, on a redécouvert le racisme et le sexisme avec lesquels étaient traitée Pepita, animatrice de "Pyramide".
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Elections présidentielles, Sept d'Or, rivalité Oasis-Blur... Ce mardi 30 mars dernier, dans son prime Canap 95, le chroniqueur de Quotidien Etienne Carbonnier est revenu sur une année-clé : 1995. A coup de séquences cultes et d'archives d'émissions phares qui fêtent aujourd'hui leur quart de siècle, il a rappelé à celleux qui étaient déjà né·e·s à l'époque, mais aussi aux autres, à quoi ressemblait la télé du milieu de cette décennie. Un temps que les moins de 26 ans ne peuvent pas connaître.

Pendant une heure et demi, on a (re)découvert des querelles politiques mémorables, des mangas qui ont marqué notre enfance et des clopes à l'écran. Dorothée, Jeanne et Serge, Jacques Chirac. Tout un programme qui aurait pu, dans un monde idéal, nous laisser rêveuse, un savoureux sentiment de nostalgie à l'esprit. Ce n'est pas le cas. A la place, plutôt que de retenir quelques images joviales d'une ère révolue, on est sortie écoeurée par des exemples de sexisme et de racisme crasses.

D'abord, les humiliations dégueulasses de la véliplanchiste Jenna De Rosnay lorsqu'elle remet le Sept d'Or du meilleur présentateur du JT à Bruno Masure, sous les commentaires dégradants de l'équipe de Stade 2. Aussi, les remarques odieuses de l'équipe des Grosses Têtes, le navigateur Olivier de Kersauzon en tête, à la jockey Darie Boutboul. Et puis, il y a eu les extraits d'un jeu télévisé bien connu du public : Pyramide.

Souvenez-vous. L'émission présentée quotidiennement par Patrice Laffont consistait, pour les participant·e·s, à faire deviner un mot par association d'autres termes. Comprendre que pour "patate", on pouvait dire "légume" et "frites", et remporter le gros lot si notre partenaire visait juste. Aux côtés de l'animateur vedette, comme c'était la tradition (sexiste) du moment, des jeunes femmes faisaient office d'"assistantes". D'abord, Claire Gautraud, que son collègue semblait prendre pour sa poupée tant il la tripotait visiblement sans consentement en direct, devant le regard gêné d'une concurrente. Mais surtout, Pépita.

Misogynoir décomplexée

Pépita, c'est la jeune femme noire qui, en plus d'apporter les cadeaux et d'être qualifiée de "potiche" par son collègue en off, a subi racisme et sexisme sur le plateau. Dans les séquences choisies par Etienne Carbonnier et son équipe, Patrice Laffont lui demande de s'asseoir à côté d'un candidat. Embarrassée, elle souligne qu'il n'y a pas de place. Jean-Pierre, le participant, réplique : "sur mes genoux", sous les rires de l'audience. "Je n'oserais pas", s'en sort Pépita.

Un autre jour, elle porte une tenue jaune. Le présentateur lance : "C'est printanier, tout ça". "Certains disent qu'elle est pulpeuse avec son citron", rebondit son confrère Laurent Broomhead. Le public rit à nouveau. "Je n'insisterai pas car je peux avoir la même pour rien", ajoute Laffont. Pépita rétorque : "La même ? Je veux la rencontrer !". "La même en blanc !", précise le maître-mots. A vomir.

L'émission enchaîne avec une nouvelle scène bien réelle. La jeune femme reçoit une carte postale sur laquelle figure la photo d'un chimpanzé. Nathalie Bardin, qui incarne la voix off Nefertiti, lâche spontanément : "Oh, c'est vous en photo Pépit'". "C'est à force de manger des bananes, voilà ce que ça fait", ose un concurrent. Personne ne trouve rien à redire.

De retour en 2021, Etienne Carbonnier commente : "Imaginez, ce qu'on vient de voir était diffusé à midi sur le service public. Il y avait des enfants devant la télé, dans le public, et tout passait sans problème dans les rires". Puis enchaîne sur les tubes de Michael Jackson. Dans un tweet qui met en avant le passage le soir-même, Quotidien légende : "Le jeu télévisé qui cartonnait, c'était Pyramide, où Pépita distribuait les cadeaux aux gagnants. Et aujourd'hui, en revoyant les images, on se dit que ça devait pas être facile tous les jours pour elle..."

"Pas facile tout les jours", c'est le cas de le dire. Sauf que l'expression manque de sérieux et de gravité par rapport à une situation qui, en 1995, ne se cantonne pas uniquement à France 2. Et en 2021 non plus, d'ailleurs. Ce que vit Pépita à ces moments-là, c'est de la misogynoir décomplexée et systémique, tant elle se glisse dans toutes les strates de société, ne choque absolument personne, et illustre la façon dont l'animatrice, comme les femmes noires et racisées, se trouvent à l'intersection de deux oppressions pernicieuses.

"C'était pas y'a 20 ans, ça"

Sur les réseaux sociaux, on s'indigne à juste titre. On fait référence à un débat qui, contrairement à Pyramide, date bel et bien d'aujourd'hui : "Quand on voit ce type de vidéo on comprend mieux pourquoi des victimes de racisme préfèrent rester entre elles". On épingle aussi des comportements actuels, qui prêtent à réfléchir sur ce qui a vraiment changé ces dernières années : "La prochaine fois que Sarko fait une remarque négrophobe sur votre plateau, dites à Barthès de réagir au lieu de sourire comme un âne. C'était pas y'a 20 ans ça."

Alors maintenant, que faire, lorsqu'on n'est pas concerné·e, pour contribuer à démonter ces réflexes nauséabonds ? S'éduquer et éduquer. Lire, informer, écouter. Accepter que les vécus qui ne sont pas les nôtres soient partagés sans nous. Et militer pour que ces espaces soient protégés. Ne pas se contenter de critiquer le passé quand le présent, aussi, nécessite un audit sévère. Agir à son échelle.

Un chantier colossal qu'il est essentiel d'entreprendre sans attendre. Pour s'assurer qu'on ne verra plus de telles séquences à la télé d'une part. Mais surtout, pour que les choses bougent plus loin que simplement derrière l'écran.