C'est l'histoire d'un chef de gang impitoyable qui veut devenir... Emilia Perez.
Pour assurer sa transition de genre, en finir avec son ancienne vie hyper viriliste de parrain belliqueux, et devenir enfin ce qu'iel est, la future Emilia fait appel à une avocate hyper motivée. Mais est-ce simple de bouleverser ainsi son existence ?
Voilà pour le pitch du nouveau film de Jacques Audiard, ressorti triomphant du dernier Festival de Cannes, où son quatuor de comédiennes s'est vue couronné sous les hourras de la foule. Parmi ce quatuor, les étonnantes Zoe Saldana et Selena Gomez certes, mais surtout, LA Emilia Perez : la comédienne espagnole Karla Sofia Gascon. Cible au lendemain de son sacre des pires saillies transphobes. Cela ne va pas entacher sa partition dont la flamboyance fait écho aux grands portraits de femmes de Pedro Almodovar.
Et le film alors ? Et bien, c'est un drôle d'ovni où la comédie musicale aux minutieuses chorégraphies enlace le film de gangsters aux grands éclats. Vous pouvez enfin aller le découvrir ce 21 août dans les salles. Et vous feriez mieux de sauter le pas.
On vous explique pourquoi.
Résumons la chose : une fable haute en couleurs sur la transidentité qui entremêle film de genre et comédie musicale...
Pas besoin d'amples analyses pour comprendre que Jacques Audiard délivre avec Emilia Perez une oeuvre à l'image de sa protagoniste : une création hybride, profondément fluide, qui se contrefiche des cases, qui glisse d'une identité à l'autre. Pas la moindre binarité, mais une expérience absolument plurielle. C'est un film qui vit avec son temps et en célèbre les marginalités (pas seulement LGBTQ d'ailleurs) comme pour contrer la haine et la stigmatisation qu'elles subissent.
Si elle n'est pas dépourvue de défauts, comme ce dernier acte précipité et conventionnel, on retient de cette étrange histoire en forme de conte moderne et mélomane l'intense réplique qu'elle déploie à mi parcours : "Changer de corps, c'est changer le monde". Une citation en forme de slogan queer, qui apparaît comme une véritable note d'intention.
Audiard, lui, donne voix et corps à ces personnes en célébrant plus précisément la puissance des actrices. L'auteur de Regarde les hommes tomber en profite pour bousculer quelque peu la masculinité, qui chez son Emilia s'exprime comme une forme de toxicité dont il faudrait s'émanciper. Pour bâtir, littéralement, un monde nouveau.
Si on a souvent pu lui reprocher d'édifier un "cinéma de mecs", bien que traversé de figures masculines plus sensibles (le Mathieu Kassovitz de Un héros très discret), le cinéaste s'exerce donc ici à renouveler ses mondes en s'accompagnant d'héroïnes venues renverser les murs : c'est le cas du personnage de Zoe Saldana, qui trouve dans ses séquences musicales trépidantes une émancipation bienvenue. Sa force s'exprime à travers une mise en scène aux fulgurances graphiques très "punchy".
A son image, encore une fois.
Mais plane également sur ce film tragicomique, dans ses meilleurs moments, une sentimentalité très mélancolique qui confère d'autant plus de densité à cette protagoniste-titre. Qui est vraiment Emilia Perez ? En lui attribuant un destin très politique au fil du récit, Audiard semble nous répondre : une voix pour toutes celles qui n'en ont pas.