"Cheer", le super docu Netflix qui dévoile le vrai visage des pom-pom girls (et boys)

Publié le Vendredi 17 Janvier 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Lexi, l'une des stars de la série documentaire "Cheer".
Lexi, l'une des stars de la série documentaire "Cheer".
Votre vision des cheerleaders se limite à quelques scènes d'"American Pie" ? Alors foncez binge-watcher "Cheer", la nouvelle série-documentaire de Netflix. Un divertissement qui déboulonne les clichés et nous fait pleurer comme jamais.
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Vous ignorez peut-être tout de cet événement et pourtant, il est crucial : c'est à Daytona Beach, en Floride, que se tient la plus fameuse compétition universitaire de cheerleading. Et cette année, les Navarro, une team de cheerleaders acclamés à travers tout le pays, comptent bien en ressortir couronnés. Ce sont leurs entraînements ultra-exigeants, mais aussi leurs parcours de vie, que nous raconte la série-documentaire Cheer. Une production Netflix aussi girl power qu'émouvante, débordant d'humanisme et de figures féminines complexes à souhait.

Si pour vous, les pom-pom girls ne sont rien d'autre que d'insouciantes lycéennes qui encouragent leur équipe et divertissent un public échaudé par la bière, Cheer risque bien de vous faire tomber de haut. Car le cheerleading n'est pas une partie de plaisir. Il est fait de corps qui chutent, de performances physiques inouïes et de prouesses vertigineuses. Surtout, c'est un sport de laissées-pour-compte, de marginaux, qui transforme les faiblesses en force - solidaire et sororale. Vous n'êtes toujours pas convaincu ? Alors voici quatre raisons de binge-watcher Cheer.

Pour déboulonner les clichés sexistes

"Cheer", une série progressiste et spectaculaire.
"Cheer", une série progressiste et spectaculaire.

"On n'est pas dans American Girls ! Même si on adore ces films, ça n'a rien à voir...", nous alerte-t-on d'emblée. Et pour cause. Cheer redonne ses lettres de noblesse à une pratique si mal représentée. En nous plongeant au coeur des compétitions nationales (et des entraînements qui les précédent), la série dévoile le vrai visage du cheerleading : un mix entre la gymnastique, la danse et les arts du cirque. Une suite spectaculaire de sauts, "portés" et rattrapages (de justesse) assurée par une vingtaine d'athlètes aux postes bien précis - des "acrobates" aux "voltigeuses".

Une pratique protéiforme donc, mais surtout dangereuse - l'une des plus risquées pour les femmes. C'est dire si les athlètes en question sont loin de correspondre aux préjugés qu'on leur accole. Pas de "nunuche", potiche et autres saillies de gros machos, mais de vraies machines dont les prouesses se regardent d'un oeil (on appréhende beaucoup trop le ratage !). Mais les "cheers" sont aussi des ados lambda, obsédées par leur image et angoissées au possible. De l'écorchée vive Lexi, gymnaste phénoménale au passé trouble (fait de soirées enflammées qui finissent au poste) à Morgan, héroïne tragique de l'ère Snapchat tout droit sortie d'un roman de Jane Austen, ces jeunes femmes complexes et ambivalentes nous fascinent.

Donc oui, on est loin d'American Boys ou de John Tucker doit mourir. Et ce n'est pas tout. Non seulement les "cheers" ne sont pas celles que vous pensez, mais les hommes aussi peuvent le devenir. Des pom-pom boys, il y en a plein dans Cheer. Comme La'Darius, fan de Nicki Minaj et figure de proue des Navarros, cette équipe aux treize titres nationaux. Homosexuel et noir, il a subi durant son adolescence les moqueries et les coups. Destiné à une belle carrière de footballeur, il a déserté l'univers des plaquages virils et des touchdown pour s'éclater dans cette sphère soit-disant girly. En vérité, c'est un sport deux fois plus exigeant, qui n'épargne rien ni personne.

