"Avoir le cheveu crépu est une bénédiction et non une tare"

Publié le Lundi 03 Février 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Le compte Instagram inspirant de @holykurls.
Le compte Instagram inspirant de @holykurls.
Loin des selfies aseptisés, la diversité s'invite sur Instagram. De plus en plus nombreux sont celles et à ceux à célébrer les cheveux crépus du côté du réseau social, depuis des années déjà. Un mouvement réjouissant, nécessaire et politique. Conversation avec Maëlle, créatrice du compte Holy Kurls.
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"La 'respectabilité' des personnes non-blanches est constamment inspectée en France. Pour les femmes racialisées, c'est particulièrement fort, puisque cela vient s'ajouter à la pression habituelle que l'on fait peser sur l'apparence des femmes. Être Noire en France, c'est un peu passer chaque jour une audition : prouver que l'on ne correspond pas aux stéréotypes, qu'on est 'respectable'", expliquait la journaliste Aurélie Louchart, autrice du passionnant Trop crépus ?. Un constat que l'on ne peut que déplorer, pour un mot qui, dans bien des conversations, ouvre la porte à tous les préjugés : crépus. Car le cheveu crépu défrise les esprits les plus étroits. De ceux qui, aujourd'hui encore, jugent la coupe de cheveux de la porte-parole du gouvernement Sibeth NDiaye "négligée et irrespectueuse"...

Mais sur Instagram, la résistance se fait entendre. De nombreux comptes aux milliers de followers offrent aux cheveux naturels la visibilité qu'ils méritent. A grands coups de publications lifestyle et de témoignages édifiants, de slogans stimulants et de bienveillance sororale, les voix des femmes noires retentissent et mettent à l'honneur la force de ces tifs qu'il faudrait forcément lisser mais qui, sur la plateforme pop, sont abondamment célébrés.

Sur des pages comme celles de @shinestruck, Frédérique Harrel, Whitney White... et sur bien des comptes francophones également. Raison de plus pour tendre le micro à celles et ceux qui portent cette cause.

C'est par exemple le cas de Maëlle. Sur son Insta @holykurls, gorgée de tutos très précieux, la jeune femme délivre une ode à ces cheveux "forts, bénis, volumineux, extraordinaires, versatiles, époustouflants..." (dixit l'une de ses publications). Elle nous raconte tout sur son initiative.

Terrafemina : Depuis quand et pourquoi vous êtes-vous lancée sur Instagram ?

Maëlle : Je me suis lancée sur Instagram il y a un peu plus d'un an pour partager ma passion autour du cheveu crépu. Sur mon compte, on retrouve des astuces, des conseils, des recettes capillaires et des inspirations coiffure. En somme, tout ce dont une femme aux cheveux crépus (ou à texture) a besoin pour prendre soin de ses cheveux !

Cette visibilité que vous accordez aux cheveux crépus, la considérez-vous comme militante ?

M. : Je donne de la visibilité aux cheveux crépus pour aider toutes ces femmes qui ont du mal à entretenir leur chevelure au quotidien, dans un premier temps. A travers mes expériences capillaires et professionnelles dans ce domaine, j'ai pu développer une certaine expertise, que je souhaite mettre à disposition de toutes celles qui en ont besoin. Néanmoins, le cheveu crépu est souvent perçu négativement par la société occidentale. Son image est biaisée par manque de connaissances et on l'assimile à un cheveu rêche, difficile à "dompter", indiscipliné.

Avoir un cheveu crépu n'est pas un état mais une nature, tout comme un cheveu caucasien ou asiatique. Malheureusement, beaucoup de personnes ont encore du mal à intégrer cette logique. On a encore pu le constater avec le bad buzz d'une ancienne candidate de téléréalité qui a comparé le cheveu crépu à un "balai à chiotte" ! Un manque total de respect face auquel il est difficile de rester stoïque. Alors oui, c'est à ce moment-là qu'on se doit de militer contre ces discours qui alimentent les complexes de beaucoup de femmes n'osant pas porter leurs cheveux au naturel.

Et Instagram s'avère être un bon outil pour véhiculer des messages engagés et positifs sur le cheveu crépu. C'est le réseau social du visuel, on y voit des jolies photos, des mises en scène incroyables et très artistiques. Par conséquent, c'est un outil idéal pour montrer le cheveu crépu sous son meilleur angle ! Personnellement, j'aime énormément changer de coiffure et Instagram me permet de toutes les immortaliser.

