Pourquoi la statue en hommage à la féministe Mary Wollstonecraft crée un tollé à Londres

Publié le Vendredi 13 Novembre 2020
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Pourquoi la statue en hommage à la féministe Mary Wollstonecraft crée un tollé à Londres
Pourquoi la statue en hommage à la féministe Mary Wollstonecraft crée un tollé à Londres
Le 10 novembre, une statue en l'honneur de l'autrice Mary Wollstonecraft a été érigée à Londres. Une bonne idée en apparence. Sauf que voilà : c'est justement l'apparence de l'oeuvre, qui pêche. En plus d'écoper d'un petit format, la féministe a été représentée nue.
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200 ans, c'est le temps qu'il aura fallu à la ville de Londres pour honorer dans la pierre celle qui est considérée comme la mère du féminisme, Mary Wollstonecraft. Et dix ans de plus pour rassembler les 143 000 livres (156 000 euros environ) nécessaires au projet. L'autrice britannique décédée en 1797, à 40 ans, a été l'une des premières penseuses du mouvement, plaidant tout au long de sa vie pour que les femmes aient les mêmes droits que les hommes. Son livre paru en 1792, A Vindication of the Rights of Woman (Une justification des droits de la femme), en est l'une des nombreuses preuves.

Seulement lorsque la statue a été dévoilée, le 10 novembre, ce n'est pas tant le sentiment de victoire qui a submergé les citoyennes que celui de perplexité, voire d'agacement, face au résultat final. Car si Mary Wollstonecraft surplombe bel et bien le parc de Newington Green, dans le Nord-Est de la capitale, c'est en format réduit et complètement dévêtue, sortant d'une sorte de vague de bronze.

"Quel gâchis"

"C'est ça, notre héritage de la mère du féminisme, vraiment ?"
"C'est ça, notre héritage de la mère du féminisme, vraiment ?"

Pour la journaliste et militante féministe Caroline Criado-Perez, qui a joué un rôle clé dans la campagne pour ériger une statue de la politicienne Millicent Fawcett (la première d'une femme sur la place du Parlement), il s'agit d'une opportunité manquée de la part des instigateur·ice·s du projet de faire retentir le nom de la pionnière.

"Je ne veux pas une seule seconde leur enlever l'énorme effort qu'ils ont fourni pour réaliser cette oeuvre, c'est une réussite incroyable, mais quel gâchis de tout ce travail", déplore-t-elle au Guardian. "Je pense honnêtement que cette représentation est en fait insultante pour elle. Je ne la vois pas heureuse d'être représentée par ce rêve de femme nue, parfaitement formée, et mouillée".

La journaliste rappelle également qu'avec seulement 3 % des statues britannique représentant des femmes qui ne sont pas issues de la famille royale, il aurait été plus juste que Mary Wollstonecraft puisse être reconnue pour son rôle déterminant, ses réalisations, son travail acharné. Et non pas devenir un symbole de "toutes les femmes", comme décrit par Maggi Hambling, l'artiste qui l'a façonnée, dont l'interprétation frôle l'invisibilisation.

L'écrivaine Caitlin Moran s'indigne à son tour, et invite à se projeter dans un cadre différent, plutôt pertinent : "Imaginez qu'il y ait une statue d'un beau jeune homme nu 'en hommage' à Churchill par exemple. Ça aurait l'air fou. Ça aussi, ça a l'air fou". Comparaison qu'évoque également l'autrice Jojo Meyes : "Je pense qu'il aurait été bien de commémorer Mary Wollstencraft avec ses vêtements. On ne voit pas beaucoup de statues commémorant des personnalités politiques masculines sans pantalon."

"Les vêtements l'auraient restreinte"

Face au vent de critiques, l'artiste Maggi Hambling assure que "des vêtements l'auraient restreinte". "Il ne s'agit pas d'une ressemblance conventionnelle héroïque de Mary Wollstonecraft. C'est une sculpture de l'époque actuelle, dans son esprit", insiste-t-elle auprès de PA Media.

Un parti pris soutenu par Bee Rowlatt, autrice féministe qui a contribué à la campagne dédiée, intitulée Mary on The Green. "Maggi Hambling est une artiste pionnière et nous voulions faire quelque chose de différent que de mettre les gens sur des piédestaux", affirme-t-elle au Guardian. "Nous aurions pu faire quelque chose de vraiment, vraiment ennuyeux et ordinaire, et très victorien et démodé. Et, vous savez, j'aurais eu une journée un peu plus facile aujourd'hui". Elle ajoute de plus que la figure féminine n'a pas été sexualisée : "Ce n'est pas aguicheur. C'est un défi. C'est une oeuvre d'art stimulante, et c'est le but."

Elle conclut en estimant que, quel que soit l'avis des passant·e·s, l'important est d'attirer leur attention sur les travaux et le combat de Mary Wollstonecraft : "Je crois que l'art public est très politique. Et en ce qui me concerne, plus il y a de gens qui la connaissent, mieux c'est".

Reste toutefois une interrogation : au-delà de son accoutrement, si l'intention première est bien de combler les lacunes populaires autour des savantes et politiciennes, pourquoi penser cette statue si petite ?