Pourquoi il faut réhabiliter les lettres d'amour

Publié le Mardi 06 Octobre 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
All you need is love.
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On pensait l'intention désuète et on n'avait pas tout à fait tort. Pourtant, la lettre d'amour (oui, la vraie, manuscrite) mérite son regain de hype. Romantique, authentique, lyrique, elle est tout ce pour quoi les sentiments existent.
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La lettre d'amour est une pratique qui semble aussi ringarde que l'amour lui-même. Une exubérance rose-bonbon qui suscite davantage le ridicule que l'admiration. Un truc aussi branché que des feuilles Diddl (oui oui, la petite souris facétieuse des années 2000). Bref, vu de loin, ça craint un max. D'autant plus que "l'amour blesse", comme dirait Joan Jett dans son Love Hurts, alors pas la peine d'en tartiner des pages pour lui faire honneur, il ne mérite pas.

Et pourtant, peut-être est-ce un mauvais esprit trop étroit qui nous incite à délaisser les déclarations sur papier. Alors que nous n'avons que trop arpenté les chemins numériques des mots doux par textos ou DMs (illustrés d'emojis fruités riches de sens), un retour au papier serait le signe d'une inspiration retrouvée. Une forme de nostalgie ludique peut-être, mais aussi un rapport plus incarné à l'amour, et au langage qu'on lui prête.

D'ailleurs, elles sont de plus en plus nombreuses, les voix expertes à nous recommander une réhabilitation des lettres d'amour manuscrites. Et pas simplement pour laisser reposer notre smartphone ou notre ordi portable. Non, il n'y a plein de raisons de (re)donner le la à cette forme d'expression vintage. Voici pourquoi.

Pour le plaisir du papier

Les amoureuses et amoureux de la poésie le savent bien : rien de tel que le papier pour se laisser bercer par de bonnes vibes romantiques. Intentionnée, la forme est déjà une déclaration en soi. Enveloppe customisée, papier fin et écriture appliquée, couleurs fantaisistes (car pourquoi pas), une touche de parfum ou une empreinte de rouge à lèvres déposée sur la missive... Ne pas craindre le ridicule est une première étape.

Besoin d'amour.
Besoin d'amour.

Mais ce qui fait vraiment le charme du papier, ce sont ces imperfections dont notre police de caractères préférée est dépourvue. Typographie hésitante, ponctuation irrégulière, débordements, lignes croquées par les mots. Ce moins-que-parfait assumé explique en partie le caractère irrésistible des lettres d'amour qui, somme toute, sont à l'image de celles et ceux qui les écrivent. Le Huffington Post s'amuse d'ailleurs des "virgules étrangement placées" qui peuvent parasiter les lignes de ces créations amatrices. Troublant comme l'amour.

Pour être (enfin) sans filtre

Ce trouble ne suffit pas. Comme le suggère l'imperfection de votre écriture manuscrite, une lettre d'amour n'a rien de policée, elle doit s'énoncer sans filtre. Toutes les paroles expertes sont unanimes : déclarer son amour sur papier doit s'apparenter à un plongeon dans le vide. Pour la revue en ligne Psychology Today, il s'agit de faire sienne cette réflexion de l'écrivain et philosophe Alain de Boton : "Une bonne lettre d'amour devrait être embarrassante si elle était découverte par un ennemi".

"Une lettre d'amour, ce n'est pas que des fleurs et des chiots. C'est dire ce qui est bien, et ce qui est mauvais", explique le contributeur Jaime Zepeda, "business builder" dans le HuffPost. "En adressant une lettre d'amour à ma femme, je ne lui dis pas seulement à quel point elle compte pour moi, mais aussi à quel point je suis imparfait. Mes inquiétudes, mes doutes, mes pensées sombres, ma peur de l'échec. Ce n'est pas simplement une déclaration, mais une confession", explique-t-il encore. Le maître-mot est donc la vulnérabilité. Un sentiment trop peu assumé. La plume facilite cette "confession" et matérialise nos affects les plus forts. Et cela fait du bien, beaucoup de bien.

Aimer en mots.
Aimer en mots.

