Ivan Jablonka ne craint jamais de faire réagir.
On lui doit l'étourdissant livre/enquête/essai/manifeste Laetitia : récit glaçant et exhaustif d'un féminicide, mais surtout, œuvre-fleuve sur les violences patriarcales, leurs racines, leurs formes, leur banalisation.
Sous-titré avec éloquence "La fin des hommes", cet essai aborde en détails un fait divers terriblement sordide pour mieux raviver la mémoire de la victime, une jeune fille comme les autres, et tenter de comprendre ce que cela raconte d'une société où les femmes sont tuées car elles sont des femmes.
C'est là la définition d'un féminicide : une femme tuée car elle est une femme, symbole des violences de genre s'il en est, et des crimes de haine. Et ce thème est au cœur du nouvel essai de l'intellectuel féministe. Dans le bien nommé La culture du féminicide, Ivan Jablonka étaye justement sa réflexion au sujet des meurtres des femmes par des hommes.
C'est France Culture qui, tendant le micro à l'intellectuel, synthétise avec clarté sa réflexion : "De la Bible à Netflix, en passant par la chasse aux sorcières et les films d’Hitchcock, les représentations de féminicides inondent notre culture. Dans son essai "La Culture du féminicide", l’historien Ivan Jablonka a compilé et retracé les systématismes pour montrer que ces occurrences forment bien une culture propre : celle du féminicide."
On laissera le principal concerné détailler sa prise de position rhétorique sur ces ondes, en ces mots : "la culture du féminicide traverse les siècles et les millénaires à travers des scénarios, des préjugés, des représentations, des justifications qui sont d'une cohérence stupéfiante... Le féminicide est devenu un divertissement de masse : une forme de capitalisme médiatique qui utilise le féminicide comme un argument de vente”
“... de siècle en siècle, on retrouve les mêmes images, les mêmes discours et je crois qu'on finit par y être accoutumé, habitué. Je pense au cinéma d’Hitchcock qui est un cinéma intégralement féminicidaire et véhiculent des images, des discours, des représentations, des justifications qui ne sont jamais neutres”
On entend la logique de cette réflexion.
Elle s'envisage surtout à travers le succès phénoménal des feuilletons true crime. Les meurtres des femmes sont littéralement feuilletonnés, mis en fiction, romancés, deviennent des divertissements grand public. C'est là que l'on sombre dans la culture du féminicide : alors que la "culture du viol" désigne l'euphémisation des violences sexuelles, leur banalisation, ou le fait de ne pas les considérer avec une juste gravité, la culture du féminicide désigne la même observation, pour les féminicides.
On euphémise les meurtres systématiques des femmes, et la misogynie qui en est la source.
Cela ne s'arrange guère avec l'essor du masculinisme.
Cette prise de parole néanmoins est controversée, si l'on en lit les très nombreux avis des auditeurs de France Culture.
Florilège : "Mais qu'est ce qu'il raconte lui? Une tolérance ?", "C'est la folie féministe", "Voilà. Il croît. Ce monsieur ne devrait pas faire ce genre d assertions douteuses.", "Décidément il faudrait mieux étudier l'ancien testament pour comprendre que ce n'est en aucun cas un encouragement au féminicide.", lit-on dans le flux des réactions exacerbées.
Ou encore : "Ah ! ne me dites pas que les films du génial Hitchcock vont être les prochaines victimes de la cancel culture !", "il croit que les mots et les idées provoquent le féminicide. En d'autres termes : il suffit de contrôler le langage de manière totalitaire pour que toutes les femmes soient en sécurité."