Aujourd'hui, on est encore soumis au diktat du cheveu lisse, que ce soit dans le monde du travail ou au sein de notre propre communauté. En ce qui concerne l'aspect politique de la coiffure et de la beauté, il y a une part de militantisme, notamment avec le mouvement Nappy (contraction de "Natural and Happy" : naturel et heureux). C'est une façon de s'émanciper et d'accepter sa vraie nature. Cependant, porter une coiffure reste un choix personnel avant tout, et non politique.

Quand j'ai décidé de revenir au naturel après 10 ans de défrisage, c'était tout simplement parce que mes cheveux étaient très fragilisés par ce traitement chimique. Je voulais retrouver une chevelure saine et volumineuse donc j'ai tout coupé pour retrouver ma texture crépue. Cette motivation est le partage de la plupart des femmes aux cheveux afro qui décident de porter le cheveu naturellement. Il n'y a rien de politique lorsqu'une femme blanche porte ses cheveux lisses courts ou longs. C'est pareil lorsqu'une femme noire porte son afro ! C'est son choix, c'est un désir personnel.

Quels préjugés désirez-vous combattre avec votre compte ?

M. : On m'a déjà dit que "j'avais des longs cheveux pour une noire", ce qui sous-entend que le cheveu afro ne pousse pas ! Il y a tellement de préjugés sur les cheveux crépus et à texture. Avec mon compte, j'ai envie de redorer l'image du cheveu crépu et montrer qu'il est facile à entretenir quand on a les bons produits, les bons gestes et les bons outils, que le cheveu crépu pousse comme tous les autres cheveux, certes moins rapidement... mais il pousse !

J'ai envie d'inverser certains systèmes de pensée, de dire à toutes ces femmes qui sont complexées que le cheveu crépu est beau et versatile. C'est le cheveu qui offre le plus de possibilités en termes de coiffure. On peut travailler sur la définition, on peut jouer sur la longueur grâce au rétrécissement naturel, on peut porter un bel afro sans être "négligé", faire un brushing ou des coiffures protectrices (chignon, tresses etc).... Enfin, j'aimerais vivement qu'on considère le cheveu crépu comme un cheveu soigné dans le milieu professionnel.

Recevez-vous régulièrement des témoignages de personnes discriminées pour leur apparence ?

M. : Je n'ai jamais reçu de message d'hommes mais j'ai interrogé ma communauté sur le sujet de la discrimination au travail et les témoignages sont affligeants ! Ce qui revient souvent dans les réponses est que le cheveu à texture n'est pas présentable. Il faut le coiffer autrement car vous comprenez, "l'afro n'est pas une coiffure"... Au final soit on attache ses cheveux, soit on les lisse pour être en phase avec ces fameux standards de beauté ! C'est à ce stade que la coiffure et la beauté deviennent politiques. Être jugé·e sur son apparence physique devrait être interdit.

Comme je le dit toujours, porter un afro ou une autre coiffure n'entrave en aucun cas les compétences d'une personne. D'ailleurs, je voyage souvent à Londres et ce phénomène de discrimination sur l'apparence physique n'existe pas ou peu... Chacun est libre de se coiffer, de se maquiller et de se vêtir selon ses envies.

Autrement, j'ai reçu d'autres témoignages de femmes victimes de propos discriminatoires dont les classiques "Tu ressembles à un mouton ou un caniche !" ou "Tu as mis tes doigts dans la prise électrique ce matin ?". Ce qui revient souvent aussi, c'est toute la curiosité autour du cheveu à texture. Les personnes sont tellement intriguées qu'elles oublient de demander l'autorisation avant de toucher les cheveux et cet acte est très rabaissant. Finalement, tous ces témoignages révèlent un manque de connaissance du cheveu crépu mais aussi un réel problème d'acceptation d'une beauté plurielle.

Néanmoins, je pense que le pire dans ces témoignages, c'est de constater que même au sein de la communauté afro, le cheveu crépu est stigmatisé. Beaucoup de femmes se sont vues critiquées par des hommes ou femmes noires car pour eux, porter ses cheveux au naturel, c'est ne pas être coiffé·e. Il faut faire des tresses, des tissages ou les lisser pour être dans la "norme". Cela pose une vraie problématique : si on n'accepte pas avec nos cheveux crépus, alors pourquoi les autres devraient nous accepter ?

Pensez-vous qu'un homme aux cheveux crépus fasse l'objet d'autant de préjugés qu'une femme ?

