PMA, congélation des ovocytes... Willy Pasini décrypte les nouveaux moyens de faire un bébé

Publié le Mercredi 07 Février 2018
Léa Drouelle
Par Léa Drouelle Journaliste
Interview de Willy Pasini, psychothérapeute et sexologue spécialiste du couple et de la femme
Interview de Willy Pasini, psychothérapeute et sexologue spécialiste du couple et de la femme
Dans son nouvel ouvrage "J'ai un enfant quand je veux", le célèbre psychothérapeute Willy Pasini s'interroge sur le pouvoir dont disposent désormais les femmes pour choisir le moment où elle feront un enfant. Une possibilité offerte par les progrès médicaux qui ouvrent de nouvelles perspectives de vie, à l'instar de la PMA et de la congélation des ovocytes. Faut-il se réjouir de cette évolution ?
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"Chantal, Parisienne de quarante ans très absorbée par son travail, vient d'être mutée à Londres. Elle se débrouille à distance avec son bébé en envoyant son lait par DHL à sa mère qui garde son enfant à Paris... "Olga, trente-cinq ans passés, qui a un ami très âgé et qui ne désire pas d'enfants, a décidé de faire congeler ses ovules dans l'azote pour s'en servir quand il ne serait plus là..."


Willy Pasini, célèbre psychothérapeute et sexologue spécialiste du couple depuis plus de cinquante ans, a connu trois révolutions féminines : celle de la contraception avec la légalisation de la pilule dans les années 60, celle du "sexe libre" pratiqué en dehors du cadre de la procréation, et celle de la libération de la fertilité grâce aux nouvelles techniques scientifiques. Le médecin qui a passé plusieurs année aux États-Unis a observé et étudié l'impact sociétal de méthodes telles que de la Procréation médicalement assistée (PMA), de la Gestation pour autrui (GPA) et de la fécondation in vitro (FIV) sur l'indépendance des femmes occidentales d'aujourd'hui.

Depuis quelques années, des entreprises comme Facebook ou Apple proposent à leurs employées de congeler leurs ovocytes pour se consacrer à leur carrière et remettre leur projet de fonder une famille à plus tard. Un choix que nous sommes de plus en plus nombreuses à faire. En effet, l'allongement de la durée des études, le démarrage d'une carrière et le célibat rendent les désirs de grossesse plus tardifs.

À cela, s'ajoutent celles qui refusent de faire un enfant tant qu'elles n'ont pas trouvé celui qui sera le père. Et ce peu importe, leur âge. Pour Willy Pasini, ces nouveaux modes de vie et de pensée modifient profondément les moeurs de notre société. Dans son ouvrage "J'ai un enfant quand je veux" paru le 31 janvier aux Éditions Odile Jacob, le psychothérapeute s'interroge sur les bienfaits et les limites de l'évolution de la science qui permettent aux femmes de contrôler leur corps et leur fertilité, parfois en défiant les lois de la nature. Rencontre.

"J'ai un enfant quand je veux", Willy Pasini, Éditions Odile Jacob
"J'ai un enfant quand je veux", Willy Pasini, Éditions Odile Jacob

Terrafemina : Comme vous l'expliquez dans votre ouvrage, la recherche médicale a profondément évolué depuis ces dernières décennies en ce qui concerne la procréation. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ?

Willy Pasini : C'est une très bonne chose, bien sûr. Mais il reste du chemin à parcourir d'un point de vue politique et social. Le progrès médical est là, mais la société ne suit pas. Dans les pays nordiques, on trouve des lieux destinés à la petite enfance [crèches garderies] près du travail des parents, ce qui n'est pas vraiment le cas dans les pays latins comme la France ou l'Italie. La question de l'égalité salariale hommes-femmes est également loin d'être réglée dans beaucoup de pays. La femme est une acrobate, elle jongle entre son travail, la cuisine, ses enfants. Elle a plus de liberté, mais pas forcément plus de facilités pour tout mener de front.

Selon vous, y-a-t-il des limites à ne pas franchir scientifiquement parlant ?

W.P. : Je suis très partagé sur la question de la GPA. L'année dernière, une étude a prouvé que lorsque les mères portent un enfant, des cellules chimères se transmettent de la mère au foetus, ce qui implique l'échange de gènes intellectuels ou physiques, mais aussi de maladies. En Inde ou dans des pays d'Europe de l'Est comme la Géorgie ou l'Ukraine, les cliniques de fertilité sont nombreuses, car pour les mères porteuses qui reçoivent de l'argent en échange, c'est un rempart à la pauvreté. Mais, dans l'histoire, il me semble qu'on oublie l'intérêt de l'enfant. Porter un enfant pour autrui n'est donc pas une chose anodine et l'argent ne devrait pas entrer en ligne de compte. Mon âme médicale dit 'oui à la science', mais mon âme de psychanalyste me dit qu'il y a une limite à respecter, et pour moi, elle se situe ici.

