Non, il n'y a pas besoin de "bonne raison" pour ne pas vouloir d'enfant

Publié le Mardi 29 Novembre 2022
Maïlis Rey-Bethbeder
Par Maïlis Rey-Bethbeder Rédactrice
Maïlis Rey-Bethbeder aime écrire, le café, traîner sur les réseaux sociaux et écouter de la musique. Sa mission : mettre en lumière les profils, les engagements et les débats qui agitent notre société.
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Non, il n'y a pas besoin de "bonne raison" pour ne pas vouloir d'enfant
Bettina Zourli, créatrice du compte Instagram @jeneveuxpasdenfant, considère qu'elle n'a pas à se justifier de ne pas vouloir d'enfant. L'autrice a constaté une tendance à lier systématiquement le non-désir d'enfant avec la cause écologique. Elle explique à Terrafemina pourquoi il faut cesser de faire ce rapprochement.
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Bettina Zourli ne veut pas d'enfant. Elle a même créé un compte Instagram entièrement dédié à ce sujet (@jeneveuxpasdenfant). Si l'autrice aime répondre aux questions des étudiant·e·s en journalisme et des médias sur le sujet du non-désir de maternité, elle s'est désolée dans une récente publication que le fait de ne pas vouloir d'enfant soit trop souvent abordé sous l'angle écologique. "Je suis fatiguée et je suis en colère du manque de recul dont font part les journalistes", a-t-elle ainsi écrit. "Le dérèglement climatique étant désormais sur toutes les lèvres, on peut enfin parler de ces gens bizarres qui ne veulent pas procréer sous un angle plus positif", ironise-t-elle.

Comme s'il fallait une bonne raison aux "childfree" (celles et ceux qui revendiquent leur choix de ne pas avoir d'enfant), une justification acceptable par la société pour seulement exister. Bettina Zourli revient sur sa mise au point pour Terrafemina.

Terrafemina : Quelles sont les raisons qui vous ont poussée à publier ce post Instagram ?

Bettina Zourli : Je pense que nous ne sommes pas beaucoup à parler publiquement du désir de ne pas être parent. Je reçois de plus en plus de demandes, soit d'étudiant·e·s en journalisme, soit de médias, qui me proposent de parler du fait de ne pas vouloir d'enfant, ce qui est une très bonne chose. Mais en réalité, leur sujet ne s'arrête jamais seulement au non-désir d'enfant, mais est quasiment toujours suivi de "pour des raisons écologiques". Cela me hérisse le poil dans le sens où je vois bien pourquoi c'est la seule raison qui est mise en avant.

C'est parce que l'écologie et le dérèglement climatique sont enfin devenus une réalité pour la plupart d'entre nous. Cela fait partie de nos préoccupations et c'est sûr que c'est plus simple pour légitimer quelque chose (le fait d'être childfree- ndlr) qui est encore largement "pathologisé". J'emploie ce terme à dessein parce que moi, on m'a déjà dit qu'il fallait que j'aille voir un psychologue pour cette raison-là. Comme si j'avais forcément un problème, un traumatisme à régler puisque je ne voulais pas d'enfant... Et je ne suis vraiment pas la seule à entendre des discours pareils.

En plus de cela, certains médias racistes diffusent le fait que ce serait une bonne chose que l'on réduise la population pour le bien de la planète. J'ai réalisé que si l'on se mettait à encourager le fait de réduire le nombre d'enfants "pour des questions écologiques", c'était vraiment la porte ouverte à des politiques qui peuvent être très dangereuses, notamment racistes mais aussi eugénistes.

Selon vous, le mouvement "childfree" pourrait donc être récupéré à des fins politiques ?

B.Z : C'est vraiment un truc de pays occidentaux de dire : "Il y a une crise climatique, donc on va faire moins d'enfants". Dans Faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète ? Emmanuel Pont consacre tout un chapitre à la démographie. Il montre en quoi réduire la population mondiale ne serait pas forcément la solution à la crise climatique (dans son ouvrage paru en 2022, l'ingénieur Emmanuel Pont explique notamment que les pays où la croissance démographique est la plus forte, plutôt pauvres, ne seraient généralement pas les pays qui émettraient le plus de gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique- Ndlr).

Imaginons qu'en Europe, on mène une politique de l'enfant unique, comme cela a été fait en Chine : ça ne changerait quasiment rien aux émissions de gaz à effet de serre des Européens. Donc il n'y a pas de "problème" de démographie en tant que tel. Le problème, c'est le mode de vie occidental.

Si on mettait en place une loi pour réduire la population et maîtriser la natalité, on peut être sûr·e·s que cela serait la porte ouverte à- par exemple- la création d'un "permis à enfanter". Il y aurait quand même de grandes chances que ce "permis" soit très validiste, très grossophobe, classiste et raciste, et qu'il soit réservé toujours au même type de population, à savoir les personnes qui sont déjà les dominant·e·s dans nos sociétés. Donc les personnes blanches, bourgeoises... Ce n'est pas souhaitable.

La crise climatique ne pourrait pas être résolue seulement grâce à une baisse de la natalité
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Il faut donc arrêter de présenter le fait de ne pas vouloir avoir d'enfants comme la solution au problème écologique et démographique.

B.Z. : Exactement. Et en plus, c'est invisibiliser, même d'un point de vue plus individuel, le fait que l'immense partie des gens qui ne veulent pas d'enfant n'en veut juste... parce qu'elle n'en veut pas. Ça ne s'explique pas, c'est un désir interne. Moi, je suis incapable d'expliquer pourquoi je ne veux pas d'enfant réellement, parce qu'en fait, c'est juste un désir : on ressent le désir de vouloir procréer, celui de ne pas en être sûr·e, ou celui de ne pas vouloir procréer.

Ne pas vouloir d'enfant n'est pas du tout accepté, mais comme il y a maintenant une profusion d'articles sur le fait que ce serait relié à l'écologie et que du coup "c'est bien", on fait comme si c'était "ok". Alors qu'en réalité, quand j'explique pourquoi je ne veux pas d'enfant, je reçois encore des réactions vraiment négatives et très virulentes parfois. Il n'y a pas besoin de trouver une "bonne raison" pour justifier le fait que certaines personnes ne veulent pas d'enfant.