Naiomi Glasses, la skateuse Navajo qui hypnotise TikTok

Publié le Mardi 06 Avril 2021
Catherine Rochon
Par Catherine Rochon Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
La skateuse navajo Naiomi Glasses
La skateuse navajo Naiomi Glasses
La jeune skateuse Naiomi Glasses a fait irruption sur TikTok. Son look, sa philosophie et sa coolitude ont fait mouche sur les réseaux sociaux. La jeune Améridienne se mobilise pour faire bouger les lignes afin que les enfants Navajos aient enfin accès à la glisse.
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La vidéo a engrangé plus de 238 000 likes. Dans cette petite séquence de quelques secondes, une skateuse en tenue traditionnelle navajo dévale des roches rouges face au soleil couchant. Aussi badass qu'instantanément iconique, Naiomi Glasses, 24 ans, est devenue une sensation sur le réseau social TikTok.

"Je vis au milieu de nulle part", confie-t-elle à Teen Vogue. Ce nulle part, c'est l'immense Nation Navajo située en Arizona, dans le Sud-Ouest des Etats-Unis. Un territoire semi-autonome de 71 000 km2 d'une beauté à couper le souffle, isolé et dont la population vit en marge, accablée par la précarité. Le parc le plus proche se situant à quelques heures de son ranch, la jeune Amérindienne a fait du vaste désert d'Arizona son terrain de jeu.

"A cause de la pandémie, je ne peux pas aller au skatepark, du coup, je skate sur les roches rouges à côté de chez moi", explique-t-elle au site spécialisé SkateIsm.

Le coup de foudre pour la planche, elle l'a eu à 5 ans, en observant son grand frère. Dès lors, Naiomi Glasses devient obnubilée par la glisse et commence à s'entraîner dans la cuisine familiale, sous l'oeil attentif de sa mère. En proie aux regards féroces de ses petits camarades, le skate va devenir sa planche de salut. "Quand j'avais 6 ans, j'ai été beaucoup victime d'intimidation. J'ai une fente bilatérale de la palette et de la lèvre. Les enfants me harcelaient et je me suis vraiment effondrée. Quand je skatais, c'était la seule fois où je décompressais."

Très vite, Naiomi hante les skateparks, affûte sa technique, aiguise ses "tricks". Et peu importe si elle est souvent la seule fille à se frotter à l'asphalte. Elle skate comme elle respire.

"Quand je skate, je peux respirer, me détendre et me ressourcer. C'est tellement libérateur pour moi. C'est le seul moment où j'oublie ce qui se passe. C'est juste moi et ma planche à roulettes", confie-t-elle à Teen Vogue.

Et elle affirme son style aussi. Sa marque de fabrique ? Les longues jupes aux couleurs vibrantes et les vêtements traditionnels Diné. "Quand j'étais plus jeune, j'avais l'impression qu'il fallait que je m'habille comme un petit garçon. En vieillissant, je me suis dit : 'Je vais patiner avec ma jupe'."

Engagée pour un skate plus inclusif

Mais cette passion émancipatrice se heurte au manque d'infrastructures dédiées aux passionné·e·s de la glisse dans les réserves amérindiennes. Pas de parcs, pas de skateshops. Une fois encore, les populations autochtones, dont 25% vivent sous le seuil de pauvreté, se retrouvent laissées pour compte. "L'un des skateparks les plus proches de chez moi est à 45 minutes en voiture. Imaginez quel défi c'était lorsque je demandais à mes parents si je pouvais y passer quelques heures après le lycée... Pas seulement pour moi, mais pour tous les skaters Navajo", regrette la jeune Navajo à SkateIsm. "Et si j'ai besoin d'un nouveau skate, il me faut faire deux à trois heures de route."

Une inégalité contre laquelle Naiomi se bat. Et son buzz sur les réseaux sociaux l'aide à porter son message. Avec l'organisation Wonders Around the World, engagée pour installer des parcs dans les zones rurales du monde où le skateboard est sous-représenté, elle milite pour faire installer un skatepark au sein de la tribu des Two Gray Hills, une communauté de la Nation Navajo. Si elle n'appartient pas à ce clan, la jeune femme insiste sur les vertus de la glisse pour les gamins. Et sur la nécessité d'en faire une pratique plus inclusive. Un combat qui a attiré l'attention du champion Tony Hawk et de la chanteuse Jewel, qui soutiennent le projet.

"La réserve Navajo est de la taille de la Virginie-Occidentale et je ne connais que cinq parcs de skate ici. Ces endroits peuvent vraiment aider les enfants à grandir. Il y a des enfants que je vois au parc qui se transforment en personnes complètement différentes quand ils sont dans leur élément. Je pense que la joie du skateboard devrait être à la portée de plus de jeunes ici."

En attendant que ce beau projet se concrétise, Naiomi Glasses tisse à la main des pièces Navajo comme des couvertures ou des sacs au milieu de ses chiens et des chèvres de sa grand-mère- quand elle ne chevauche pas sur sa "board". Et elle a d'ores et déjà des raisons de se réjouir : elle a pu constater la montée en puissance des skateuses, notamment depuis le début de la pandémie. Un élan girl power qui la met en joie. "Je vois un énorme mouvement de filles skateuses et c'est tellement génial. Je suis sur Instagram et je les vois : tant de nouveaux visages qui font des choses incroyables. Je me dis : 'Vous êtes tellement géniales ! Allez !'"