The Lady : « Un film historique et juste sur le sacrifice d'Aung San Suu Kyi »

Publié le Mercredi 30 Novembre 2011
The Lady : « Un film historique et juste sur le sacrifice d'Aung San Suu Kyi »
The Lady : « Un film historique et juste sur le sacrifice d'Aung San Suu Kyi »
Dans cette photo : Luc Besson
Biopic réussi d'une légende vivante, « The Lady » retrace le combat politique d'Aung San Suu Kyi pour la Birmanie, mais surtout l'histoire d'amour passionnelle et douloureuse vécue avec son époux britannique. Mireille Boisson, coordinatrice pour la Birmanie au sein d'Amnesty International, décrypte le film de Luc Besson. En salles aujourd'hui.
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Terrafemina : Amnesty International soutient et a même collaboré à ce film en fournissant des éléments sur la situation en Birmanie. Le résultat final vous a-t-il semblé réaliste ?

Mireille Boisson : En effet, Amnesty a fourni quelques éléments d’histoire sur les années 1988-1990, et sur les différentes arrestations d’Aung San Suu Kyi, de 1990 à 2003. Nous avons relu et vérifié certains éléments du scénario. Au final, tout est exact dans le film, il restitue bien le point de départ de son engagement, l’effervescence qu’il y a eu dès son arrivée en Birmanie pour veiller sa mère mourante. Sa maison est devenue, sans qu’elle le demande, le point de ralliement des vieux amis de son père, le général Aung San, négociateur de l’indépendance du pays en 1947. Ils l’ont presque obligée à prendre cette mission.

TF : Le film de Luc Besson a néanmoins cherché à s’éloigner du documentaire pour se concentrer sur une facette méconnue de sa vie, l’histoire d’amour avec son mari, le Britannique Michael Harris.

M. B. : Luc Besson disait que c’était « Roméo et Juliette en Birmanie ». Il s’agit d’un film grand public qui montre bien les immenses sacrifices consentis par Aung San Suu Kyi pour son pays. Le contexte historique est juste, mais l’aspect de sa vie privée montre à quel point les séparations d’avec sa famille, son mari et ses deux fils, qui vivaient à Londres, ont été douloureuses. Il y a là un hommage à tous les militants des droits de l’Homme et à leurs familles, qui sont confrontés à des décisions douloureuses, comme celle de ne pas rentrer en Angleterre pour dire adieu à son mari.

TF : Quelle scène vous a le plus marquée dans le film ?

M. B. : Il y a une image que tous les Birmans ont à l’esprit, même les plus jeunes, parce que leurs parents leur ont raconté. Cela se passe en 1988, juste avant qu’Aung San Suu Kyi ne prononce le discours de Shwedagon, qui marque son entrée en politique. Une rangée de soldats lui barre le passage, mais elle s’avance au milieu des canons et franchit ce « mur ». Elle ose défier le pouvoir. Cet épisode est resté comme une preuve du courage d’Aung San Suu Kyi.

TF : Aung San Suu Kyi a été libérée en novembre 2010, en quoi consiste son action aujourd’hui ?

M. B. : Elle cherche à entretenir le dialogue avec le gouvernement civil, qui a officiellement remplacé la junte militaire au pouvoir cette année. Elle travaille aussi beaucoup avec les diplomates étrangers, les envoyés spéciaux de l’ONU, le rapporteur spécial pour la commission des droits de l’Homme, ou l’ambassadeur aux droits de l’Homme français, François Zimeray. Elle vient surtout d’annoncer qu’elle serait candidate aux prochaines élections partielles, prévues pour début 2012.

TF : Les élections de novembre 2010 ont abouti à un assouplissement du régime. Quelle est la stratégie du gouvernement vis-à-vis du parti d’Aung San Suu Kyi, la Ligue Nationale Démocratique (LND) ?

M. B. : Le gouvernement a fait un geste pour que ce parti puisse revenir dans la vie politique. Des amendements à la Constitution ont été déposés dans ce sens. Cette politique de la main tendue révèle le tournant que le pouvoir veut faire prendre à la Birmanie. Le pays est candidat à la présidence de l’Asean (Association des Nations de l’Asie du Sud-Est) pour 2014, or les Etats membres ont posé comme condition à la Birmanie d’être respectable du point de vue démocratique. Le pouvoir a également réalisé que le pays était passé à côté du développement économique, et qu’il lui fallait l’appui du FMI et une levée des sanctions qui pèsent encore sur le régime. On peut saluer ces premiers pas, mais ils sont largement insuffisants. Nous attendons encore des évolutions judiciaires. En octobre dernier, près de 6000 prisonniers ont été libérés mais seulement 200 étaient des prisonniers politiques. Ils sont encore 1800 derrière les barreaux détenus dans les conditions désastreuses que l’on peut voir dans le film.

TF : En quoi consiste l’action d’Amnesty International pour la Birmanie ?

M. B. : Nous n’avons pas de mission à l’intérieur du pays, mais nous avons diverses sources pour nous renseigner. Les journalistes sur place font preuve d’une grande ingéniosité pour faire sortir l’information, mais ils mettent leurs vies en jeu pour cela. D’ailleurs 17 journalistes de la Democratic Voice of Burma (une radio dont le siège s’est exilé en Norvège) sont actuellement emprisonnés. Les prisonniers jouent aussi le rôle d’informateurs : les familles entre elles communiquent beaucoup et se donnent des nouvelles dès qu’une visite a lieu, et lorsque certains sont libérés, nous recueillions leurs témoignages sur les conditions de détention. Le film montre ces cages à chiens qu’on réserve aux prisonniers politiques, pour les punir lorsqu’ils entament une grève de la faim. La semaine dernière encore, certains ont été privés d’eau dans ces cellules minuscules.

TF : Le film pourrait-il faire du tort à Aung San Suu Kyi et aux combattants des droits de l’Homme ?

M. B. : Non, au contraire, ce film a été fait en dehors de la Birmanie et elle n’y a pas participé. En outre, il montre bien qu’elle n’est jamais entrée dans une dynamique de haine. Elle ne cesse de répéter qu’elle ne cultive aucune rancœur, malgré ces années d’enfermement, et cherche la réconciliation. Le film ne sera pas montré en Birmanie, mais on peut espérer qu’il soit largement piraté…

Pétition d'Amnesty International pour la liberté des prisonniers birmans

« The Lady », réalisé par Luc Besson, avec Michelle Yeoh et Davis Thewlis. En salles le 30 novembre 2011.

Bande-Annonce :


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