"Trop gay" : pourquoi l'écologie en dit long sur les préjugés sexistes et réacs

Publié le Mercredi 12 Février 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Le recylage serait "trop gay" pour certains hommes.
Le recylage serait "trop gay" pour certains hommes.
Et si l'écologie en disait long sur les inégalités de genre ? Et si l'écoresponsabilité était majoritairement féminine ? C'est là la théorie du "eco gender gap", et c'est aussi passionnant qu'édifiant. On vous explique.
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Les produits de consommation éthiques (recyclables, réutilisables, biodégradables) seraient majoritairement achetés par les femmes. Des cosmétiques aux protections hygiéniques, des ustensiles de cuisine aux contenants (quels qu'ils soient) en passant par les fringues les plus "green". Une question nous taraude alors : et si l'écoresponsabilité était avant tout une affaire de militance féminine ? Et si, en plus de l'inégalitaire partage des tâches ménagères au foyer, les hommes brillaient par leur manque d'investissement écologique ?

C'est là la supposition du Guardian, qui explore le temps d'un article "l'eco-gender gap", comprendre la (profonde) différence d'engagement écologiste entre les sexes. Ce fossé, dixit le média britannique, s'expliquerait entre autres choses par le fait que la plupart des produits respectueux de l'environnement sont ouvertement commercialisés à l'adresse des femmes. De quoi décourager tous ces messieurs de prendre leurs responsabilités ? Oui, mais il n'y a pas que cela...

"Trop gay"

"Si vous êtes un homme et que vous ne comprenez pas que c'est important, quelque chose ne va pas", déplore d'emblée Simon Duffy, le fondateur de la marque éthique Bulldog. Et pourtant ! Selon le Guardian, des campagnes ciblées des annonceurs aux propositions du marché, c'est la société de consommation qui, la première, nous vendrait cette idée selon laquelle les femmes "seraient les guérisseuses de la planète". Leurs infirmières, mais aussi leurs ménagères. Assignées aux tâches domestiques (ménage, cuisine, lessive), elles seraient logiquement en première ligne dès qu'il s'agit de penser au respect de la Terre.

Une déduction qui ne date pas d'hier. A en croire les recherches de Janet K Swim, professeure de psychologie à la Pennsylvania State University, des études des années 90 affirmaient déjà que les femmes "auraient tendance à être plus altruistes et empathiques, afficher une éthique forte et tournée vers l'avenir". Selon les travaux de Swim, les hommes seraient à l'inverse "moins enclins à recycler ou à pratiquer toute activité respectueuse de l'environnement". Ne serait-ce que trimbaler un sac à provisions réutilisable. Et ce pour une raison bien réac.

Effectivement, précise la professeure, toutes ces préoccupations seraient considérées comme "trop féminines" et ces messieurs craindraient "d'être perçus comme homosexuels ou efféminés". Et ce sont ces mêmes craintes qui reviendraient à la charge au sujet des habitudes alimentaires végétariennes ou végétaliennes. En gros, respecter la planète, la nature et les animaux serait "trop gay".

Faut-il en rire ou en pleurer ? On vous laisse choisir. En attendant, le Journal of Consumer Research, une revue universitaire de renom, a elle aussi constaté que les hommes seraient bien plus susceptibles d'éviter tout comportement trop "green" (voire-même de s'y opposer !) afin de protéger "leur identité de genre".

La virilité serait-elle soluble dans le vert ? Pour Lauren Singer (la fondatrice du market en ligne zéro déchet Package Free Shop), ces clichés sexistes que l'on croirait sortis d'un autre temps prouvent qu'il est plus que jamais essentiel de mettre en avant un marketing 100% "non-sexiste". Histoire de ne plus assigner aux attitudes écoresponsables et à l'exigence de la durabilité une étiquette - et un sexe. De quoi appuyer la cohérence du mouvement écoféministe, qui associe luttes anti-capitalistes et protection de la planète. Mais pour tacler ces préjugés (bien souvent intériorisés), l'élan écolo doit être collectif.

"Si l'action individuelle est importante, l'individualisation de la responsabilité peut aller trop loin. Nous devons penser en tant 'qu'ensemble' et essayer d'agir au niveau de la société", observe la militante Areeba Hamid, engagée dans l'ONG Greenpeace, auprès du Guardian.

Le souci, c'est que repenser la société exigerait de bousculer quelque peu le patriarcat, et tous les fantasmes qu'il nous inflige. Selon la revue "gender studies" International Journal for Masculinity Studies, les hommes auraient ainsi plus tendance à développer un éco-scepticisme regrettable pour la simple raison qu'ils tiennent à la sauvegarde d'une société industrielle et technologique façonnée et dominée par les hommes. Qui dit industrie dit hégémonie masculine, qui dit traditions patriarcales dit inattention écolo. Un rapport alarmant.

Mais il y a fort à penser que ces éco-spectiques risquent de plus en plus de récolter une salve de "OK boomer". Car la jeunesse d'aujourd'hui, elle, s'unit massivement pour dénoncer ces attitudes rétrogrades.

 

Au fil des manifestations "pour le climat" menées aux quatre coins du monde par les nouvelles générations, la présence féminine a beau être largement médiatisée, les paroles masculines et solidaires sont effectivement loin d'être absentes. Aux côtés des voix inspirantes comme celles de Greta Thunberg ou Anuna de Wever résonnent celles des jeunes garçons comme l'Italien de 15 ans seulement David Wicker, l'Australien Zel Whiting (encore collégien) ou encore l'ado finlandais Atte Ahokas - pour ne citer qu'eux. Pour ces activistes (et des millions d'anonymes qui paradent à l'unisson), l'égalité des sexes ne peut se penser sans la sauvegarde de la planète. Et inversement.

Une conviction d'autant plus juste à l'heure où de plus en plus d'études démontrent l'impact négatif de l'éco-anxiété sur la santé mentale et le corps des femmes. Aujourd'hui, le réchauffement climatique ne fait qu'exacerber la charge mentale et les inégalités de genre. Et la coupe est pleine. Mais pour l'alléger quelque peu, encore faudrait-il que les industries, annonceurs et responsables marketing propagent d'autres imaginaires, plus modernes et progressistes, à même de faire changer les mentalités. Avant la fin du monde, si possible.