Le Guide Fooding, bible cool de la cuisine faubourgeoise

Publié le Vendredi 22 Janvier 2016
Charlotte Arce
Par Charlotte Arce Journaliste
Journaliste en charge des rubriques Société et Work
Sublime advocado toast chez Dersou, Paris XII
Sublime advocado toast chez Dersou, Paris XII
Voilà quinze ans que le Guide Fooding réinvente la gastronomie française en mettant à l'honneur des tables affranchies de la course aux étoiles. À l'occasion de la sortie du Guide 2016 qui célèbre la cuisine des faubourgs, nous avons rencontré Alexandre Cammas, créateur du Fooding.
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Quand on y pense, créer un nouveau guide dans un pays où le Michelin et ses étoiles régnait en maître sur la gastronomie avait quelque chose d'osé. Ça n'a pourtant pas découragé Alexandre Cammas. Depuis 15 ans, cet ancien de Nova qui a fait ses armes au Gault et Millau et au Routard dirige avec poigne et succès le Guide Fooding. Il n'y avait qu'à voir les Parisiens se presser à la cérémonie organisée par le guide au Grand Amour Hôtel le 30 novembre dernier pour comprendre l'ampleur du phénomène.

L'anti-Michelin

Il faut dire que le Fooding a su dès ses débuts se différencier de ses concurrents. Au Gault et Millau et surtout au Guide Michelin, qui privilégient les grandes maisons bien installées, le Guide Fooding préfère les petites tables sans prétention, les spots de street-food branchés ou les néobistrots à la carte audacieuse. Bref, il dynamite l'air de rien les codes figés de la cuisine tricolore. Alexandre Cammas revendique avec fierté ce rôle de "contre-pouvoir". "Avant l'arrivée du Fooding, il n'y avait que le Guide Michelin pour dicter les codes de ce qui était bon. Un chef qui n'obtenait pas trois étoiles avait peu de chances de réussir. Mais pour réussir, il devait se plier aux règles dictées par le Michelin. Un bon goût unique régnait sur la planète gastronomie."


Pourtant, à son arrivée sur la scène food en 2000, le Fooding ne se fait pas que des amis, à commencer par les critiques culinaires. Quand Jean-Luc Petitrenaud dit du Fooding qu'il s'agit d'une "mode ridicule pour quelques journalistes parisiens en quête de notoriété", François Simon, lui, dézingue ces nouveaux critiques qui, lorsqu'ils "voient une fente au plafond trouvent ça génial".

Pas de quoi décourager Alexandre Cammas. "Depuis ses débuts, le Fooding joue le rôle de défricheur. Nous, on n'invente rien. On fait un vrai travail de journaliste, on regarde ce qui se passe, ce qui est intéressant, nouveau, authentique, aussi bien dans la modernité que dans la tradition. On met en avant des choses faites avec coeur, avec passion, par des entrepreneurs, des chefs, des restaurateurs [...] Dans le Guide, vous allez trouver des kebabs, des burgers, des restos vegan, des grandes institutions et des petites tables d'auteurs très inspirées. C'est ça qui fait notre force et notre ambition. Comme on est vierge de tout code et qu'on n'attend absolument rien des chefs à part de la créativité, ça nous permet d'avoir un guide représentatif de ce qu'est la gastronomie française aujourd'hui."

Haro sur les bobos

Si Le Fooding a su s'imposer dans le coeur des foodies, c'est aussi parce qu'il a accompagné la découverte puis l'ascension d'une nouvelle génération de chefs. Yves Camdeborde et Philippe Etchebest ont notamment contribué à l'émergence du mouvement de la "bistronomie", terme dont Alexandre Cammas revendique fièrement la paternité. "Quand on parle d'un jeune chef sortant d'un étoilé et que l'on met en avant le petit truc en plus de sa table, on est sûrs que ça va cartonner et donner à d'autres chefs l'envie de faire la même chose. Ça crée un effet vertueux qui devient parfois une tendance lourde de la gastronomie."

Aujourd'hui pourtant, la bistronomie, c'est fini explique le créateur du Fooding. Trop réducteur, peut-être aussi un peu galvaudé, le terme laisse désormais la place à la cuisine des faubourgs, que le Guide 2016 met à l'honneur. "Plus audacieuse, joyeuse et accessible", la cuisine faubourgeoise sort des sentiers battus. "Les bobos qui ont porté la bistronomie se sont un peu figés dans un modèle, ils se sont embourgeoisés et ont moins ce côté curieux, sensible, ouvert. C'est pour ça qu'au Fooding, on préfère maintenant parler de faubourgeois, qu'on trouve bien plus intéressant. Il exprime l'idée qu'on n'est pas là où tout est acquis mais là où les choses bougent, évoluent." Les nouveaux porte-étendards de la faubourgeoisie s'appellent Inaki Aizpitarte (Le Chateaubriand), Bertrand Grébaut (Septime), Sven Chartier (Saturne, Clown Bar), Greg Marchand (Frenchie), Delphine Zampetti (Chezaline), Guillaume Sanchez (Nomos), Tatiana Levha (Le Servan) et il faut désormais réserver des mois à l'avance pour pouvoir espérer dîner à leur table.

La dernière trouvaille du Fooding ? Dersou, la table ultra-prisée du XIIe arrondissement où les mets de Taku Sekine s'acoquinent merveilleusement à la carte des cocktails signée Amaury Guyot. Sacré Meilleure Table 2016 par le guide faubourgeois, Dersou c'est "la claque de l'année" affirme Cammas. "Quand on arrive devant Dersou, on se dit 'encore un resto à la mode avec des briques au mur, des cocktails et un chef japonais'. On s'est dit que c'était un restaurant de plus. Mais on y est allés manger une dizaine de fois tout au long de l'année, et c'était incroyable à chaque fois. C'est l'adresse de 2016, il n'y a pas de doute. Quand le Guide Michelin va sortir et attribuer ses étoiles, ça ne va rien changer au paysage gastronomique français. Dersou lui, le bouleverse en profondeur."

Guide du Fooding 2016, 12,90 euros, en librairie.

Dersou, 21 rue Saint-Nicolas, Paris XII.