M. : On est dans une société où c'est déjà compliqué d'être une femme, et de surcroît quand on ne ressemble pas à une blonde aux yeux bleus. De ce fait, je pense que les femmes sont plus sujettes aux jugements sur leurs cheveux crépus que les hommes. Par contre, je connais des hommes qui ont coupé leurs cheveux crépus ou lockés pour être sûr d'être recrutés !

Avec cette abondance de comptes militants sur Instagram, diriez-vous que les mentalités évoluent aujourd'hui ?

M. : Oui, bien sûr, les mentalités évoluent ! On voit de plus en plus de femmes noires s'affranchir des produits défrisants. Qui aurait cru 20 ans plus tôt que cela serait possible ? Le retour au naturel n'est pas une mode ou une tendance. Il s'agit d'un acte bien ancré et sans détour. Un acte porté par des acteurs du changement comme j'aime le dire. Entre autres, on retrouve les bloggeurs/Youtubeurs/Instagrameurs qui fleurissent sur la toile pour prodiguer leurs conseils, les personnalités comme Inna Modja ou Rokhaya Diallo sont de véritables porte-paroles des femmes aux cheveux crépus.

Des événements communautaires comme la Natural Hair Academy permettent de réunir des milliers de personnes autour de ce sujet chaque année. De nombreuses marques créées par des afro-descendants comme Les Secrets de Loly aident les femmes à prendre soin de leur cheveu grâce à des produits adaptés et sains. Cette année, plusieurs miss sont noires et portent leurs cheveux au naturel comme Miss Univers et notre chère Miss France. Nous avons des modèles auxquels on peut s'identifier ! Tous ces acteurs sont les témoins d'une évolution des mentalités et nourrissent cet engouement autour des cheveux à texture malgré une stigmatisation toujours persistante.

L'an dernier encore, la mannequin Olivia Anakwe a déploré le fait que les coiffeurs de la Fashion Week ne savaient pas s'occuper de ses cheveux crépus. L'industrie de la mode ignore-t-elle encore trop les cheveux naturels et crépus ?

M. : J'évolue dans le secteur des cosmétiques et de la coiffure et il y a un gros problème avec les formations dédiées aux coiffeurs. Dans les écoles, on n'apprend pas à coiffer sur un cheveu crépu mais uniquement sur un cheveu de type caucasien. La seule technique qui est traitée dans le programme, c'est le défrisage ! Alors, il est difficile pour un coiffeur d'appréhender un cheveu crépu quand on lui apprend seulement à le défriser.

Beaucoup de coiffeurs diplômés font des formations complémentaires à l'étranger pour se former à la coiffure sur cheveu crépu. Donc malheureusement, l'industrie de la mode regorge de coiffeurs pour qui le cheveu crépu reste un mystère.

Or dans une société de plus en plus métissée, il me paraît crucial de revoir le programme des formations de coiffure. A ce jour, je crois qu'il existe seulement une ou deux écoles en France proposant des formations sur les cheveux de type afro. Proposer des tips, des produits ou des contenus permet d'être autonome et de maîtriser son cheveu. Je ne pense pas qu'il s'agit de combler un vide du moins au regard de l'industrie de la beauté. Actuellement, on constate quand même une offre croissante en termes de cosmétiques capillaires.

Les géants des cosmétiques ont compris que le marché des cosmétiques afro est une vraie mine d'or et de nombreuses marques spécifiques voient le jour. L'offre est de plus en plus grandissante bien que les réseaux de distributions demeurent assez restreints. L'idéal serait de voir plus de marques spécifiques dans les hypermarchés ou les parfumeries par exemple.

Beaucoup parlent des cheveux crépus comme d'une "couronne". Qu'est-ce que cela signifie pour vous ?

M. : On parle de "couronne" car le cheveu crépu renvoie à quelque chose de précieux, de majestueux et de magnifique pour toutes ces femmes qui le portent fièrement. Comparer le cheveu crépu à une couronne, c'est lui redonner de la valeur. Une valeur incommensurable après des années de rejet, lié notamment à l'esclavage. D'ailleurs dans la communauté crépue, on décrit souvent les personnes qui arborent leur cheveu au naturel comme des "queens" !

On est belles et conscientes qu'avoir un cheveu crépu est une bénédiction, et non une tare. Nos cheveux crépus sont le reflet de notre identité, de notre histoire et de notre personnalité ! Ce n'est pas juste un simple cheveu mais un sujet qui rassemble. Et à travers lequel on s'exprime avec assurance.