Le comprendre, le surmonter, l'analyser : le chagrin d’amour autopsié

Publié le Jeudi 26 Février 2015
Le comprendre, le surmonter, l'analyser : le chagrin d’amour autopsié
Le comprendre, le surmonter, l'analyser : le chagrin d’amour autopsié
Qui n’a pas connu la douleur ultime d’aimer sans être aimé en retour, ou bien d’être désaimé, un jour, par celui ou celle qu’il pensait accompagner pour la vie ? Monica Sabolo, Prix de Flore 2013, a décortiqué le mal d’amour dans « Tout cela n’a rien à voir avec moi », chronique de nos amour avortées.
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Que reste-t-il de nos chagrins d’amour ? Sur le dos de la couverture de Tout cela n’a rien à voir avec moi, Prix de Flore 2013 récemment paru en poche*, trône cette question, universelle, intemporelle. De l’adolescence où l’on est frappé de plein fouet par les premiers coups de ces amours refusées, rejetées, interrompues par l’autre, à nos vies d’adultes, ponctuées de ruptures, de divorces ou de refus polis, blessants, nous avons tous connu au moins une fois la douleur du mal d’amour.

"Relever les éléments précurseurs de la catastrophe"

Telle une inspectrice appelée sur les lieux du drame, Monica Sabolo a choisi de retracer le parcours qui mena le couple héros du roman de sa rencontre à sa rupture pourtant prévisible dès les premiers instants. « Il est scientifiquement notable, pour ne pas dire émouvant, de relever les éléments précurseurs de la catastrophe (…) », lit-on dès les premières lignes, avant que ne soient consignées toutes les pièces à conviction de ce naufrage qui emportera l’héroïne au plus profond du chagrin, mais aussi d’elle-même. SMS, emails, photographies de ces objets touchés par l’être aimé – son briquet, un ticket de cinéma, une serviette en papier –, ils sont là, tous ces témoins d’une histoire qui a tenté d’exister, et que l’auteur a choisi d’insérer entre les paragraphes telle Sophie Calle. « On a un pied dans l’autofiction, un pied dans le roman conceptuel », avait commenté François Reynaert, membre du jury qui a récompensé le roman. Et c'est ainsi.

Petit bijou de grâce littéraire, mais non dénué de cet humour nourri d’une autodérision indispensable au récit d’une histoire douloureuse, ce roman mène le lecteur à s’interroger lui-même sur le chagrin d’amour, et sur ce qu’il a fait des siens. En est-il guéri ? Ont-ils finalement été bénéfiques à sa construction ? Dans Comment guérir du mal d’amour**, Patricia Delahaie analyse le processus de la séparation, mais aussi celui de ces amours maudites, à l’instar de celle décrite par Sabolo, qui voient leurs protagonistes s’unir malgré une incompatibilité ancrée dès les premiers instants, condamnés à souffrir – du moins pour l’un des deux – lors de la séparation mais aussi pendant l’idylle elle-même. « Malgré tous ces signes de mauvais augure, on s’accroche en pensant que l’amour peut tout, qu’il ou elle finira par changer et par nous aimer comme nous voulons être aimé », écrit-elle. Mais voilà, ce type de relations, et l’ambition de vouloir à tout prix changer l’autre est souvent signe de blessure d’enfance. Quant à changer l’autre, justement, inutile de le répéter, c’est un espoir vain.

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Retenir l'autre par tous les moyens

Puis vient le moment de la rupture, celui qui vient bouleverser notre vie, en particulier à l’âge où l’on a partagé avec l’autre de longues années, des enfants, des amis, une vie. Quelle est la durée "moyenne" du deuil ? s’interroge Patricia Delahaye ? Un an, selon certains. Cinq ans pour d'autres, le temps de cicatriser totalement. Et celui d'en finir avec la peur, qui se manifeste de façons parfois folle chez l’être rejeté, celui qui s’éloigne ayant souvent fait montre d’une absence d’empathie croissante, signe de son détachement progressif ignoré par l’autre. Ramper, pleurer, évoquer le souvenir comme appât pour mieux le retenir sont quelques-unes des mille tactiques testées par les abandonnés. Selon l’auteur, toutes sont vaines à part celle « du carton », laquelle consiste à emprisonner tous les objets qui rappellent le passé dans une boîte symboliquement reléguée hors du champ de vision quotidien. Le roman de Sabolo, les échanges en morse de ses héros et les reliques sagement consignées en ces pages sont le carton de cet amour mort avant que d’être né.

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Les ruptures aident à comprendre qui nous sommes et ce que nous cherchons

Mais l’agitation du quitté, outre le témoignage d’un chagrin indéniable, ne devient-elle pas, lorsqu'elle dure, l’arbre qui cache la forêt ? « Evidemment », nous a répondu Monica Sabolo lorsque nous l’avons interrogée. « Focaliser sur l’être aimé, c’est n’avoir pas à se pencher sur les autres problèmes, ou sur son passé. » « On tombe amoureux quand on veut devenir quelqu’un d’autre dans une autre vie », disait Francesco Alberoni. Ainsi, lorsque le couple qu’on a tant voulu incarner n’existe plus, c’est bien souvent  soi-même, et la direction dans laquelle on souhaitait aller que l’on ne reconnaît plus. D’où la peur, présente dans toutes les ruptures, et coupable d’une immense partie de ce chagrin indomptable. Parmi ces peurs, Delahaye évoque celle de l’inconnu (que vais-je devenir ?), de sa nouvelle étiquette (célibataire, divorcé…), du manque d’argent, celle d’élever ses enfants seul, de ne pas être digne d’être aimé mais aussi de se retrouver face à soi-même. « Les ruptures aident à comprendre qui nous sommes et ce que nous cherchons ».

En faisant le décompte de nos plus grands bonheurs, mais aussi de nos sacrifices vécus lors de l’histoire qui s’achève, l’on découvre souvent bien plus qu’on ne l’espérait. Dans la seconde partie de son roman hybride, Sabolo plonge dans son passé en même temps qu’elle tente de panser les plaies de ce mal d’amour étouffant avant d’être enfin projetée « vers la surface, à l’air libre. »

A lire d’urgence.

* Tout cela n'a rien à voir avec moi, Monica Sabolo, Pocket.

** Comment guérir du mal d'amour, Patricia Delahaie, Leduc éditions