Pour la coach Monica, notre "role model"

La coach Monica Aldama, véritable icône.
La coach Monica Aldama, véritable icône.

Et pour gérer toute cette équipe, on peut compter sur la coach Monica Aldama. Non contente de faire répéter ses athlètes jusqu'à l'épuisement, cette leadeuse multiplie les casquettes. Entraîneuse sportive, oui, mais aussi femme d'affaires (issue d'une école de commerce), working girl à la réputation nationale, mère de substitution apportant soutien et écoute à des enfants terribles aux modèles familiaux éclatés... Si les compétitions de cheerleading doivent tout à l'initiative d'un homme (Lawrence Herkimer, le fondateur de la National Cheerleading Association), Monica est là pour rappeler que ce sport est celui des féminités fortes, libres et émancipées.

C'est bien simple, on l'appelle "la reine". Une femme classe et "badass" au possible, introduite (à juste titre) par les lyrics de Nancy Sinatra : "One of these days these boots are gonna walk all over you". Comprendre, "ces bottes vont te piétiner". Gare à ceux qui auraient le malheur de lui marcher sur les pieds, donc. Mais rassurez-vous, on est loin de Whiplash. "Monica" (pour les intimes) est une source d'inspiration, pas une tortionnaire.

Pour son portrait sans fard de la jeunesse américaine

"Cheer", un beau portrait de la jeunesse américaine.
"Cheer", un beau portrait de la jeunesse américaine.

Vous le devinez, Cheer n'est pas qu'un doc sur les saltos et les vrilles. C'est avant tout le portrait d'une jeunesse meurtrie, abordant en six heures seulement des sujets aussi variés que le slut-shaming, le culte de la performance, les inégalités sociales et l'invisibilité des minorités. Cette génération est solaire, mais son innocence est perdue. Élevée dans un climat où se côtoient l'homophobie, la précarité et le racisme, elle traîne derrière elle une flopée de névroses, de traumatismes et d'envies suicidaires.

La pyramide qu'ils constituent est celle des minorités : femmes, noirs, homosexuels. Seul·es, elles et ils s'écroulent comme des châteaux de cartes. Mais ensemble, tou·te·s sortent victorieux·ses de la moindre épreuve. En (s')expédiant dans les airs, ces athlètes font de leurs différences une puissance sans jamais passer sous silence leur vulnérabilité. Et au passage, ces petit·es jeunes font virevolter les stéréotypes de genre. Si leur ascension (littérale) est l'incarnation du rêve américain, le sacre des laissés-pour-compte, pom-pom girls et boys incarnent donc tout ce que Donald Trump déteste ! Une magnifique pirouette s'il en est...

Pour pleurer comme jamais

La série-docu qui ruine ta réserve de mouchoirs.
La série-docu qui ruine ta réserve de mouchoirs.

Lancer Cheer, c'est s'assurer de fondre en larmes à chaque épisode. La faute à ces jeunes malmenés par l'existence, dont rien ne nous sera caché - le passé, les affects, les atterrissages. A l'image de Lexi (notre chouchou perso) qui, face-caméra, n'hésite pas à l'avouer : "Le cheerleading m'a sauvé la vie. Si je n'étais pas ici, je serais certainement en prison à l'heure qu'il est". Mais contrairement à ce que l'on pourrait croire, cette série ne sombre jamais dans le moralisme facile.

Pas de rédemption, non, mais une solidarité, collective et éclatante, qui déborde de l'écran. Entre deux câlins et hourras complices, les réceptions et projections des athlètes constituent des instants de communion hors-du-temps. Ces performances artistiques font du cheerleading une forme d'idéal : le refuge de celles et ceux qui trouvent dans ce sport l'harmonie qui manque terriblement à leur vie. Pom pom girls ou pas, c'est un message universel, que l'on peut aisément appliquer à la nôtre - de vie.

Cheer, disponible sur Netflix France