Pourquoi le Royaume-Uni interdit l'argument du rapport sexuel qui "tourne mal"

Publié le Lundi 22 Juin 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Au Royaume Uni, la législation évolue.
Au Royaume Uni, la législation évolue.
Au Royaume-Uni, l'argument de défense du rapport sexuel qui "tourne mal" (ou "rough sex") ne passe plus. Un soulagement.
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"Notre objectif ? Mettre fin à l'usage des allégations de 'relations sexuelles brutales' énoncées afin d'échapper à la justice, et mettre fin à la normalisation des violences à l'égard des femmes". L'objectif de la campagne We Can't Consent To This ("Nous ne pouvons pas consentir à cela") est limpide. Et aborde un sujet tabou : comment l'argument du "sexe brutal" (ou "rough sex") peut être employé pour masquer de véritables agressions sexuelles, voire des morts tragiques.

Mais aujourd'hui, le gouvernement britannique a décidé de briser ce tabou, en promettant l'interdiction de cette défense - celle du "jeu sexuel qui a mal tourné" - au sein des tribunaux du Royaume-Uni. Une défense qui a tendance à nier, voire à renverser, la culpabilité de l'agresseur. Et qui surtout, s'avère systématique. Comme l'énonce effectivement le magazine Stylist, l'argument du "sexe brutal" aurait été employé dans pas moins de 60 affaires juridiques nationales au cours des années 70. Et toutes impliquaient... des féminicides.

Ce n'est pas tout. Ces dix dernières années, cette défense aurait encore été exprimée par les accusés dans 28 affaires, impliquant chacune la mort d'une femme. C'est dire si remédier à ce flou juridique est primordial.

"Un énorme pas en avant"

"C'est un énorme pas en avant qui a été fait cette semaine de la part du gouvernement. Tant de joie et de soulagement pour les femmes", a soutenu We Can't Consent To This suite à cette promesse juridique. Une volonté majeure sur laquelle insiste le ministre de la Justice Alex Chalk : "Il est inadmissible de suggérer que la mort d'une femme peut être justifiée, excusable ou légalement défendable parce que cette femme s'est livrée à une activité sexuelle violente qui a entraîné sa mort", a déclaré le politicien du côté de The Independent.

Comme le rappelle le média britannique, cette "suggestion" morbide nous renvoie à une affaire récente : la mort de Grace Millane en Nouvelle-Zélande, il y a deux ans de cela. Quel fut donc l'argument principal de l'assassin de cette jeune femme de 22 ans ? Insister sur son goût pour les jeux sexuels BDSM - la victime serait morte asphyxiée. Une défense rejetée, à l'époque, par les jurés : l'accusé a finalement été condamné à la prison à vie.

En faisant évoluer la loi, le gouvernement britannique souhaite davantage de justice et incite à reconsidérer la place et le sort des victimes avant tout, quelle que soit la nature des relations sexuelles évoquées par l'accusé. Par-delà les cas dramatiques de féminicides, cette évolution juridique tend à nuancer les discours et l'opinion populaire, en rappelant l'importance du consentement au sein des relations sadomasochistes, mais également une réalité : la qualification de "sexe brutal" n'est en rien une "excuse" aux violences conjugales ou sexuelles.

"Désormais, les hommes ne seront plus autorisés à utiliser cette défense comme excuse pour tuer des femmes. Et les familles des victimes n'auront plus à s'asseoir et à écouter une seule version de l'histoire pendant que la victime, elle, est 'victimisée' à nouveau, sans possibilité de délivrer sa propre version", s'est enthousiasmée sur les ondes de la BBC Hannah O'Callaghan, la cousine de Grace Millane. Une nouvelle qui fera date ?