La charge médicale, cette énième pression qui pèse sur les femmes

Publié le Mardi 19 Avril 2022
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Qu'est-ce que la charge médicale qui incombe (encore) aux femmes ?
Qu'est-ce que la charge médicale qui incombe (encore) aux femmes ?
Au sein des couples hétérosexuels, les femmes se retrouvent à penser davantage au soin de leurs proches, c'est un fait. Un fait qui a désormais un nom : la charge médicale.
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Les chiffres sont édifiants. D'après une étude menée par la plateforme de téléconsultation Qare , 67 % des femmes estiment être le parent principal à s'occuper des tâches liées au soin des enfants, et 50 % se sentent stressées par ces tâches contre 30 % des hommes. 21 % des répondantes affirment par ailleurs se renseigner régulièrement sur les sujets de santé, contre 15 % des répondants. Un quart des hommes en revanche, déclarent ne jamais s'y pencher, contre seulement 9 % des sondées.

Une charge (de plus) pesant en grande majorité sur les épaules de celles qui, au sein des couples hétérosexuels, endossent déjà bien souvent le rôle de référente éducation, alimentation et entretien de la maison. Cela s'appelle la charge médicale.

Pour nous l'expliquer davantage et décortiquer ce qui la provoque comme ses conséquences, la pédiatre Dre Julie Salomon, directrice médicale de Qare, a répondu à nos questions. Entretien.

Terrafemina : Comment définissez-vous la charge médicale ?

Dre Julie Salomon : La charge médicale, c'est la charge mentale liée à la prise en charge de la santé dans sa famille et autour de soi. C'est la notion de penser à organiser la prise de rendez-vous, à se déplacer, à récupérer les médicaments et les feuilles de soin. Et cela incombe le plus souvent aux femmes.

Cela va être, pour une maman, le fait d'organiser tous les rendez-vous chez le pédiatre ?

Dre J. S : Oui, mais même avant d'organiser concrètement, c'est de penser à le faire. C'est-à-dire qu'il ne faut pas oublier que tous les mois, il y a un rendez-vous chez le pédiatre pour les tout-petits, ne pas oublier de faire le renouvellement de telle ordonnance, de faire le check up annuel chez le dentiste et l'ophtalmo pour ses enfants. Le fait d'y penser est déjà une charge mentale copieuse. Après cela, il faut penser à soi et à son conjoint, car en général, il se décharge sur la femme.

Cela ne relève pas seulement d'une volonté, mais aussi d'une habitude sociétale et structurelle de reporter la charge médicale aux femmes. Probablement parce qu'à une période, comme elles ne travaillaient pas et qu'elles étaient nourricières sans autre alternative, il était naturel de leur attribuer l'hygiène et la santé des enfants et du foyer. Cette habitude n'a toutefois pas évolué alors que la professionnalisation des femmes et une meilleure connaissance de la partie hygiène devraient normalement permettre de dissocier cette activité-là, et de ne pas l'attribuer à une seule responsable dans la famille.

Le passage entre soin du quotidien, alimentation, hygiène vers le soin santé est également assez facile à faire. Et commence tôt. Dès lors qu'on a mis entre les bras de la petite fille le bébé à qui on va donner le biberon, légitimement, c'est elle qui va l'amener chez le pédiatre et légitimement, c'est elle qui va aller chercher les médicaments à la pharmacie. Il y a vraiment un travail de genre. Et les femmes intègrent cela aussi beaucoup. Elles culpabilisent si elles ne remplissent pas cette fonction-là.

Au-delà des conséquences de devoir penser à la santé de leur famille en plus de tout le reste, les femmes subiraient-elles aussi les conséquences de ne pas avoir réussi à le faire ?

Dre J. S : En effet. Ce sont des "Wonder Women" qui doivent mener de front leur vie de femme, de mère, de working girl et accessoirement de médecin de la famille. Et lorsqu'elles ne le font pas, c'est comme si cela les mettait en défaut dans la totalité de leur fonctionnement de femme, de mère nourricière, de mère qui prend soin de sa famille - et quand on dit "prendre soin", cela prend vraiment tout son sens ici. Beaucoup culpabilisent. Et puis, il y a un jugement sociétal autour de cela.

C'est pour cette raison qu'il faut repenser les choses, interroger : en quoi prendre un rendez-vous en emmenant l'enfant avec son carnet de santé et son change serait une spécificité de la mère ? Le père, s'il est investi au quotidien, n'a pas moins de raisons qu'elle de savoir répondre aux questions du pédiatre.