Pour délaisser les emojis

"À l'ère des textos, du chat et de Snapchat, les lettres d'amour apparaissent comme des reliques du passé. Si c'est le cas, alors ce sont de merveilleuses reliques", se réjouit Psychology Today. On ne pourrait mieux dire. Surtout que l'effort multiple qui s'incarne dans la lettre - l'écriture, le discours, la forme, le fond - dépasse de loin le vernis plutôt fin de ce qui aujourd'hui synthétise nos émotions : les emojis. Et si on délaissait les chatons avec des coeurs dans les yeux au profit de déclarations un brin plus complexes ?

Au risque de se faire clouer le bec d'un bien mérité "OK boomer", ce ne serait peut être pas plus mal d'en revenir aux classiques. L'écriture manuscrite est exigeante et unique. Comme le sont vos sentiments. Alors que tapoter sur un ordinateur invite à plus d'automatismes (ne serait-ce qu'à cause du correcteur qui veille sur tous vos traitements de textes), la lettre d'amour manuscrite vous pousse davantage dans vos retranchements.

La rédaction n'est pas forcément simple, mais elle n'est pas censée l'être non plus. "Le terme 'facile' devrait concerner les factures, les contrats, bref, c'est le jargon d'un monde technique qui aime les mots formatés", tacle le Daily Telegraph. Si elle peut concentrer quelques clichés, la lettre d'amour n'a rien de formatée. A l'heure du tout-connecté, elle se fiche des conventions.

D'ailleurs, elle ne se suffit pas à elle-même, et le sait bien. "Parfois, vous ne pouvez pas tout à fait exprimer ce que vous voulez dire. Parfois, il n'y a tout simplement pas de mots", reconnaît en ce sens Psychology Today.

Pour être plus inventif·ve

La recherche de mots, c'est justement cela qui vous pousse à être plus inventif·ve que d'ordinaire. En soi, la lettre d'amour est un défi lancé à soi-même, un exercice de création intime qui (on l'espère) profite autant à votre interlocuteur ou interlocutrice qu'à vous. Elle peut être lyrique, poétique, intimiste, tout cela à la fois. C'est un juste équilibre à trouver.

"Les lettres d'amour n'ont pas besoin d'être grandioses ou littéraires", se permet d'ajouter le Daily Telegraph. Comprenez, pas la peine de se prendre pour Walt Whitman ou Sylvia Plath. Quand on se retrouve face au papier, il n'est pas rare que l'inspiration survienne, désordonnée, flamboyante. Soyez vous-même.

A vos plumes !
A vos plumes !

Pour se souvenir, aussi

Le papier se noircit. Le papier vieillit. Le papier se conserve malgré tout. Là où les fichiers s'effacent ou s'égarent au gré des nouveaux achats ou des plantages, la lettre d'amour restera. Elle ne tombe pas aussi aisément dans les toilettes qu'un téléphone portable. Et, pour le meilleur comme pour le pire, elle est une invitation au souvenir, à se souvenir. En découle forcément une richesse nostalgique, si ce n'est mélancolique.

Richesse d'autant plus précieuse à l'heure où tout semble aussi éphémère qu'une story Instagram. "Les lettres d'amour comptent. Elles représentent qui nous étions, elles font partie de qui nous sommes. Avec le temps, elles deviennent nos conseillères relationnelles, elles nous rappellent ce qu'il faut éviter dans les relations futures ou au contraire ce qu'il faut raviver", décrypte Michelle Janning, professeur de sociologie au Whitman College de Walla Walla dans les colonnes du Chicago Tribune.

Selon une étude américaine relatée par le site, prenant en compte 800 sondé·e·s âgé·e·s de 18 à 89 ans, 88% des personnes conserveraient encore leurs anciennes lettres d'amour. Protéger un souvenir, un réflexe universel.

Pour évoluer (avec elles)

Parmi ces sondé·e·s d'ailleurs, des participantes qui nous en disent plus long sur la relation singulière qui les lie à ces romances épistolaires. Certaines affirment conserver ces lettres pour pouvoir les lire pendant l'absence de leurs amantes ou amants - jolie anecdote. D'autres archivent les lettres d'amour puisqu'elles les aident "à réfléchir sur [leurs] relations, passées et présentes, observer comment les pensées changent, ou pas". Introspectif.

La lettre d'amour est donc là pour chérir un sentiment, mais aussi pour faire écho aux affects qui viendront des années plus tard. Une "relique", peut-être, mais qui mérite bien sa place dans notre petit musée perso.