Jalousie entre frères et soeurs : comment réagir ?

Publié le Mardi 13 Février 2018
Jalousie entre frères et soeurs
Jalousie entre frères et soeurs
Larmes, dispute, complexe d'infériorité, sentiment d'abandon... La jalousie fraternelle est un grand classique au sein des fratries. Comment gérer ces petites et grandes crises entre frères et soeurs ? Conseils et éclairage du psychanalyste Thibaud Le Clech et de la psychopraticienne Caroline Bréhat.
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La jalousie fraternelle est un sentiment ancestral, comme en atteste encore le mythe de Caïn et d'Abel : Caïn, le fils aîné, tue son frère, Abel, car Dieu (le père) a préféré l'offrande de son cadet à la sienne. Dans toutes les fratries, le ressentiment n'est heureusement pas aussi violent, mais la jalousie entre enfants est un phénomène courant. Et elle provoque tristesse, colère, et souffrance. Comment les parents peuvent-ils y faire face ?


Ne pas banaliser

Quand elles ont été ignorées ou banalisées, les rivalités et rancoeurs de l'enfance resurgissent souvent des années plus tard, au moment de graves crises familiales telles que les décès ou maladies. C'est notamment un phénomène connu des notaires, qui témoignent que les conflits liés aux successions sont très souvent hors de proportion avec les sommes en jeu. Le préjudice ressenti alors est bien une résurgence de souffrance infantile, et les termes employés ne trompent pas : "enfant chéri", "chouchou", "égoïste"...


Dans l'enfance même, le sentiment d'inégalité éprouvé par un enfant vis-à-vis de ses frères et/ou soeurs est parfois très vif. Il peut s'agir de l'envie, ressentie par le plus jeune à l'égard de l'aîné, dont il n'a pas encore les prérogatives. C'est alors la tristesse qui prédomine, qui peut mener à de vrais affects dépressifs, et l'installation d'un complexe d'infériorité durable. Mais il peut aussi s'agir de la colère provoquée chez le plus âgé par l'arrivée du petit dernier, ce spoliateur, qui, littéralement, le détrône. Le plus souvent, cela donne lieu à des cris, des pleurs, et des bagarres récurrentes, qui peuvent épuiser les parents.

Frère et soeur
Frère et soeur

Un sentiment de jalousie normal

Quoi de plus naturel, au fond, pour l'enfant, que de se sentir menacé par l'arrivée d'un autre : peu importe ce qu'en disent les parents, l'intrus est convaincu qu'il perd réellement une part de leur amour et de leur attention. Et il ne suffit pas de dire : "Je t'aime autant que ton frère / ta soeur" pour que cette perception change... Il est tout aussi inutile de lui soutenir que cette jalousie est injustifiée, ce qui ne fait qu'ajouter, chez le jeune enfant, au sentiment d'être incompris.

Pourtant, il est possible de relativiser le préjudice : là où l'enfant conçoit l'amour parental comme un gâteau (dont les parts seront évidemment plus petites si elles sont plus nombreuses), il faut pouvoir lui expliquer que cet amour n'est pas une ressource finie : il est inépuisable. Il ne se divise pas quand la famille s'agrandit, il se multiplie. C'est un peu comme si on essayait de partager l'océan : enlevez d'un côté, le niveau ne diminue pas de l'autre.

Pour autant, l'enfant n'est pas dupe : l'attention que peut lui porter chaque parent, elle, n'est plus la même, surtout quand le rival est tout petit et nécessite des soins constants. En compensation, certains trouvent un réel plaisir à se voir confier des tâches et responsabilités "de grands" dans ces soins au bébé. Mais c'est le plus souvent l'ambivalence qui prédomine : être grand, c'est bien, mais être petit, ça a bien des avantages aussi ! (On constate d'ailleurs parfois de vraies "régressions" de l'aîné.e, qui sont une tentative de retour au paradis perdu, et qu'il faut savoir accepter pendant un temps).

C'est ainsi que les enfants ne croient guère au mythe de la stricte égalité qu'essaient de "leur vendre" certains parents. Et c'est tant mieux : les frères et soeurs ne sont pas égaux, puisqu'ils sont différents ! Contrairement aux citoyens adultes, ils n'ont d'ailleurs pas les mêmes droits et devoirs, selon leur âge. Et c'est à ce stade qu'on peut entrevoir en quoi la rivalité fraternelle peut être structurante : pour peu qu'il soit encouragé par les parents, le constat de la différence amène l'enfant à affirmer sa singularité, et donc sa personnalité propre. Se différencier, c'est grandir.

