Fannie Escoulen, commissaire d'exposition, nous parle de son métier et de la photographie

Publié le Mardi 20 Octobre 2015
Adèle Bréau
Par Adèle Bréau Ex-directrice de Terrafemina
Ex-directrice de Terrafemina, je suis aussi auteure chez J.-C. Lattès, twitta frénétique, télévore, bouquinophile et mère happy mais souvent en galère.
Fannie Escoulen est commissaire d'exposition du prix Levallois pour la jeune création photographique internationale. Jeune femme passionnée par un métier méconnu qui lui permet d'étreindre au plus près le monde de la photographie contemporaine, nous l'avons interrogée sur ce prix, mais aussi sur sa carrière et ce monde qu'elle connaît bien.
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Vous êtes directrice artistique du prix Levallois pour la jeune création photographique internationale. Pouvez-vous nous expliquer en quoi le prix consiste ? Quelle a été sa genèse ?

Le prix existe depuis 8 ans, et a été créé par un directeur artistique. J'ai repris le flambeau en 2015 suite à un appel à projet relancé par la ville. Auparavant, j'étais directrice adjointe du BAL*, à Paris, et très interessée par la jeune photographie. Depuis mon départ, j'ai toujours eu une attention particulière à repérer de nouveaux talents. C'est un prix qui est joliment doté parce que le candidat reçoit 10 000 euros, plus la production d'une exposition, et j'ai instauré l'idée d'un suivi professionnel. Il est par ailleurs international, et la seule " contrainte " est d'avoir moins de 35 ans, l'inscription ayant été simplifiée à l'extrême grâce à la mise en ligne d'une plateforme numérique, quintuplant ainsi le nombre de participations (de 150 candidatures en 2014 à plus de 500 en 2015 avec 51 pays participants). 15 candidatures ont été retenues sur des critères qualitatifs et de cohérence. Cette année, on a aussi créé un prix du public, qui pouvait voter en ligne. Il est exposé en ce moment en même temps que le lauréat (qui a 24 ans) et la mention spéciale après l'annonce du palmarès en juillet à Arles.

Vous êtes commissaire d'exposition. En quoi est-ce que ça consiste ?

J'ai une formation de photographe acquise à Arles, mais j'avais l'idée, dès le début, d'accompagner les artistes. Cela ressemble au travail d'éditeur, je fais par ailleurs aussi des livres. C'est une chose de faire un travail artistique mais c'en est aussi une autre de le transmettre, le proposer à un public. Dans mon métier, la question du public est importante. La manière dont on montre un travail, dont on le fait comprendre. Mon soucis le plus important est toujours de donner les clés de compréhension sans être dans des discours abscons parce qu'on n'en a pas envie. Mon métier me passionne, même s'il n'est pas simple car il reste difficile d'en vivre. Mais je me bats beaucoup pour les photographes auxquels je crois.

Est-ce que les femmes y sont bien représentées ?

Oui, même s'il y a peu de commissaires d'exposition. C'est un métier rare. Avant, les commissaires étaient des conservateurs de musée. Il y en a peu d'indépendants car c'est une activité précaire, à moins de trouver des combinaisons à côté comme l'enseignement, le conseil, la direction artistique pour les entreprises. En revanche, il y a peu de photographes femmes, car c'est difficilement compatible avec la vie de famille, il faut pouvoir partir.

Outre quelques artistes comme JR ou Sophie Calle, ultra médiatisés, la photographie contemporaine l'est paradoxalement peu dans une société de l'image. Comment l'expliquez-vous ?

Il y a de plus en plus de gens qui s'intéressent à la photographie, en témoigne la fréquentation d'événements comme Paris photo. Médiatiquement, on met effectivement beaucoup en avant l'art contemporain, dans lequel émergent quelques photographes, ce qui fait que très peu sont " grand public ". Mais c'est un art très récent.

Est-ce que vous ne pensez pas qu'à une époque ou, Instagram oblige, tout le monde s'improviose photographe, on a du mal à percevoir l'artistique ?

C'en sont les limites, oui. Personne ne voit plus ce qu'est une bonne photographie. Mais ce sont des ères, des modes, dans lesquelles il faut prendre ce qu'il y a à prendre. Si c'est une manière de documenter le monde, de faire circuler de l'information, pourquoi pas. Les dérives, c'est lorsque des agences de photographie repèrent ces amateurs, qu'ils payent cent fois moins qu'un professionnel. Pourtant, les formations se multiplient. Peut-être est-on alors en demande de sens autour de tout cela ? Les pros sont toujours là. Ce qui me soucie plus, c'est qu'il y ait de moins en moins de moyens pour les artistes.

Votre rôle consiste-t-il à trouver des budgets auprès de mécènes et autres ?

J'en ai beaucoup trouvé pour le BAL, et cela peut pour certains projets ponctuels avec des artistes d'aller en quête de budgets. S'il n'y en a plus dans les caisses de l'Etat, il faut aller les chercher ailleurs.

Des lieux comme le BAL, multi-activité, est la meilleure manière de donner accès à l'art à ceux qui n'y auraient pas forcément accès ?

Quand on a créé le BAL avec Diane, dans un quartier assez défavorisé en terme de lieux culturels, on avait le soucis de démocratiser la culture. On voulait faire une sorte de maison, un café dans lequel on regarde un bouquin, une photo... en famille. J'adorerais en faire d'autre, bien sûr. Mais pas à paris, parce qu'il y a pas mal de choses. À Marseille, j'aimerais beaucoup.

Que souhaitez-vous à la photographie contemporaine ?

Qu'elle continue à se renouveler, à se poser des questions, à s'engager. Je souhaite, surtout, que les artistes ne se soumettent pas !


Les oeuvres des trois lauréats du Prix Levallois Jeune création photographique internationale sont exposées à la Galerie de l'Escale du 9 octobre au 28 novembre 2015

25 rue de la Gare
Levallois-Perret
01 47 15 74 56
De 9h à 19h du lundi au samedi

* Le BAL

6, Impasse de la Défense

75018 Paris