Connaissez-vous le "breath play", cette tendance sexuelle ultra-risquée ?

Publié le Lundi 14 Novembre 2022
Maïlis Rey-Bethbeder
Par Maïlis Rey-Bethbeder Rédactrice
Maïlis Rey-Bethbeder aime écrire, le café, traîner sur les réseaux sociaux et écouter de la musique. Sa mission : mettre en lumière les profils, les engagements et les débats qui agitent notre société.
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Cette pratique sexuelle très controversée connaît de plus en plus d'adeptes. Mais des associations se mobilisent pour informer sur les risques du "breath play", qui peuvent entraîner la mort, et sur les récupérations dont il fait l'objet dans les affaires de violences faites aux femmes.
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Le "breath play" (ou asphyxie érotique) est "la restriction intentionnelle de l'oxygénation du cerveau à des fins d'excitation sexuelle". C'est en tout cas la définition qu'en donne la page anglophone de l'encyclopédie en ligne Wikipedia, précisant que "l'asphyxie érotique peut entraîner la mort accidentelle par asphyxie". Rien que ça. Pourtant, cette pratique bien connue du milieu BDSM semble conquérir de plus en plus de (jeunes) adeptes.

Une étude datant de 2021 réalisée auprès de 4 000 étudiant·e·s aux États-Unis a ainsi révélé que plus d'un quart des étudiantes (26,5 %) et 22,3% des étudiants trans et non-binaires (22,3 %) avaient été étouffés lors de leurs dernières relations sexuelles.

Une autre étude menée en 2021 dans des universités américaines révélait que 58 % des étudiantes déclaraient avoir déjà été étouffées par un partenaire, et près de 65 % d'entre elles l'auraient vécu lors de leur tout premier rapport sexuel ou baiser.

Une pratique trop prise à la légère

On découvre aussi sur bdsm101.fr, autoproclamé "site francophone de référence sur le BDSM, bondage, domination sado-masochisme" que le "breath play" "se pratique de différentes manières : par le biais de la pendaison, la suffocation, par placement de la tête dans un sac plastique, la strangulation". Un "champ des possibles" totalement effrayant, si bien qu'un certain Gabriel, auteur des lignes ci-dessus, avoue dans son post avoir hésité à publier sur le sujet. "Je me suis demandé si je devais le mettre en ligne : ici, on sort clairement du cadre des pratiques de base", écrit-il.

"J'ai pris le parti de le publier justement pour prendre un peu de recul sur une pratique qu'on peut juger à première vue trop facile et trop sûre", poursuit Gabriel. Il n'en est rien. La pratique doit être très strictement encadrée.

Invités à discuter du "breath play" dans le podcast La pointe du cul, trois adeptes aguerris de cet acte sexuel, expliquent eux-mêmes avoir instauré des "safe words" et des "safe gestures" avec leur(s) partenaire(s). Grâce à un mot ou un geste, l'autre personne peut ainsi leur signifier immédiatement leur volonté de mettre un terme à cette pratique. Aucun des invités ne dit par ailleurs s'être livré à une telle pratique avec un·e parfait·e inconnu·e.

Le breath play est une pratique extrêmement controversée
Le breath play est une pratique extrêmement controversée

Des dérives meurtrières

Malheureusement, cette banalisation du "breath play" pousse de nombreuses personnes inexpérimentées à prendre d'énormes risques. Et l'on peut se questionner sur la responsabilité des plateformes de vidéos pornographiques, sur lesquelles circulent une profusion de films comportant le tag "choking" ("étouffement" en français), sans aucun avertissement avant visionnage. Rien que sur PornHub, ELLE Australie en recensait presque 8 000 en avril dernier.

Par ailleurs, au-delà de la simple inexpérience, le "breath play", qui ne peut en théorie être exécuté sans le consentement des deux parties et nécessite une confiance absolue en son ou sa partenaire, mène à des dérives dramatiques et à des récupérations.

Ainsi en 2018, une jeune Britannique de 22 ans, Grace Millane, se réjouissait d'avoir fait la rencontre de Jesse Kempson sur Tinder. La jeune femme était alors à Auckland, en Nouvelle-Zélande, en plein tour du monde. Elle n'est jamais ressortie de l'appartement de l'homme avec qui elle a "matché", rapporte Paris Match. La police expliquera plus tard que des blessures constatées sur son corps pourraient s'apparenter à un étouffement de "quatre à cinq minutes" qui aurait entraîné sa mort. Reconnu coupable, Jesse Kempton a été condamné à la perpétuité.

"La défense avait soutenu que la jeune femme était morte de façon accidentelle au terme d'un jeu sexuel qui avait mal tourné, une version qui avait été catégoriquement rejetée par le jury", précise Paris Match.

Cet argument serait régulièrement utilisé dans plusieurs affaires pénales, déresponsabilisant l'auteur de l'étranglement et sous-entendant que la victime était consentante. Pourtant, "dans la plupart des cas, les 'preuves' avancées par la défense sont impossibles à vérifier, puisque la victime est décédée", estiment les auteurs de l'étude Getting Away With Murder? A Review of the 'Rough Sex Defence', parue en 2020.

Une "terminologie inutile"

Le collectif britannique We Can't Consent To This se définit lui-même comme "une réponse au nombre croissant de femmes et de filles tuées et blessées dans des violences prétendument consensuelles, et une culture de normalisation de la violence à l'égard des femmes". En campagne contre "le sexe brutal", le groupe a collecté des données sur des cas nationaux et internationaux. Il établit ainsi depuis 2010 une augmentation de 90% de l'utilisation par la défense devant les tribunaux de l'expression "jeu sexuel qui aurait mal tourné".

Interrogée par ELLE Australie, Meagan Tyler, maîtresse de conférences spécialisée dans l'inégalité des genres et les théories féministes, estime que cet "argument" "est juste une autre façon d'excuser les hommes qui font des choses horribles aux femmes". Ces dernières sont donc culpabilisées dans des affaires de violences sexuelles dont elles sont elles-mêmes les victimes. En s'adonnant à des pratiques comme le "breath play" de leur propre chef, les femmes s'exposeraient sciemment à des risques, mais leur consentement ne dépend-il pas du comportement de leur partenaire, à qui elles font confiance pour savoir quand s'arrêter ?

"Peu importe comment vous l'appelez, l'asphyxie érotique est toujours un étranglement en termes de ce qui se passe physiquement dans le corps", explique Meagan Tyler. Pour elle "cette terminologie est vraiment inutile, car elle essaie de tracer une ligne là où il n'y en a vraiment pas. Même si ce n'est pas destiné à nuire, exercer une pression sur le cou de quelqu'un, même pendant quatre secondes, peut entraîner une perte de conscience, ce qui cause un certain nombre de lésions cérébrales. (...) Ce n'est tout simplement pas à débattre".