Éviter les comparaisons et étiquettes

C'est donc bien parce que chaque enfant est unique qu'il faut absolument éviter les comparaisons. Celles ci n'ont pour effet qu'alimenter les rivalités entre frères et soeurs. Or c'est un écueil souvent difficile à éviter. "Prends donc exemple sur ton frère"... Et quand les parents s'abstiennent, les grands-parents, les oncles ou tantes, la bonne copine ou l'instit s'y mettent alors : c'est si tentant !

Pourtant, les "sentences" entendues dans l'enfance sont autant d'étiquettes souvent collées à vie : un enfant qui se sent "coincé" dans le rôle qui lui est assigné aura des difficultés - conscientes ou non - à s'aventurer hors de la voie qui a été tracée, hors de son "personnage". Le "clown de la famille" pourra avoir des difficultés à reconnaître sa tristesse et contraint de se tenir à l'écart de ses émotions pour continuer de faire rire ses parents. "Le "sensible" aura bien du mal à s'affirmer...

Soeurs qui jouent dehors
Soeurs qui jouent dehors

Ne pas nier le phénomène

Empêcher un enfant d'exprimer sa jalousie ou son agressivité (comme nier n'importe quel autre sentiment, d'ailleurs) génère frustration et angoisse, que l'enfant peut retourner contre lui, notamment par le biais de l'autopunition ou de la somatisation. Ces sentiments, que l'enfant a souvent bien du mal à exprimer clairement, peuvent être reformulés par l'adulte : "Je vois bien que tu n'aimes pas que je passe autant de temps avec Léa", "Tu as l'impression que ton petit frère te prend tes jouets uniquement pour t'embêter".

On démontre ainsi que le malaise a été entendu à sa juste mesure. Il est bien plus évident ensuite de "poser des limites" parfois nécessaires : ne pas faire mal avec les mains ou les mots, respecter l'intégrité de l'autre, veiller à ce que chacun respecte le territoire d'autrui, sont des règles incontournables. "Quand je protège l'espace de ton petit frère ou de ta petite soeur, je te garantis que je protégerai ton espace aussi. Discutons ensemble de ce que tu souhaites". Nombre de parents sont surpris de constater combien l'enfant peut amener de solutions innovantes et intéressantes. Les parents ont de toute façon un rôle de modèles en matière d'écoute et de négociation.

Préserver des moments à deux

Promouvoir la différence, la singularité, cela passe donc par l'instauration et la préservation d'espaces et de temps particuliers à chacun.e : la fratrie est un enfer quand c'est une dilution, une "soupe", où sous couvert d'égalité parfaite, tout le monde fait toujours tout ensemble. Combien d'adultes disent ensuite, quelle qu'ait été leur place (cadet ou aîné) : "Je l'avais toujours dans les pattes" ?

Il importe de consacrer du temps à chaque enfant. Ces moments de disponibilité parentale (discussion, jeux, dessins...) permettent de nourrir la relation, mais également de rassurer. Ils sont particulièrement importants pour les enfants qui se sentent délaissés. Ils leur permettent aussi de s'assurer que leur parent les considère de manière unique en tant qu'individus distincts. Ces tête-à-tête, enfin, peuvent permettre au parent d'exprimer combien il apprécie la personnalité qui se construit sous ses yeux : "Chacune de vous est spéciale. Tu es ma seule et unique Léanne, aucune autre petite fille ne te ressemble. Personne n'a les mêmes pensées que toi, les mêmes sentiments, le même regard... et je suis si fière d'être ta mère !"


La jalousie peut donc permettre à l'enfant de réaliser qu'il doit composer et s'affirmer en tant qu'individu unique, car il n'est pas seul au monde, même pour ses parents.
Ce sentiment doit être accompagné plus que brimé, car plus on le nie, plus il est vivace ! Lui permettre de l'exprimer peut paradoxalement conduire à l'amour fraternel.

Par Caroline Bréhat et Thibaud Leclech du Cabinet Rivages.