Elle a créé "Little Nappy", la première héroïne noire de dessin animé made in France

Publié le Mercredi 22 Avril 2020
Catherine Rochon
Par Catherine Rochon Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Little Nappy, la première héroïne de dessin animé noire française
Little Nappy, la première héroïne de dessin animé noire française
Consciente du manque de représentation de la diversité dans l'univers jeunesse, Hashley Auguste a créé sa propre petite héroïne noire. Little Nappy se décline aujourd'hui en livres, poupée et dessin animé.
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Hashley est une petite fille joyeuse de 7 ans et demi. Et c'est une "little nappy". Comprendre une adepte des cheveux naturels. Ses cheveux crépus, elle a mis du temps à les accepter et à les chérir. Moquée par ses camarades, Hashley a voulu lisser sa chevelure, gommer sa "différence". Jusqu'à ce qu'elle comprenne qu'elle constitue sa richesse. En paix avec elle-même, cette héroïne animée va guider les autres enfants à cheminer vers cette nécessaire acceptation de soi.


C'est en s'inspirant de sa propre expérience qu'Hashley Auguste, Franco-haïtienne de 27 ans, a façonné le projet Little Nappy. "L'arrivée du mouvement nappy en France, le retour aux cheveux naturels, m'a beaucoup inspirée. Je m'y suis mise d'ailleurs. J'avais créé une petite page Instagram où je donnais des petits conseils capillaires et j'ai eu beaucoup de retours de mamans qui me disaient : 'Mais comment faire pour ma fille ?'"

C'est là que surgit le déclic. Car petite, Hashley Auguste a elle-même souffert de l'absence de figures auxquelles s'identifier. Des héroïnes et héros qui lui ressemblaient à la télé ou dans les livres en France ? Il n'y en avait pas. Elle a dû se contenter de "lire les Tom-Tom et Nana". Et sa boussole d'ado en mal de repères l'a poussée à se tourner de l'autre côté de l'Atlantique pour y dénicher des modèles pop comme les Destiny's Child, Beyoncé ou encore Shakira.


Après des études de langues et une école de commerce en marketing international, la jeune femme fourmillant d'idées se prend donc à rêver d'un univers ludique qui se déploierait autour d'une petite héroïne noire. Objectif ? Apprendre aux enfants racisés à s'aimer et injecter un peu de couleur dans un spectre des représentations bien trop blanc. Ce joli projet la porte et elle se lance directement après ses études en intégrant une formation d'entrepreneure.

Après une étude de marché et de multiples recherches, le constat est clair : le problème de représentation se révèle criant et la demande est là, comme le prouve le carton du livre Comme un million de papillons noirs de Laura Nsafou (plus de 10 000 exemplaires écoulés). Et si les statistiques ethniques n'existent pas en France, il apparaît qu'aux Etats-Unis les personnages blancs représentent encore 73,3% des protagonistes de littérature pour enfants (contre 7,6% de héros noirs). Et qu'au Royaume-Uni, seuls 4 % des livres jeunesse publiés en 2017 dépeignaient des héros racisés.

Livre Little Nappy
Livre Little Nappy

"Pas un caprice, un mal-être"

Hashley Auguste décide alors d'abord de sortir un livre en 2018, Little Nappy : Quand maman m'apprend à m'occuper de mes cheveux. Une héroïne "pas entièrement autobiographique, mais qui me ressemble beaucoup." Comme elle, la fillette illustrée a la double-culture franco-haïtienne et comme elle, elle complexe sur ses cheveux. Le succès est immédiat et Hashley conçoit alors la poupée chiffon Little Nappy pour offrir aux petites filles noires un jouet affranchi des codes esthétiques européens. Aboutissement du projet multidimensionnel : le dessin animé, sorti sur la plateforme Youtube en début d'année. A travers les mini-épisodes colorés, courts et très accessibles, l'autrice s'emploie à déconstruire les préjugés, déboulonner les complexes et à livrer de jolies leçons de tolérance et d'empouvoirement aux enfants.

Ainsi, le premier épisode aborde en deux précieuses minutes le sujet central de la discrimination capillaire qui fait encore des ravages dans les établissements scolaires. "Je reçois énormément de témoignages dans ma messagerie sur Facebook ou Instagram de parents qui m'expliquent que leurs enfants détestent leurs cheveux crépus et qu'ils ne veulent plus aller à l'école. Ce n'est pas un caprice, c'est un véritable mal-être", souligne la créatrice. "Il y a encore beaucoup d'enfants qui sont harcelés à l'école à cause de leur nature de cheveux ou leur couleur de peau. Pour moi, les cheveux sont très symptomatiques, même si le dessin animé aborde de nombreux thèmes."

C'est ainsi à travers les paroles bienveillantes de la maman qu'Hashley Auguste délivre son message d'acceptation de soi pour tous les enfants, racisés ou non. "Les petits ne devraient pas avoir honte de ce qu'ils sont. Qu'ils aient les cheveux crépus ou non. Tous les enfants sont différents. Il faut accepter nos unicités pour mieux vivre dans la tolérance."

Ses mots d'ordre : célébrer la différence et le brassage des cultures. Mais aussi encourager les enfants et leur livrer des exemples de figures noires inspirantes comme la romancière américaine Toni Morrison ou l'actrice franco-sénégalaise Aïssa Maiga. "J'ai également été conseillère en insertion en Mission locale et les enfants que j'avais, souvent noirs ou d'origine maghrébine s'auto-censuraient beaucoup en terme d'ambition", explique Hashley. C'est pourquoi elle propose également de petits ateliers d'estime de soi autour des livres afin d'ouvrir la discussion et ancrer des mantras qui font du bien et donnent des ailes. "Je suis belle, je suis courageuse, je suis forte, j'aime ma différence et j'aime la différence des autres."

Galvanisée par les retours enthousiastes des parents et des enfants ("Dans les salons du livre où je vais, j'entends les gamins dire : 'Maman, regarde, elle me ressemble !'"), Hashley Auguste prévoit d'élargir l'univers de sa Little Nappy si attachante. Poursuivre les épisodes des dessins animés, mais aussi sortir toute une collection de livres. "Un peu sur le modèle des Martine", sourit-elle.