CV anonyme : était-ce vraiment une si mauvaise idée ?

Publié le Mercredi 20 Mai 2015
Charlotte Arce
Par Charlotte Arce Journaliste
Journaliste en charge des rubriques Société et Work
CV anonyme : était-ce vraiment une si mauvaise idée ?
CV anonyme : était-ce vraiment une si mauvaise idée ?
Le CV anonyme obligatoire, c'est fini. Alors que l'an dernier, le Conseil d'État avait exhorté le gouvernement de généraliser son usage dans les entreprises de plus de 50 salariés, le ministre du Travail François Rebsamen a annoncé mardi 19 mai que la loi allait finalement être "abrogée". La raison ? Censé lutter contre les discriminations à l'embauche, le dispositif a finalement été jugé trop coûteux et pas assez efficace.
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Fin du suspens autour de la généralisation du CV anonyme. Après neuf années de tergiversations, le ministre du Travail François Rebsamen a annoncé mardi 19 mai que l'article de loi rendant obligatoire la généralisation du CV sans nom ni photo dans les entreprises de plus de 50 salariés sera finalement "abrogé" par la réforme du dialogue social, dont l'examen en commission a débuté hier à l'Assemblée nationale.


Pourtant, en juillet dernier, le Conseil d'État avait préconisé tout l'inverse. Constatant que le décret d'application de la loi de 2006 généralisant l'usage du CV anonyme n'était pas appliqué, la plus haute juridiction administrative du pays avait donné six mois au gouvernement pour le mettre en place. C'est la remise dans la matinée d'un rapport sur le sujet qui a convaincu François Rebsamen de se prononcer sur son abrogation.

Un dispositif globalement "coûteux" et "inefficace"

Présidé par Jean-Christophe Sciberras, ex-directeur de l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH), le groupe de travail qui a planché sur le rapport a en effet estimé que la généralisation du CV anonyme, loin d'être l'ultime rempart contre les discriminations à l'embauche, était en fait un dispositif globalement "coûteux" et "inefficace".


Le rapport dénonce notamment "la lourdeur et les éventuels effets pervers qu'il peut introduire dans les processus de recrutement", ainsi que "son coût, les modalités pratiques, la nécessité d'anonymiser également la lettre de motivation". Surtout, le rapport souligne les carences du dispositif : "Le CV anonyme ne permettrait pas de valoriser les différences", il "irait à l'encontre de la liberté de choix des entreprises et des candidats" et "risquerait de conduire à des démarches de contournement avec l'utilisation accrue d'Internet comme mode de recrutement".


"Les conditions de recrutement des entreprises se sont diversifiées et il faut en tenir compte pour ne pas obtenir l'effet inverse à celui voulu", a estimé hier François Rebsamen. "Cela ne veut pas dire que le CV anonyme n'est pas un outil, ça veut dire que ce n'est pas le seul outil."

Patronat et associations mécontents

Pour remplacer le CV anonyme, le groupe de travail a formulé 18 recommandations pour lutter contre les discriminations à l'embauche. Interviewé par Les Échos , le ministre de la Ville Patrick Kanner a affirmé qu'elles "seraient toutes mises en oeuvre". "Le rapport remis mardi par Jean-Christophe Sciberras, le président du groupe de travail sur la lutte contre les discriminations en entreprise, à François Rebsamen, à Christiane Taubira et à moi-même ne fait pas miroiter d'hypothétiques solutions miracles, mais il avance des solutions qui marchent. Il est très pragmatique et on ne peut que s'en féliciter", a-t-il ajouté.


Parmi les recommandations émises par le groupe de travail, se trouve notamment celle du "recours collectif" (ou "class actions") : en cas d'échec du dialogue social, les associations ou organisations syndicales pourront demander réparation au nom des victimes de discriminations à l'embauche ou dans l'emploi. Cette mesure a cependant été vivement contestée au sein du patronat. Les trois principales organisations patronales (Medef, CGPME et UPA) ont indiqué qu'elle "ne peuvent soutenir les orientations de ce rapport" en raison de son "approche très 'à charge' pour l'entreprise".


Il ne satisfait pas non plus la Maison des Potes, l'association qui avait saisi le Conseil d'État pour l'application du décret en juillet 2014. Pour rappeler au PS sa promesse numéro 25 de généralisation des CV anonymes pour lutter contre les discriminations, la Maison des Potes réclame cette fois-ci une astreinte de 1 000 euros par jour de retard à l'encontre de l'État pour non-publication du décret de 2006.