Menie Grégoire ou la libération de la parole des femmes

Publié le Jeudi 28 Mai 2015
Adèle Bréau
Par Adèle Bréau Ex-directrice de Terrafemina
Ex-directrice de Terrafemina, je suis aussi auteure chez J.-C. Lattès, twitta frénétique, télévore, bouquinophile et mère happy mais souvent en galère.
Elle est décédée il y a près d'un an, à 95 ans. Menie Grégoire, grande dame de la radio, avait confessé quinze ans durant les femmes à l'aube de leur émancipation. Jean-Baptiste Bergès, journaliste, a recueilli ses confidences et les a consignées dans un livre, " Menie Grégoire : ses derniers souvenirs ", paru aux éditions du Panthéon.
À lire aussi

" La veille de mon mariage, ma mère me glisse à l'oreille : 'Les femmes doivent tout accepter de leur mari.' " Cette confidence, Menie Grégoire l'a faite à Jean-Baptiste Bergès, à 93 ans. Cette phrase, sa mère l'a prononcée en 1943. Vingt-cinq ans plus tard, la jeune mariée ignorante prenait le micro pour la première fois sur RTL pour recueillir les confidences des femmes de son époque. Elle le fera pendant quinze ans, à l'antenne, en direct, dans l'intimité feutrée d'un studio de la rue Bayard. Les jeunes générations n'ont pas forcément entendu parler de cette femme qui traversa, et participa activement, à la période qui vit le statut des femmes dans la société bouleversé. Pourtant, la plupart dess moins jeunes se souviennent de cette voix bienveillante, à l'écoute, à laquelle se confièrent cesmilliers de Françsaises qui ne savaient de la vie pas grand-chose d'autre que ce qu'avaient bien voulu leur en dire le prêtre ou leur mère.

Passionné de radio, et " passeur d'histoire ", selon sa propre expression, Jean-Baptiste Bergès, le " journaliste du bout de la rue ", comme l'appelait le sujet de sa curiosité, était bien décidé à partir sonder la mémoire de cette dame lorsque le hasard voulut qu'ils habitent à deux pas l'un de l'autre. Venu pour une prise de contact un dimanche après-midi d'hiver, J.B. Bergès est finalement resté quatre heures, puis des semaines, des mois, en compagnie de celle qui lui a raconté son histoire, et, à travers elle, celle des femmes de la seconde partie du 20e siècle. Deux millions d'auditeurs chaque jours, des centaines de milliers de lettres, il n'est pas exagéré de dire que cette société en pleine mutation, ces femmes en quête d'une place dans la société, puis ces hommes débousolés, elle les a écoutés plus que quiconque.

Très vite en effet, "Allô Menie", ce confessionnal radiophonique inédit, aborde des thèmes récurrents dictés par les auditeurs eux-mêmes : la sexualité, le couple, l'avortement, surtout. " Ce qui m'a le plus surpris, c'est lorsque j'ai découvert que son émission avait permis de faire changer des lois, raconte Bergès. Quand elle me parlait de ces femmes qui l'appelaient à l'antenne en lui disant qu'elles ne pouvaient pas avorter, qu'elles devraient faire autant d'enfants que le bon Dieu voudrait qu'elles en aient, j'ai eu l'impression qu'elle me parlait du Moyen-Age. " Pour convaincre les hommes de loi, Menie Grégoire est en effet allée à l'Assemblée lire ces lettres d'anonymes. " On imagine qu'entendre l'histoire d'une femme qui tente de s'empoisonner dans l'espoir de partir avec le foetus, ça ne peut laisser personne insensible ", explique le journaliste.

"Entre ce que m'écrivaient les femmes au début de mon émission et ce qu'elles m'écrivaient à la fin, j'ai eu l'impression de changer de siècle."

" Menie, vous connaissez bien les femmes, je veux que vous les fassiez parler ", lui avait dit Jean Farran. C'était il y a cinquante ans et pourtant, lorsque Menie Grégoire se souvient, la condition féminine qu'elle décrit nous semble ancestrale. " On vient de si loin en si peu de temps ! Entre ce que m'écrivaient les femmes au début de mon émission et ce qu'elles m'écrivaient à la fin, j'ai eu l'impression de changer de siècle ", raconte-t-elle. Les rapports sexuels dont ces jeunes ne savaient rien ou presque, et qui épouvantaient les jeunes mariées, le plaisir dont nombre de femmes ne savaient même pas qu'elles pouvaient en prendre, tant de considérations dont nous, femmes d'aujourd'hui, n'avons pas idée. Le " passeur d'histoire " a raison, il faut se souvenir.

Qu'avons-nous fait de cet héritage ? Celui que nous ont légué les féministes d'hier, à la faveur d'un combat âpre mené dans une société peu préparée à cette prise de parole et de pouvoir du sexe dit faible ? " Avant, le modèle établi était celui du père de famille, ses droits, ses devoirs, et son autorité totale sur la famille ". L'égalité dans le couple est aujourd'hui acquise, mais n'a-t-elle pas fait vaciller son équilibre ? S'il n'est pas très politiquement correct de se poser ces questions, Menie Grégoire, du haut de ses 95 ans, s'interrogeait : et les hommes, dans tout cela ? N'ont-ils pas perdu leurs repères ?

Ce livre-hommage à Menie Grégoire, à ses auditeurs et à ses auditrices, son auteur souhaiterait également qu'il serve de témoin d'une époque pas si lointaine, mais dont il ne faut rien oublier. " Ces souvenirs retranscrits nous permettent de comprendre l'époque de nos grands parents. Et tout simplement notre histoire. C'est important de connaitre le passé pour aller de l'avant ".

La parole de nos grand-mères est dans ce livre. Menie Grégoire, elle, était ma grand-mère.

Menie Grégoire, ses derniers souvenirs , de Jean-Baptiste Bergès aux éditions du Panthéon.

"Menie Grégoire : ses derniers souvenirs" de Jean-Baptiste Bergès
"Menie Grégoire : ses derniers souvenirs" de Jean-Baptiste Bergès