En Corée du Sud, une députée scandalise... en portant une robe

Publié le Mardi 11 Août 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Ryu Ho-jeong victime de misogynie.
Ryu Ho-jeong victime de misogynie.
Parfois, le scandale ne tient qu'à quelques bouts de tissu. C'est ce qu'a démontré la députée coréenne Ryu Ho-jeong en aborant une tenue jugée "inadéquate" voire même provoc'. De quoi échauffer les esprits les plus rétrogrades.
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Quand Ryu Ho-jeong pénètre dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale en ce début août, on ne s'attend pas vraiment à ce que son entrée vire à la critique vestimentaire. A seulement vingt-huit ans, Ryu Ho-jeong est députée et membre progressiste du Parti de la justice (le parti "de gauche" de Corée du Sud) : la jeune politicienne n'est pas là pour parler Fashion Week. Et pourtant, c'est la tenue qu'elle arbore qui va provoquer un tollé. Son look, précise ABC, suscite très vite les remarques les plus misogynes d'anonymes et de membres d'autres partis sur les réseaux. On dit de Ryu Ho-jeong qu'elle est "une call girl", "une prostituée" ou encore "une hôtesse de bar".

L'arme du crime ? Une robe estivale. De beaux oripeaux d'été aux motifs rouges et blancs. Mais la tenue est jugée "inappropriée" sur les bancs de l'Assemblée. Spontanément, les citoyens (mâles) se font une joie de commenter son physique. Etudiant en Corée du Sud interrogé par le média américain, Jung Yoojin tacle la principale concernée : "Le job d'un membre de l'Assemblée est comme un service public que tous les citoyens surveillent, les députés doivent donc s'en tenir à la pure formalité dans l'exercice de leur travail. Or se présenter en robe rouge va à l'encontre du sentiment national". Difficile de délivrer discours plus paternaliste.

Si paternaliste d'ailleurs - rappelons que Ryu Ho-jeong est la plus jeune membre de l'Assemblée - que pour bien des voix, ce geste fashion serait empouvoirant. Pour le média The Asian Feminist, la politicienne ne se contente pas de porter une simple robe : elle "défie la domination masculine du Parlement". Et forcément, ça ne passe pas.

Réviser les codes

La domination masculine, oui, ou plus largement "les vieilles pratiques" qui vont avec, suppose le Korea Times. Dans les pages du journal, la principal concernée délivre sa propre version de la chose. "On dit que l'Assemblée nationale est dominée par les hommes, en particulier par les hommes dans la cinquantaine. Je voulais contester les traditions de l'Assemblée, symbolisées par des costumes et des cravates de couleur foncée", déclare Ryu Ho-jeong. D'où le choix de vêtements décontractés et solaires. A ABC News, elle précise encore que "l'autorité ne se construit pas sur le port d'un costume". Une sorte de "OK Boomer" que bien des esprits chagrins devraient méditer.

"L'Assemblée nationale est aussi un lieu de travail. Avant, j'oeuvrais dans l'industrie informatique. Et peu de gens portaient des costumes", a-t-elle poursuivi sur le même ton. Peut-être serait-il temps d'élargir le dressing en donnant le la aux tenues informelles, que d'aucuns jugent "indécentes". Surtout quand ce sont des femmes qui transgressent les codes. Curieux sort que celui des politiciennes, dont les tenues suscitent aussi bien des réflexions machos systématiques déguisées en compliments que des insultes rétrogrades jamais avares en "slut shaming".

Du côté du journal anglophone de Corée du Sud (où un parti 100% féminin s'est récemment présenté aux législatives), la députée et membre du Parti Démocrate Yang Hyang-ja semble être du même avis : "Il est regrettable qu'une femme soit devenue l'objet d'une telle controverse. Je ne suis pas d'accord avec toutes les opinions de Ryu, mais je ne peux être qu'en désaccord avec les critiques excessives qu'elle reçoit pour sa tenue. Je tiens à la remercier d'avoir défié l'autoritarisme excessif de l'Assemblée".

Des remerciements réitérés sur la Toile, où l'on célèbre désormais l'audace de la jeune femme. Légère piqûre de rappel au passage : dans le domaine de la pépite sexiste, nous n'avons pas grand chose à envier à la Corée du Sud. En 2012, l'ancienne ministre du Logement et de l'Egalité des territoires Cécile Duflot suscitait les sifflets en portant sur ses épaules une simple robe à fleurs.