Big Data et vie privée, l'interview de Gilles Babinet : "Nos institutions sont dépassées"

Publié le Mardi 25 Février 2014
Big Data et vie privée, l'interview de Gilles Babinet : "Nos institutions sont dépassées"
Big Data et vie privée, l'interview de Gilles Babinet : "Nos institutions sont dépassées"
L'exploitation de nos données personnelles par les marques et les institutions inquiète les internautes à juste titre. L'étude menée par l'Observatoire Orange-Terrafemina révèle cette prise de conscience mais aussi l'impuissance des institutions à ouvrir un véritable débat sur les enjeux de société induits par l'utilisation de la data. Éclairage avec Gilles Babinet, expert des enjeux numériques auprès de la Commission européenne.
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Terrafemina : Vous représentez la France sur les enjeux numériques au sein de la Communauté européenne. La question de la collecte de nos données personnelles est-elle réellement un sujet de débat au niveau européen ? Quelle est votre position ?

Gilles Babinet : Oui c’est un vrai sujet de préoccupation. Les pays ont différentes sensibilités quant à cette question. Les plus en pointe sur ce débat sont la France et l’Allemagne, tandis que l’Angleterre se montre plus permissive. Il y a aujourd’hui une prise de conscience globale sur l’impact de la data, qui peut en effet devenir notre meilleure ennemie, mais je pense que la solution est de se familiariser avec l’utilisation des data le plus possible. Il y a une méconnaissance énorme de ce sujet un peu technique. Il faut informer et éduquer le grand public, mais aussi le législateur. À chaque époque son droit : un code de la donnée doit être mis en place. 

Tf : Quand on observe les résultats de notre étude, il semble que la messe soit dite : on ne peut pas aller contre la récupération de nos données par les sociétés privées sur Internet, puisque cela fait partie du business model. Est-ce qu’il y a des dangers de dérive ?

G. B. : L’affaire Prism révèle évidemment qu’il existe un danger de dictature numérique, d’abus au niveau des états ou des entreprises, et on peut s’en inquiéter. Je pense que tout est une question d’équilibre : il existe un contrat tacite entre Google et nous. Si Google vous spame c’est parce que vous utilisez l’un de ses services (gratuits), il y a un échange et cet échange doit être équitable. Lorsque ce contrat est rompu, il est normal que les citoyens se révoltent. Je trouve cependant dommage qu’on cherche à tuer le débat pour effrayer la population : la data ouvre la voie à la construction d’une nouvelle société et je pense que le débat mérite d’être posé. Jusqu’à présent cela n’a pas été fait.

Tf : A quel type d’exploitation de la data croyez-vous pour l’avenir ?

G. B. : Dans le secteur de la santé par exemple, je pense à l’utilisation des données personnelles pour les études épidémiologiques. Actuellement cela est tout à fait interdit, mais j’estime qu’on est en droit de demander leur avis aux citoyens sur ce sujet. Ce genre d’étude permettrait de prévenir certaines maladies en amont. Dans les écoles, il serait possible de détecter les enfants qui décrochent, qui ont besoin d’aide. Tout cela mérite un débat. On n’entre pas forcément dans le monde de Big Brother, mais dans des résolutions de véritables problèmes de société. 

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Tf : Notre étude nous apprend aussi que l’inquiétude et la résignation sont mêlées chez les internautes quant à l’utilisation de leurs informations personnelles. Mais est-ce que tout ne découle pas d’un manque de transparence, d’information et finalement « d’éducation » au numérique ?

G. B. : En effet on attend le moment où les mutuelles privées pourront scanner notre consommation de médicaments et notre profil Facebook pour nous proposer des offres commerciales ciblées… Tout cela devrait être réglementé, mais nos institutions sont complètement dépassées et ne comprennent rien à ces sujets. Les citoyens ressentent ce vide, ce flou dans la loi, dans l’information et l’absence de débat. Voilà ce qui crée la peur. 

*D'après une étude online pour l'Observatoire Orange-Terrafemina. Étude qualitative réalisée par le Web Lab de Treize articles auprès d'une vingtaine de femmes très connectées issues de la communauté Terrafemina, âgées de 18 à 60 ans du 16 au 18 janvier 2014. Étude quantitative réalisée par Polling Vox auprès d'un échantillon de 1017 personnes représentatif de la population internaute française, les 22 et 23  janvier 2014.

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