Nous avons réalisé que, comme la femme est forcément présente à temps-plein pendant les trois premiers jours du nourrisson à la maternité après l'accouchement, c'est à elle que le personnel soignant donne les informations – le papa n'est pas toujours là au moment où elles sont transmises. Les informations concernant le bain, le soin, les rendez-vous médicaux... La femme accepte de les recevoir exclusivement car elle se dit que cela fait partie du "job de mère", et de fait, le père se décharge sur elle en se disant que puisqu'il n'a pas eu l'information, elle le fera mieux que lui. Et inversement, la femme peut également se dire que, puisqu'elle a eu l'information, elle est davantage capable de s'occuper de ces soins-là et ce qui s'y rattache que le père.

Une espèce de mécanique se met en place très tôt. L'allongement du congé paternité nous donne beaucoup d'espoir sur un potentiel retournement de situation. Ce temps supplémentaire permet au papa de s'investir dans le quotidien, de créer du lien avec son enfant, mais aussi de prendre conscience des enjeux et des petites douleurs du bébé, pour finalement s'impliquer davantage.

La solution : que les hommes soient davantage impliqués, par eux-mêmes et les soignant·es.
La solution : que les hommes soient davantage impliqués, par eux-mêmes et les soignant·es.

Il y a également le sujet de la santé sexuelle, de la contraception, dont toute la charge incombe là encore aux femmes.

Dre J. S : Absolument. Etant donné que c'est dans le corps de la femme que cela se passe – le fait de tomber enceinte, entre autres –, elles sont investies par intéressement immédiat. Toutefois, prenons l'exemple du vaccin contre le papillomavirus. Il s'agit d'un vaccin qui protège d'une IST (infection sexuellement transmissible, ndlr) pouvant infecter autant l'homme que la femme. Et en France, il n'a été proposé qu'aux femmes.

Certes, ce sont elles qui vont plus souvent contracter des cancers suite à cette IST, mais tout de même. Il n'a été proposé qu'aux femmes, alors que dans les pays où il était administré depuis des années avant la France, il était déjà proposé aux hommes.

En Australie, les spécialistes se sont rendu ainsi compte que, pour que le vaccin contre le papillomavirus soit plus efficace, il fallait que les hommes aussi soient concernés- certains peuvent présenter des lésions et surtout, ils sont vecteurs. Seulement, ce n'était pas implicite au début, et quand le vaccin est arrivé en France, le même schéma a été appliqué : les femmes en ont été les uniques bénéficiaires.

C'est paradoxal que dans une infection qui concerne deux sexes, il n'y en ait qu'un seul qui doive prendre le traitement.

Pour ce qui est du recours au soin, les femmes vont-elles plus volontiers se faire soigner que les hommes ?

Dre J. S : Elles y sont davantage habituées car elles ont une conscience de l'entretien de leur corps plus importante. Elles savent également que des symptômes non soignés peuvent prendre une ampleur de taille, qui viendrait les embêter dans leur quotidien. A noter toutefois que, si elles vont généralement consulter, elles mettent cependant leur propre santé derrière celle du reste de la famille, dont elles sont souvent responsables.

Les femmes ont-elles davantage l'habitude d'écouter une autorité sachante qui leur dit quoi faire ?

Dre J. S : Oui, cela peut tout à fait être cela dans la mesure où, si on se réfère encore à leur parentalité, à l'entrée dans les soins familiaux en passant par la naissance des enfants, lorsqu'elles apprennent à être maman, elles se réfèrent à celui ou celle qui donne les informations : le ou la médecin. Les soignant·es vont donc être une référence.

Alors que le père n'a souvent pas eu à interagir, ni avec le gynéco pendant la grossesse ou l'accouchement, ni avec le pédiatre pendant les premiers mois du bébé, et il ne va pas forcément lui accorder le même rôle d'information. Les femmes sont par ailleurs souvent plus observantes sur leurs traitements, leurs suivis et l'acceptation de certains examens.

Après, il ne faut pas être binaire, certains aspects ne sont pas exclusivement sexués, mais c'est une tendance.

Comment faire pour que cela change ?

Dre J. S. : Il y a plusieurs aspects.

D'une part, que l'homme arrête de considérer sa femme comme sa mère et qu'elle ait à s'occuper de sa santé comme sa mère le faisait quand il était enfant. D'une autre, que les femmes ne culpabilisent plus de ne pas remplir cette case-là quand elles ont déjà d'autres cases importantes à remplir. Il faut accepter que ça ne remet pas en question leur légitimité, leur efficacité ou leur pertinence dans ces différents domaines. Les étapes relevant du soin ne leur sont pas spécifiquement attitrées, et ne pas en être responsable ne va pas les amputer d'une quelconque compétence ou qualité.

Et enfin il faudrait que nous, en tant que société, que ce soient les assurances, la Sécu et les médecins, mettions à contribution les hommes à équivalence des femmes. Il faut accepter de s'adresser au père et investir le père dans les soins. Les hommes sont tout aussi compétents que les femmes dans ce domaine-là.