Vous défendez clairement la congélation des ovocytes. Quels sont les avantages d'une telle pratique ?

W.P : La congélation des ovocytes est un progrès précieux pour la femme qui veut choisir le moment où elle fait un enfant. Si une femme plus âgée veut attendre pour d'abord s'épanouir dans sa carrière, ou si elle n'a pas d'homme dans sa vie à ce moment-là, elle peut congeler ses ovules quand elle sera prête. Je suis très favorable à ces pratiques, qui sont autorisées en Suisse et en Italie, car la femme peut prévoir de tomber enceinte plus tard. La société européenne de fertilité donne l'âge de 50 ans comme limite éthique pour faire un enfant. Cela offre davantage de marge à la femme. Elle pourra avoir un enfant à 45 ans avec des ovules qu'elle aura mis de côté dix ans avant, ce qui réduit considérablement les dangers d'un point de vue génétique.

Quid de la femme qui souhaite faire et élever un enfant seule ?

W.P : Une femme seule qui désire un enfant peut recourir à la PMA, via le don du sperme par exemple. J'ai reçu des patientes qui se faisaient envoyer un échantillon de sperme via DHL ! J'ai aussi rencontré beaucoup d'enfants nés grâce à cette méthode, et ils avaient l'air de mener une vie tout à fait satisfaisante, avec une bonne santé physique et psychique. Je me suis rendu compte que l'amour et l'affection envers l'enfant est plus important que le nombre ou le genre de ses parents, ce qui donne tort à l'avis de nombreux psychanalystes qui affirment le contraire, un point de vue que j'ai d'ailleurs pu avoir par le passé. Mais ce que j'ai vu sur le terrain m'a prouvé le contraire. Je pense qu'il y a une interférence avec l'analyse scientifique et la réalité culturelle, en ce qui concerne la question des enfants qui grandissent au sein d'une famille dite 'non-conventionnelle'.

"Les enfants élévés exclusivement par des femmes s'en sortent bien", Willy Pasini
"Les enfants élévés exclusivement par des femmes s'en sortent bien", Willy Pasini

Vous avez pu constater une différence dans la façon de concevoir la parentalité entre les familles monoparentales féminines et les couples gays...

W.P. : J'ai en effet remarqué que les couples gays qui ont recours à l'adoption optent souvent pour des garçons. Les hommes semblent plus soucieux de perpétuer le genre masculin à travers leurs enfants, ce qui n'est, d'après ce que j'ai vu, pas vraiment le cas des femmes.

Vous abordez largement la stérilité au sein du couple et cette volonté de faire "un enfant à tout prix". Cette tendance est-elle dangereuse ?

W.P. : À mon sens, oui. Pour moi, 'l'enfant à tout prix' est une véritable dépendance, une drogue. Je ne suis pas favorable à ça, car cela revient à confondre le besoin avec le désir. Ce concept est très ancien et encore très fréquent notamment dans les régions sud du monde, où le fait d'avoir un enfant correspond à un statut social, voire une obligation culturelle. Il y a beaucoup de 'mauvaises raisons' de vouloir un enfant : soigner une dépression, sauver son couple, immortaliser un membre de la famille disparu en lui donnant son prénom... Tous ces motifs ne concernent pas l'enfant et ce dernier se retrouve souvent utilisé pour le propre besoin de ses parents. Quand je rencontre des patients qui semblent présenter ces 'symptômes", j'émets une petite réserve. Mais au final, je laisse faire la nature. Car finalement, qui suis-je pour juger le degré de désir de faire un enfant ? Je leur conseille toujours de bien réfléchir, mais bien sûr, je ne peux pas décider à leur place.

Pour vous, le fait d'avoir un enfant "quand on veut" revient à concilier temps biologique et temps social... Pouvez-vous développer ?

W.P : Les femmes peuvent désormais défier la biologie si elles le souhaitent. Certaines utilisent par exemple leur contraception pour diminuer la fréquence de leurs règles. Avant, avoir ses menstruations était considéré comme un symbole féminin. Aujourd'hui, c'est devenu une gêne, voire un handicap social. C'est pareil avec la maternité. Les femmes qui entreprennent une carrière ne peuvent plus tomber enceinte n'importe quand, elles ont besoin de programmer leur vie sociale et donc de trouver un équilibre entre leur horloge biologique et la gestion de leur carrière et/ou de leur vie sociale.

Une fois qu'elles l'ont fait, elles sont prêtes à faire un enfant. Et peu importe quand. Ce qui compte, c'est que l'enfant soit désiré dans la tête. Il y a des siècles de cela, l'enfant était créé dans les cavernes, puis dans le lit conjugal. Maintenant, on a la possibilité de le faire dans les laboratoires. C'est le temps social qui prend le pas sur le temps biologique. Faire un enfant ne passe plus automatiquement par le ventre. Il faut s'habituer à cette idée, l'accepter."

J'ai un enfant quand je veux, Willy Pasini, Éditions Odile Jacob, 21€90